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Cornélien, en effet. Je pige parfaitement les affres du copain.

— De l’eau dans le gaz ? demande Béru. Si tu voudrais que j’asticote un peu ce grand crevard, dis-me-le, j’ sus paré pour les manœuvres de printemps, mec.

— Laisse quimper, c’est pas le moment, on joue les crises de conscience.

— Oublille-pas que moi, les crises de conscience, je les guéris avec mes cinq doigts déguisés en poing, San-A. Si tu pars dans les subtilités avec ce julot, il te baisera en canard.

Mon regard tombe sur la frangine. Une belle jument, vraiment. Elle ressemble à Dalida, en plus jeune ! Alors une idée me vient.

— Je te propose un marché, Donato.

— Oui, quoi donc ?

— Momento !

Je vais prendre l’attaché-case échantillon dans mon grand sac de voyage. À l’intérieur se trouve un portrait de format 18 × 24 représentant un homme très blond, au regard très clair et aux lèvres très minces.

Je remets l’un et l’autre à Donato Convolvolo.

— Type de la valise et photo du volé, annoncé-je.

— Qui est-ce ? ne peut-il se retenir de demander en prenant l’image.

— Son nom ne te dirait rien, et d’ailleurs, cet homme est mort. Il est mort voici trois jours, Donato. Et sais-tu de quelle étrange maladie ? Il est mort de s’être fait voler la valise.

La mamma repart en larmes et exhortations. La grande fille en laisse glisser la robe de devant sa vitrine. Le grand-vieux crache noir. Donato amorce une grimace. Bérurier se sert un coup de pichetegorne à la sauvette. On est dans une phase vaguement indécise. On louvoie dans ses préoccupations personnelles. Psychologue, Donato sent que la situation est moins désespérée qu’il le pensait au début. Il connaît les êtres et il devine que je ne suis pas le grand méchant loup annoncé à l’extérieur. Lui, c’est surtout ses potes qu’il redoute. Comme il me l’a dit, eux ne plaisantent pas… Va falloir que le camarade Cent ans d’ tonneau joue serré-serré.

— Va trouver le mec qui a chouravé la valoche, convaincs-le de la rendre et rapporte-la-moi. Je te donnerai une prime de cent mille lires. N’essaie pas de planquer les papiers qu’elle contient, sinon tu les paierais le prix fort. D’ailleurs ces documents sont sans le moindre intérêt pour toi. Je repasserai ici demain matin. En attendant, je vais embarquer ta frangine comme otage.

Il bondit.

— Laissez ma sœur ici !

— Tu as peur pour sa vertu ? rigolé-je.

La fille intervient spontanément.

— Laisse, Donato, je vais avec eux, ils ne me font pas peur !

Là-dessus, elle enfile enfin sa robe, puis un petit slip amusant dans sa simplicité et des sandales de cuir tressé.

— À demain ! je lance, et joue le jeu, fiston, pourquoi prendre des risques inutiles ? Tout le monde ne demande que la paix…

La mamma chique soudain à l’hyène farouche. Elle se jette sur nous, nous malmène à coups de mamelles, nous postillonne des visquosités dans la frite, nous exhale des nauséabonderies aux trous de nez. Elle a la voix comme une râpe sur de l’acier, Mémère. Des égosillements sauvages. C’est la furie noire. La Sicile en insurrection. L’Etna qui dégouline. On a toute les peines du monde à l’apaiser. Heureusement, la grande Dalida parvient à lui faire entendre oraison. Alors on se dirige tous les trois vers la chignole.

— Hep ! hèle Donato.

Je me retourne.

— Vous oubliez ça, signore !

Il me tend la paire de menottes dont il vient de se débarrasser, tout seul.

On se regarde.

Dans ses prunelles je pressens des choses.

C’est un drôle de patelin, la Sicile !

En conduisant, je me dis que l’affaire s’est peut-être mal engagée, mais enfin quoi, tant pis, j’ai franchi le point de non retour et il ne me reste plus que la ressource d’accélérer. Même quand tu fais une connerie, mon gars, va de l’avant. Vaut mieux une belle sottise bien réussie qu’une sublime astuce pinaillée.

— Vous vous appelez comment ? je demande à la môme.

— Lila.

— Quoi ? demande Bérurier qui comprend mal l’italien.

— Elle s’appelle Lila.

— Vachement printanier, ça plairait à Giscard. Qu’est-ce on va en foutre ?

— Une alliée, si possible.

Il hoche la tête.

— Tu veux lui demander combien elle compte pour une petite passe sans histoire ? Je m’ ferais volontiers dégorger l’intime ; j’ sais pas si ça proviendrait de l’avion, mais j’ai le sensoriel sur le qui-vive. Et puis de l’avoir vue avec tout son matériel Nestlé à l’air, qu’on aye le contrôle de son self ou pas, mais t’as Popaul qui trémousse…

Au lieu d’opérer la traduction qu’il sollicite, j’échafaude un petit plan de campagne.

La route s’élargit. On traverse maintenant des agglomérations colorées, pleines de gens habillés de sombre. Des gamins jouent au foot dans les rues. Des boutiques proposent des marionnettes aux touristes. On double des charrettes bariolées, finement décorées que traînent des ânes allègres.

— Où allons-nous ? demande Lila.

— Taormina. Hôtel San’Antonio.

J’ai vu une affiche à l’aéroport. Hôtel San’Antonio, Taormina. Le prestige de la Sicile. Aussitôt j’ai eu envie de connaître.

Ça ne s’explique pas.

* * *

L’hôtel San’Antonio est un ancient monastère converti en hostellerie. Le grand luxe. Couloirs voûtés, jardins intérieurs, meubles anciens, tapisseries du XVIe siècle. Un personnel stylé. Une clientèle surchoix, à dominante britiche. C’est plein de vieillards chenus, en complets de tweed, de vieillardes frisottées qui vont, à petits pas torses, en balançant d’énormes sacs à main bourrés de médicaments.

Notre arrivée fait un brin de sensation à la réception, à cause de Lila qui a un peu trop l’air de ce qu’elle est. Je suis obligé d’arroser en grand et à la ronde pour obtenir deux chambres communicantes.

La môme est époustouflée. Tu penses que ça la change de sa tanière des faubourgs. Elle contemple le décor, fascinée par son opulence. Elle touche les boiseries, les tentures. S’arrête devant les miroirs aux superbes cadres dorés.

— C’est trop beau pour moi, murmure-t-elle.

— J’ai vu des magasins de mode en venant, on va aller t’acheter des toilettes.

— À moi ?

— Ben, les beaux vêtements sont faits pour les jolies filles, non ?

Ses yeux brillent.

Une heure plus tard, elle est méconnaissable, la Lila, dans un tailleur de soie blanche, avec un chemisier vert et des chaussures vertes. Elle se demande où ça va, tout ça. Le pourquoi du prodige. En vertu (si je puis dire) de quoi je joue les papa Noël avec elle.

On écluse un drink au bar de l’hôtel. Par une baie vitrée, on découvre le théâtre romain, les collines ocres descendant à longs frissons jusqu’à la mer résolument bleue.

— Vous êtes Français ?

— Oui.

Si le Vieux nous voyait, il en paumerait son râtelier.

— Agents secrets ?

— Plus ou moins.

— C’est quoi, cette histoire de valise ?

Elle y vient d’elle-même, y’a bonnot.

Moi, j’ai toujours trouvé que la vérité, c’était ce qu’il y avait de plus commode à dire. Un mensonge, c’est une corde que tu places en travers de ton chemin et dans laquelle tu te prends les pinceaux, neuf fois sur dix.

— Cette histoire est celle d’un agent double, ma jolie. Un monsieur travaillait pour la Russie. Un jour, il est passé dans le camp opposé. Ce sont des choses fréquentes dans cette honorable profession. Le type en question s’apprêtait à livrer à l’ouest des documents de toute beauté, concernant j’ignore complètement quoi, lorsqu’on lui a piqué son attaché-case à l’aéroport de Catane. Son drame, c’est qu’on ne l’a pas cru. Quelques jours plus tard, on a repêché son cadavre dans la Tamise. Tu vois, c’est une affaire très banale.