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— Une forme de choléra, tu as entendu parler ? Je t’ai fait gober cette charmante maladie tout à l’heure au bar, mine de rien. Les effets sont foudroyants. À preuve : au bout d’une heure, tu as le corps moucheté de plaques vertes. J’espère que tu n’es pas superstitieuse et que tu ne crains pas cette couleur ? D’ailleurs, si c’est le cas, rassure-toi, car les plaques vont virer au violet avant la nuit.

Elle veut hurler. Mais sa terreur est trop forte, ça forme bouchon d’air dans son pharynx.

Moi, peinardos, je poursuis :

— Dans la soirée, tu seras saisie d’une forte fièvre. Demain matin, ton corps sera noir comme les pieds de mon ami, que tu as eu l’occasion d’admirer il y a un instant, et ta mort devrait intervenir dans l’après-midi de demain. Mais attends, reste calme.

Je sors de ma vague un minuscule tube de verre.

— Si tu avales le contenu de ce tube avant minuit, tout rentre dans l’ordre. Ma parole d’homme. Tu te réveilleras au matin, intacte, fraîche, dispose et plus pimpante que les roses qui sont dans ce vase. Bien sûr, tu peux crier au secours, te faire conduire à l’hôpital, rameuter toute l’île. Cela ne te sauverait pas. Même à Rome, on ne possède pas l’antidote du truc qui vadrouille en ce moment dans tes veines. Quant à moi, si tu regimbes, inutile de te dire que j’anéantis ce petit tube d’un coup de talon. Alors prends ton destin à pleines mains, ma gosse. Réfléchis, pèse le pour, le contre, le dessous, le dessus et dis-moi ce que tu comptes faire.

Elle est cadavéreuse, la Lila. Ses dents claquent comme dans une boîte de nuit madrilène. Elle garde son bec béant, incline sa tête pétassière sur son corps putassier, observant les vilaines plaques vertes qui, effectivement, foncent à vue d’œil.

Les cannes fauchées, elle se laisse tomber dans les bras compatissants d’un fauteuil.

Je vais à elle et caresse doucement ses cheveux décoiffés.

— Notre boulot est terrible, tu vois, petite. Il a ses bons côtés, comme tu l’auras remarqué, et puis hélas aussi ses mauvais. Le chiendent, c’est que les mauvais sont vraiment très mauvais.

Son abattement est affligeant. Elle continue d’observer ses plaques. Les touche d’un index craintif…

— On dirait une panthère pop’, remarque Bérurier.

Sa comparaison crée une diversion, bien que Lila ne comprenne pas le françouze…

Elle repousse ses mèches tombantes d’une main dont le harassement est déjà agonique.

— Qu’est-ce qu’il faut faire ? murmure-t-elle sourdement.

— Tu sais bien, ma poule : la valise. Qui a pu la voler le 24 à l’aéroport de Catane ?

— Le barone Vittorio-Emanuele Popoli. C’était son jour.

— Et où habite-t-il ?

Elle me le dit.

Et alors, ce pas franchi, elle tend la main.

— Donne ! Donne le remède ou je te tue ! Donne tout de suite, assassino !

Elle écope d’une monumentale tartine signée Bérurier.

La gifle la replonge dans une prostration baignée de mélancolie.

— J’ sais pas si elle impertinait, s’excuse Béru, mais je crois qu’elle avait besoin d’un petit calmant.

Je brandis machiavéliquement, car j’adore les adverbes, le petit flacon sous le nez de Lila.

Le rempoche.

— Prie la madone pour qu’il ne m’arrive rien de fâcheux, chérie. Il serait stupide que tu clabotes d’autre chose que de la vérole.

Quand elle m’a dit : « Le barone Vittorio-Emanuele Popoli », je n’ai pas réagi.

Le mot « barone » m’a survolé le tympan sans y créer la moindre émotion. Eh ben, mon gars, c’est bel et bien d’un vrai baron qu’il s’agit. Décavé, certes, et combien pittoresque ! Un baron-truand. Un baron tombé dans l’arnaque. Mais avec certains restes. Des relents de superbe. Des envolées de gestes qui révèlent son reliquat de gentil-homme.

Son domicile, par contre, ne correspond pas à l’idée qu’on peut se faire d’un noble, fût-il déchu. Il s’agit d’un entrepôt de tôles, encombré de choses hétéroclites, au fond duquel di Popoli s’est aménagé un authentique campement. À savoir qu’il y a dressé une vaste tente de camping, chouravée probable sur quelque galerie de bagnole étrangère. C’est là qu’il bivouaque, Vittorio-Emanuele, en compagnie d’un pauvre hère à tronche de demeuré qui lui sert de maître d’hôtel. L’anormal (il mesure son mètre nonante et il a une tête chauve grosse comme un poing de bébé) est en train de se masturber devant une ancienne photographie de Mme Claudia Cardinale lorsque je sonne à la grille du parc.

Il me grommelle d’entrer.

Je soulève un pan de la toile et le découvre, à genoux devant l’icône, trique en main, avec la mine bienheureuse d’un homme sur le point d’accéder à des sommets de spiritualité. Avec un braque pareil, on dirait qu’il joue Guignol.

Nullement dérangé par ma venue, il poursuit vigoureusement son travail de mise à jour. Son action porte rapidement ses fruits, la photographie de l’actrice ne tarde pas à en témoigner. Ayant souscrit aux légitimes exigences d’un corps voué à une certaine solitude, le demeuré remise ses glandes, disperse avec sa semelle une descendance compromise, et me répond que le signore barone est présentement aux funérailles de son cousin où il va précisément le rejoindre.

Je me joins à lui et nous gagnons incontinent l’église du patelin.

J’ai vu bien des enterrements dans ma vie, et si Dieu prolonge encore quelque peu ma durée, j’en verrai de plus en plus, car plus tu avances dans l’existence, plus ça décampe autour de toi. À un certain moment, la machine s’emballe, et alors, comme à Verdun, les v’là qui te chutent autour, pis que dans les vouesternes où les Indiens foudroyés tombent tous de la même manière de leur bourrin parce qu’il n’y a qu’une méthode dans les écoles de cascadeurs pour enseigner à se vider de sa monture. Bon, je me disperse dans les lieux communs, puisqu’ils sont aussi d’aisance. Je te disais que des enterrements, je m’en suis respiré des chiées. Des grands, avec délices et orgues, fleurs surabondantes, façons funérailles de gangster du temps de la Prohibition ; des humbles, avec le strict nécessaire, c’est-à-dire le mort et son cercueil ; des atroces, d’enfants ; des libérateurs, de grands malades qu’avaient fait chier tout son chacun pendant des mois avant de se décider à régulariser leur situation ; des joyeux, de sacrés drilles que d’autres drilles arrosaient d’importance ; et puis : des nationaux, des orthodoxes, des civils, des pompeux, des à la sauvette, des frileux en des cimetières pleins d’hiver, des aimables où personne n’éprouvait de peine ; des revanchards qu’on était bien content de voir disparaître une charogne pareille ! Des tas, je te dis. Des qui duraient, des qu’allaient au pas, au trot, au galop, des à cheval, des en voiture, des à dos d’hommes, des en barque, si mignons, si jolis… Véry très beaucoup ! Une fumante collection.

Mais alors, l’enterrement au cousin du barone Populi, il dépasse l’entendement sans mettre son clignotant, espère !

Concessionnaire de Fiat pour la région, le feu cousin. Un mordu acharné de la bagnole. L’a fait de la compétition, jadis. Y’a toutes ses coupes et fanions autour du catafalque. Bon, marrant. Mais c’est rien. Le grand numéro, je te jure, c’est le catafalque lui-même. Tu sais en quoi il consiste, le cercueil ? Une bagnole ! L’Alfa Roméo 1932 avec laquelle il a gagné à Monza. Ses dernières volontés étaient expresses. Stipulées formel. Il exigeait d’être enterré dans une auto. Dis, en Sicile, là qu’on fabrique les plus belles bières décorées fromage, avec plume dans le fion, poignées ciselées, crucifix en couleurs, capitonnage pur satin, chaîne stéréo, madone incorporée, arc de lumière, et toutim. Le clergé a poussé les hauts cris que tu penses. Mais la veuve, toujours selon les recommandations du mari, a carmé la big enveloppe. Alors on a transigé. Simplement, ils ont exigé qu’on enlève les roues de la tire, messieurs les prélats, manière que ça fasse moins mobile, moins teuf-teuf. Et aussi qu’on vide le réservoir de benzina because les cierges.