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Catane, je vais t’avouer une chose, ça n’a rien de très pittoresque. Ça fait même un peu tristet dans son genre, malgré quelques beaux vieux immeubles fromageux. Ici, le rococo se perd dans des grisailles que le soleil ne fait pas chanter. Heureusement, y’a la vie grouillante, les gamins bruyants, aux jeux de chiots ; des matrones à moustache, des grands types minces, aux regards intenses, mais calmes et vaguement arrogants. Et puis du pauvre linge qui sèche un peu partout. Et des odeurs de fruits, ça, très vives, mêlées à des relents de friture.

La ligne verte est fixe à présent. La modulation s’est fondue en un sifflement continu.

— C’est ici ? demande le Tartiné.

— Faut croire.

On défrime une maison basse, plus que modeste, dont la peinture ocre s’écaille. Devant la porte, un rideau de perles. À l’ombre d’un appentis attenant, un beau vieillard buriné à cheveux de neige confectionne une roue de charrette. À l’intérieur de la masure, une radio vocifère une chanson italoche, mais qui pourrait être américaine, ou qui l’a été.

Je descends et je pénètre délibérément à travers l’averse molle du rideau de perles dans une grande pièce qui fait cuisine-salle à manger-chambre à coucher-salon. Des bassines émaillées sur une table. Un poêle fumeux. Des meubles ravaudés, un lit, au fond, avec des draps grisâtres.

Une énorme dame pèle des aubergines.

Mon arrivée la paralyse. Elle me considère avec effarement. Puis murmure en sicilien :

— Que désirez-vous ?

Je lui réponds « bonjour madame », en italien diplomatique.

Un furieux bruit de sommier attire mon attention. Naturellement, il provient du lit. Sous l’édredon himalayesque, une jeune donzelle aux longs cheveux décolorés s’embourbe un petit bonhomme rondouillard qui s’agite sur elle comme douze mouches sur une peau de banane. On dirait qu’il redoute de tomber du lit et qu’il s’arrime à la fille par mesure de sécurité. Il émet des « han han han han » bûcheronesques. Il est tout rouge d’ardeur, avec une tête ronde pleine d’yeux proéminents et qui chavirent dans les extases.

L’éplucheuse d’aubergines s’écarte de la table, et, d’un lent coup de miche, fait pivoter son tabouret pour rester dans mon axe.

Je pousse une porte basse au fond de la pièce. La surgravosse émet alors un cri qui pourrait, dans une superproduc hollywoodienne, passer pour le barrissement de l’éléphante venant d’apprendre que son mâle la trompe. La porte donne sur un endroit obscur vu qu’il est sans fenêtre. Je me fouille à la recherche de mon briquet. Dans la pièce commune, c’est tout à coup l’émeute. La vachasse à bourrelets se met à crier au « bandito ». Le vieillard joint son organe branlant à celui de l’ogresse. La fille du plumard s’associe à la beuglante familiale. Elle vitupère que c’est de la violation de domicile.

Son rondouillard, menacé d’être brutalement éjecté de la case-trésor de la signorina, la supplie de pas l’expulser au moment où son fade s’organise. Il implore une « minuto », rien qu’une, pour se finir l’apothéose dans de bonnes conditions. Il dit que, sinon, c’est son système nerveux qui en pâtira. Toute sa zone glandulaire va déraper dans le marasme des coups foirés. Il assure qu’on peut en mourir, d’une secousse pareille. On ne stoppe plus un avion parvenu en bout de piste au plus fort de son régime. Il va jouir dans ses guenilles, pépère. Prendre son pied à blanc. Balancer ses plumes en porte à faux. Pâmer de traviole, quoi ! Son sensoriel broyé. Ça va lui faire comme un coup de scalpel dans les burnes. Mais la gonzesse s’en tamponne. Elle veut aider la mamma à m’expulser. Rameuter le quartier. Ça radine au pas de course d’un peu partout. Ça envahit la crèche. On va nous lyncher comme on dépiaute un lapin.

Pour parer au plus pressé, Béru dégaine sa pétoire et braque la populace grondante.

Manière de calmer les esprits, je reviens dans la pièce principale. Je crie « polizia » en brandissant ma carte. Tu crois que ça les impressionne ? Mes quenouilles, oui ! Les v’là qui s’enrognent de plus rechef. Qui crient à mort. Un grand floc s’opère, heureusement, qui crée une diversion. C’est le rondouillard que sa monture a enfin désarçonné et qui vient de chuter sur le plancher. Il est tombé sur le ziffolo, le pauvre biquet. Bing, juste au moment qu’il déballait son yaourt ! Et volatil-pas qu’il se l’est cassé. Maintenant, c’est un bec de cane, qu’il se trimbale, le signor Grabide. Il a zézette à l’équerre. Va pouvoir brosser dans les coins. Il hurle, pleure, sacre, tempête, gémit, se tord, se masse. Le plus pas croyable, c’est que l’accident ne l’a point fait dégoder. Il reste caréné du chibre. Simplement, il l’a à 45 degrés, ce qui est logique par ces chaleurs. Les autres, compatissants, l’entourent. Une vieille édentée en profite pour lui masser l’avarie. Le vieux aux crins blancs préconise un emplâtre de fiente de poulet et d’ortie, comme quoi, c’est revitalisant. Il promet de confectionner une éclisse, la boissellerie, ça le connaît.

Comprenant que notre lynchage est provisoirement écarté, je bats le briquet. Sa courte flamme me permet de découvrir un étrange capharnaüm (et Pompéi) entreposé dans ce local. Des valises de toutes formes, des sacs à main, des roues de voiture, des pardessus, des manteaux, des appareils photo en grand nombre, des parapluies pire que dans toute la ville de Londres, des béquilles autant qu’à Lourdes, des raquettes de tennis, plus des choses moins identifiables.

La porte se relourde brutalement. Je volte. Un grand escogriffe vient d’entrer. Il tient une loupiote de la main gauche et un couteau à la lame longue commak de la droite. Je vois mal ses yeux, mais ils m’ont l’air chargés d’antipathie à mon endroit (et même à mon envers).

Bien sûr, je pourrais le calmer avec l’ami Tu tues, mais je préfère qu’on s’arrange autrement. Je shoote dans la lampe qui valdingue et s’écrase. Le temps de reprendre un bon équilibre, et je lui tire un second pénalty dans les frangines, au jugé, car à présent, on n’y voit plus que goutte. Il pousse une solide beuglante. Je rallume mon briquet, ce qui me permet de le découvrir à genoux dans la caverne d’Ali-Baba, se tenant fort l’entre-deux et bavant comme un escargot en train de traverser la mer de sel tunisienne. Comme ses poignets sont déjà rassemblés, j’en profite pour lui passer le cabriolet. Après quoi je ramasse son lingue, le plie et l’enfouille en me promettant de m’en faire un coupe-papelard.

Pendant que l’escogriffe épanche sa bile et masse ses chères jumelles endolories, j’investigue. Pas besoin de baguette de sourcier ou autre pendule. La valoche bleue est là, sur un rayon, entre une pile de Kodak et une cage à petit chien. L’ayant récupérée, je la montre au copain. Il hoche la tête, brusquement résigné par l’évidence. Le flagrant délit, dans notre job, y’a que ça de vrai.

— Écoute, fiston, lui dis-je en m’accroupissant pour placer ma voix à la hauteur de ses cages à miel, l’affaire est beaucoup plus compliquée que tu ne le supposes. Il va falloir qu’on discute sérieusement, toi et moi. Renvoie tous les tordus qui ont envahi ta casa. Si tu joues franc jeu, tu auras une prime. Si tu m’arnaques, ce ne sera pas la prison qui t’accueillera, mais le ravissant cimetière devant lequel nous sommes passés en venant chez toi. Est-ce que tu me suis bien ?

Il me mate. À la lueur d’un briquet, les regards sont chargés de mystère. Le sien paraît se paumer dans un torrent de suppositions mal ficelées. Enfin, il a un signe évasif, mais qu’avec un poil de bonne volonté, on peut considérer comme étant un acquiescement.

Nous sortons du cellier à receler.

Les palabres cessent. Béru est debout sur la table, son feu en pogne. L’homme au membre brisé pleure en silence. Il réclame le montant de sa passe à la donzelle faux blond, qui, non seulement ne lui a pas fourni les délices promises, mais de plus vient de lui casser le tube à fichtre. Elle gueule plus fort que son client, comme quoi il n’avait qu’à se déballer la moelle plus rapidos, ou bien interrompre sa fornication pour lui permettre de secourir les siens. Elle ajoute qu’un bouc lubrique se serait arrêté de limer devant un cas de force majeure. Faut être un goret pourri pour continuer de se secouer la membrane à l’intérieur d’une personne dont des gangsters violent le domicile. Un sadique pareil n’a eu que ce que ses bas instincts méritaient. Si son zobard fait la baïonnette, il n’en chargera que mieux. Et puis elle a vu son portefeuille, elle le sait qu’il s’appelle Giuseppe Aldonato, et qu’il est commerçant via Quezacco. S’il renaude encore, elle va aller dire à sa bonne femme qu’il la double. Maintenant que, grâce à Dieu, le divorce existe en Italie, elle pourra refaire sa vie, Bobonne. Trouver quelqu’un de plus propre. Un vrai signor respectable, qu’à force d’être attelée à une vieille saloperie comme ce zigue, elle doit être pleine de véroles ignorées, la pauvre dame. Un dispensaire mettrait des mois à lui dépister tous ses microbes et virus pernicieux.