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San-Antonio

Si, Signore !

Pour ma FRANÇOISE,

en souvenir de nos amours siciliennes.

S.-A.

— Regardez-la, monsieur. Non, mais regardez-la bien. Vous la trouvez bandante, vous ? Un vrai remède, hein ? Moi, j’ai pas peur des mots : je suis garagiste. Si un garagiste avait peur des mots, ce serait malheureux, non ? Et bien, je vous le dis tout net, intrinsèquement : ma femme est un laideron, une mocheté, une horreur. D’abord elle est plus vieille que moi. Vous allez me dire que quatre ans c’est pas beaucoup, mais elle arrive à un âge où ça ne pardonne pas. Et vous voyez ce qu’elle a à la gueule, en dessous de son maquillage ? C’est de l’eczéma, cher monsieur. Bon, je passe… Ses seins ? Vous voulez la vérité ? Des œufs sur le plat ! Seulement ils arrivent chez Scandale ou autre à fabriquer des soutiens-gorge-trompe-couillons qui donneraient des formes à une planche à laver. Je vous prends ses dents, par exemple. Je peux, puisqu’elles sont amovibles. Vous savez combien il lui en reste à elle ? Une ! Une seule, et encore elle est dans le tiroir de notre table de nuit. Autre chose : elle pue de la gueule, si vous me pardonnez l’expression. Intrinsèquement, je peux pas appeler ça autrement. Quand elle bâille, on dirait qu’on passe le plateau de fromages. Vous baiseriez une vieille peau qui fouette du couloir, vous ? Impossible, n’est-ce pas ? Votre tête chercheuse ferait l’escargot. Eh ben moi, non. C’est là que j’en arrive. Cette vilaine tarte moisie, monsieur, je me la fais quotidiennement. J’ai beau me placer devant l’évidence, et même dessus, intrinsèquement parlant, elle m’excite. Soit, c’est le mystère du couple. Le sensoriel échappe à toutes les lois. Un taureau, une vache, un singe, une guenon, même au cul en courgette, ça copule sans problème. Moi, Germaine, je l’enfile comme une reine. L’accoutumance, vous comprenez ? Mais où j’en viens, intrinsèquement, c’est à ceci : depuis plusieurs années déjà, je ne peux plus baiser qu’elle, monsieur. Et pourtant, si je vous racontais ma vie sexuelle d’autrefois… Un os ! Je culbutais tout ce qui passait : femmes, moines, vieillards. Un trou, dès lors qu’il était bordé de poils, me portait à la plus vigoureuse bandaison, monsieur. Et pourtant je suis garagiste. Dans le pays où j’exerce, une jolie ville du Cher, on m’avait surnommé « Queue de fer ». Les plus ravissantes bourgeoises venaient se faire régler les soupapes ou changer les vis platinées sans nécessité, pour avoir un prétexte à m’approcher. Intrinsèquement, je faisais un malheur. Et puis un jour, bernique ! Impossible d’embroquer la fille aînée du notaire, pourtant très comestible : le côté chatte neuve, haleine fraîche. J’ai eu beau m’escrimer sur mon tas de pneus neufs : échec total, sans précédent. Même à l’aide d’un entonnoir je ne serais pas parvenu à mes fins. Je me suis dit, intrinsèquement : « Maurice, c’est la bière… » On était en été. Je me suis obstiné, ce qui est inutile et dangereux. J’ai essayé de me démarrer à la manivelle, de penser à des saloperies. Le néant ! Et la petite sagouine qui se foutait de moi, mine de rien. Bon, je l’ai bouffée, naturellement. Mais ça ne constitue pas une solution de remplacement, surtout qu’elle sortait de pension et avait connu des techniciennes plus chevronnées que moi. Elle est repartie avec un ricanement dans l’œil. Alors vous savez ce que j’ai fait, intrinsèquement ? Je suis monté à la cuisine, on habite au-dessus du garage. Germaine découpait un lapin, je les reverrai toute ma vie. Ce qui m’a frappé, c’est qu’ils se ressemblaient. Regardez-la : c’est pas une tête de lapin écorché, dans son genre ? Moi, lapin ou pas lapin, je l’ai troussée sur la table. Une tringle d’acier, monsieur. Intrinsèquement. Et depuis lors, je ne peux plus qu’avec elle. C’est triste, hein ? moche comme vous la voyez. Si je vous disais que ses poils de c… ne frisent même pas. Son sexe ressemble à Lénine. Vous devez vous demander pourquoi je vous raconte tout ça, si intime. Simplement parce que j’ai peur de l’avion. Alors, je bois avant de le prendre et je bois pendant le vol. Tel que vous me voyez, je suis intrinsèquement rond, monsieur. Vous croyez que nos bagages vont beaucoup tarder encore ? C’est vrai que nous sommes en Sicile. Les porteurs ne se font pas de hernies. Comment s’appelle cet aéroport déjà ? Catane ? Merci. Tonnerre, ce que je tiens comme caisse. Vous croyez que je continuerai de la tringler, Germaine, quand elle sera vraiment vieille et plus regardable ? Il doit bien y avoir un remède, non ?

Je ne réponds rien, mon attention étant accaparée par l’arrivée dandinante des bagages.

En face, Béru attend les siens, maussade. Le soleil sicilien ne semble pas le porter à l’euphorie. L’on dirait un gros hibou malade. Il a la tête dans les épaules. Son beau costar à rayures blanches et noires ressemble à une grille repeinte. Il a oublié de se raser. Depuis une huitaine. Son piège lui confère une dureté que n’atténue pas son regard de setter irlandais.

Il guigne sa valise qui vient de débouler du tunnel. Plus exactement « LA » valise. Un vrai personnage, et qui va jouer un grand rôle d’ici presque tout de suite. Tu vas voir la feinte : gonflant. Mais je veux pas t’anticiper l’action, qu’autrement tu ne goderas plus, le moment de la situation venu.

La valoche qu’attend le Gros est bleue, en vrai faux cuir armé de coins en vrai vrai cuir et pourvue d’une serrure façon sellier. Il la guigne d’un œil bourré de cloaque. Ce voyage en Sicile, il était contre, Bérurier. Farouchement, vu qu’il lui fait paumer une sortie de son nouveau « Clube », celui des mangeurs de cochonnailles. La devise de cette importante association, est « Tout est bon dans le cochon ». Et elle la met en pratique.

Donc, la valise se pointe. Béru la chope.

Moi, j’attends nos vrais bagages : un délicat sac Hermès (à moi) et une élégante valoche de carton bouilli (trop longtemps bouilli, mais avec des ficelles c’est le genre d’inconvénient qui s’arrange). Elle appartient au Gros.

Je cramponne l’une et l’autre.

Ensuite de quoi, je me rends au guichet Hertz, rapport à la chignole que j’ai fait retenir.

Du coin de l’œil, j’étudie le comportement du Mammouth. Il agit comme il fut décidé entre nous. Sobrement. C’est-à-dire qu’il va au bar se commander un Cinzano bianco. Il pose sa valise contre le rade. Puis, à belle et intelligible voix, Sa Majesté s’enquiert des chiottes. Le loufiat les lui indique. Béru s’y rend en commençant, suivant sa belle habitude, de dégrafer ses oripeaux.

Nota : il laisse sa valoche près du bar.

Je procède aux paperasseries voiturières. Un grand jeune homme en corps de chemise me drive jusqu’au parkinge extérieur. Il me désigne une Fiat bleue, de belle prestance, m’en remet les clés, les fafs, puis me souhaite bonne route.

Je loge mes bagages dans le coffiot et j’attends.

Béru réapparaît en se reculottant savamment.

Un léger sourire ensoleille sa trogne. Son baromètre intime se remettrait-il au beau fixe ?

Il prend place à mon côté, lâche un soupir d’aise.

— Ça n’a pas traîné, dis donc ! exulte le cher homme. Quand j’ai radiné des chiches, la valise avait disparu.

Je prends dans la poche de mon veston léger, à petits carreaux beiges et rouges, une boîte plate, noire, munie de touches et d’un cadran. Elle ressemble à un petit appareil à calculer. J’enfonce une touche. Illico une mince ligne verte lumineuse s’allume au cadran, qu’elle se remet à parcourir comme une folle, de gauche à droite. Simultanément, une modulation retentit, faiblarde.

En démarrant, j’ai le temps de voir Maurice, le garagiste monogame, entre deux grosses valises. Sa mocheté le précède d’un pas. Il lui mate le croupion d’un œil trouble.