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Tu le verrais, le cousin, allongé sur son siège, les mains liées au volant par un chapelet de capucin, à gros grains, son casque sur la tronche, ses grosses lunettes sur les yeux, bioutifoul en plein dans sa combinaison au sigle d’Alfa. Un vrai Roméo ! Tout autour, y’a une escouade de pleureuses. Et puis des enfants de chœur, impressionnés par la bagnole. Des cierges. Des chorales, de l’encens qui pique les trous de noze. Des fleurs à plus savoir où les foutre. Des curés chamarrés avec des voix barytones, des religieuses, le grand bidule de la mort latine, superbe. Joyeux, comme cérémonie. Le Châtelet. Les vingt-quatre heures du Mans, quoi ! En moins liturgique, mais en plus bruyant.

Le crétin-masturbeur me désigne son maître, le barone di Populi. Ce dernier n’est pas le premier venu. Il porte une redingote noire, un falzuche rayé, des guêtres grises, une cravate grise. Il a une canne accrochée au bras, des décorations toutes plus mystérieuses l’une que l’autre plein son poitrail maigrichon. Quel âge ? La soixantaine. Les cheveux gris, frisés, plantés bas. Gants noirs. Dents noires. Œil noir. Le vrai grand deuil. Il se tient raide. Il chante avec les curés, les nonnes, les choristes. Il dit amen, et puis d’autres trucs en latin. Il fait les demandes et les répons. Se donne bien complètement, en grande ferveur. Prodigue son cousinage… Il a le nez violet. La picole ? Probable.

Jouant de la hanche et de l’épaule, je me coule jusqu’à lui. On me fait une place sur le grand banc. On me regarde, surpris à demi. On doit me prendre pour quelque coureur étranger venu apporter l’hommage ultime d’une grande marque. Le baron Populi me file un léger coup de périscope. À peine intrigué. La seule chose qui le déconcerte, c’est que je me pointe jusqu’au rang de la famille. Il met mon audace sur le compte de mon ignorance des coutumes et m’oublie pour continuer sa braillance.

Bon, le moment de l’élévation est arrivé. Sonnailles. Tout le monde tait sa gueule. Incline sa tête. Je profite du silence relatif (car il subsiste les sanglots, reniflades, grincements de chaises) pour attaquer Populi.

— Dites, cousin, ça vous botterait d’être à sa place ?

Et je désigne le cercueil carrossé.

Vittorio-Emanuele sursaute et se détronche :

— Qué ? il fait, en mettant sa main devant sa bouche, comme un qui se sert d’un cure-dents à table.

— Je viens de loin pour vous voir, l’ami.

— Qué ?

— Mais je suppose que le camarade Convolvo a déjà dû vous parler de moi ?

— Convolvo ? Non ! Qui êtes-vous ?

Au lieu de répondre à sa question, je désigne le catafalque.

— Il est mort de quoi, le cousin ?

— Il cuore.

— Subitamente ?

— Si, signore.

— Vous aussi, barone, vous pouvez finir d’une espèce de crise cardiaque…

J’écarte le pan de ma veste et lui découvre discrètement la crosse de mon ami Tu-Tues.

— J’ai tout ce qu’il faut pour ça. Avouez que c’est mieux qu’une maladie qui n’en finit pas ?

Il pâlit.

— Mais que me voulez-vous ?

— Une valise. Noire… Vous l’avez volée le 24 à l’aéroport de Catane à un grand type blond qui portait un costume bleu. C’est ça que je suis venu vous demander : la valise. Il va falloir me la donner rapidement.

— Je ne sais pas de quoi vous parlez…

— J’ai l’ordre de vous abattre si vous regimbez, et d’une certaine manière. L’arme que je vous ai montrée n’est pas un revolver ordinaire, c’est-à-dire qu’il ne crache pas des balles, mais des fléchettes moins grosses que des aiguilles de phonographe. De plus il est à air comprimé. Vous voyez : je passe ma main dans ma veste. Ça y est, je vous braque. Si je presse la détente, une fléchette vous rentre dans la viande et vous mourrez à l’instant. Personne ne saura. On croira que c’est l’émotion. Amusant, hein ? Ensuite, je n’ai plus qu’à aller fouiller chez vous, aidé de votre grand macrocéphale. Ça se défend, non ?

Il a pas l’air de trouver. En fait, on jurerait qu’il est contre. L’émotion causée par ma déclaration est si forte qu’il est obligé de s’asseoir et de fermer son circuit à cantiques. Dis, faudrait pas qu’il m’évanouisse devant, ce tordu. Les Ritals, tu les connais, quand ils font du cinoche ? Sur un terrain de foot, tu les as vus à l’œuvre, lorsqu’il s’agit d’obtenir un péno ou de chiquer les gars durement touchés.

Je me penche sur son oreille à poils.

— Si vous perdez connaissance, barone, vous ne la retrouverez plus.

Un temps. Il se requinque.

— Alors, ma valise ?

Il balbutie.

— Tout à l’heure, après l’enterrement. Je ne peux pas partir maintenant, c’est tout à fait impossible.

J’hésite. Puis décide de me farcir les funérailles de l’ancien coureur.

Le curé se ramène pour un spiche (en anglais speech). Il raconte comme quoi le mort a eu une vie édifiante de courage, qu’il a fait beaucoup pour le prestige de la Sicile, que son âme, en ce moment, elle file en piqué et avec des ailes delta sur le ciel où on te lui prépare une de ces férias qui sera pas piquée des vers (si l’on peut dire). Pour peu que la veuve y aille de quelques messes chantées, tu vas voir comment qu’il va se faire sucrer ses inévitables années de purgatoire, le champion. Vont te lui abaisser le drapeau à damiers, là-haut, sur la ligne d’arrivée du Paradis. Et alors, il aura droit à la toute belle place, véry honorifique, dans la tribune d’honneur, à la droite de Dieu. On lui remettra la coupe des bons chrétiens défenseurs de la foi. Et au Jugement dernier, il ressuscitera en fanfare, le cousin. Se pointera dans un bruit de tonnerre au volant du char céleste. Il promet tout ça, le chat noir, pardon, le chat-moine. Il sait ! Y’a pas de secrets pour lui, dans les cieux. Il connaît la maison, ses us, ses coutumes. Le bonheur éternel au Concessionnaire à Fiat, il le voit gros comme une église. Sans discussion. D’ailleurs, on va procéder à une petite quéquête pour arroser ça dignement. Marquer le coup solennellement. Enfin quoi, merde, quand un mec comme le cousin se donne la peine de mourir, faut coopérer, que diantre. Faire une haie d’honneur, clamer sa gloire, se recommander à lui qui, grâce à son autorité, sa réputation, va devenir membre influent là-haut. Que bientôt, Jésus et lui seront à tulle et à toile, recta.

Bon, tout ça…

Et après, des croque-morts d’apparat viennent chercher le cercueil chromé.

Et c’est la promenade jusqu’au cimetière, pas loin.

Les premiers rangs chialent en marchant, comme partout. Ceux d’ensuite sont graves, ceux d’après discutent et les derniers se marrent. On fait partie des silencieux-recueillis, Populi et mézigue. Il moufte pas.

Et c’est le cimetière, là que va s’opérer un machin pas banal. Mais alors pas banal du tout, tu vas pouvoir en juger à ta convenance.

Tu sais que tout de suite après les Folies-Bergère et avant Disney Land, dans l’ordre des grandes attractions, tu trouves les cimetières italiens. C’est féerique comme spectacle. Tout ce frometome, ce délire de marbre, de bronze ; ces cohortes d’anges dorés, ces mater dolorosa, ces pleureuses grandeur nature, ces mausolées-châteaux, ces gerbes de fleurs, de pleurs, de feu ; ces chapiteaux frisés, ces fûts enrosés : cinq colonnes doriques à la une ! C’est plein de mignons Parthénons, de temples de Paestum. Y’a de la couleur, de l’apothéose, de l’extravagance plein partout. Ça éplore dans le granit. On va d’un bas-relief à une fresque, d’un jardin tivolien à une villa romaine. Ah, ils ne doivent pas s’emmerder, les morts italiens. Quand tu leur opposes la rigueur des cimetières anglais, par exemple, tu mesures l’à quel point ils sont dorlotés, ces fripons, choyés à l’extrême, mieux logés morts que vivants.