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Je revins à Tanis et gagnai Memphis, puis Thèbes. Ma cange aborda près de la maison dorée, et je me présentai devant Aï et Horemheb et je leur dis:

– Votre volonté a été exécutée. Le prince Shoubattou est mort dans le désert du Sinaï et aucune ombre n'en rejaillira sur l'Egypte.

Ils se réjouirent vivement à cette nouvelle, et Aï prit une chaîne d'or au porteur du sceptre et me la passa au cou, et Horemheb dit:

– Va voir la princesse Baketamon, car elle ne nous croira pas, si nous lui portons cette nouvelle, mais elle pensera que nous avons fait assassiner le prince par jalousie.

La princesse Baketamon me reçut et ses joues et sa bouche étaient fardées de rouge, mais dans ses sombres yeux ovales guettait la mort. Je lui dis:

– Ton prétendant le prince Shoubattou t'a libérée de tes promesses, car il est mort dans le désert du Sinaï de la maladie intestinale du désert, malgré tous mes soins et ceux de son médecin hittite.

Elle arracha les bracelets d'or de ses poignets et me les donna en disant:

– Ton message est bon, Sinouhé, et je t'en remercie, car j'ai déjà été consacrée prêtresse de Sekhmet et mon costume rouge est prêt pour la fête de la victoire. Mais je commence à connaître fort bien cette maladie intestinale, Sinouhé, et je pense à la mort de mon frère le pharaon Akhenaton. C'est pourquoi sois maudit, Sinouhé, sois maudit pour toute l'éternité, que ta tombe soit maudite et que ton nom soit oublié à jamais, car tu as fait du trône des pharaons un jouet de brigands et en moi tu as profané à jamais le sang sacré des pharaons.

Je baissai la tête et mis les mains à la hauteur des genoux devant elle en disant:

– Que tes paroles s'accomplissent.

Puis je sortis, et elle fit balayer le plancher derrière moi jusqu'au seuil de la maison dorée.

Entre-temps, le corps du pharaon Toutankhamon avait été préparé pour l'éternité, et Aï chargea les prêtres de le transporter rapidement dans le tombeau préparé pour lui dans la vallée des rois. Il emporta de riches cadeaux, mais ils étaient peu nombreux, car Aï en avait volé beaucoup. Dès que les cachets eurent été apposés sur la tombe de ce pharaon insignifiant, Aï mit fin au deuil et Horemheb fit occuper par ses soldats toutes les places de Thèbes. Mais personne ne s'opposa au couronnement d'Aï, car le peuple était épuisé et las comme un animal chassé à coups de piques sur une route sans fin, et personne ne demanda quels droits il avait à la couronne.

Aï fut sacré pharaon par les prêtres auxquels il avait donné d'immenses cadeaux, et le peuple l'acclama devant le grand temple d'Amon, car il lui avait distribué du pain et de la cervoise, ce qui était un cadeau précieux, tant l'Egypte était appauvrie Mais bien des gens savaient que le pouvoir réel appartenait à Horemheb et ils se demandaient pourquoi il n'avait pas ceint lui-même la double couronne.

Mais Horemheb savait ce qu'il faisait, car la coupe des souffrances n'était pas encore vidée. En effet des nouvelles alarmantes arrivaient du pays de Koush où il faudrait guerroyer contre les nègres, puis ensuite on devrait encore en découdre avec les Hittites pour la Syrie. C'est pourquoi Horemheb désirait que le peuple accusât Aï de tous les malheurs dus à la guerre, pour ensuite le saluer, lui, comme le vainqueur qui ramène la paix et la prospérité.

Aï était ébloui par le pouvoir et par l'éclat de ses couronnes, et il en jouissait pleinement. Il tint aussi la promesse donnée à Horemheb le jour de la mort du pharaon Akhenaton. C'est pourquoi les prêtres amenèrent la princesse Baketamon en cortège au temple de Sekhmet et ils la vêtirent de rouge et la parèrent des bijoux de la déesse et la firent monter sur l'autel. Horemheb fêta son triomphe sur les Hittites et fut acclamé par tout le peuple, et devant le temple il distribua des chaînes d'or aux soldats et les licencia. Puis il pénétra dans le temple et les prêtres refermèrent les portes de cuivre derrière lui. Sekhmet lui apparut sous les traits de Baketamon, et il prit son dû, car il était soldat et avait attendu longtemps.

Cette nuit, Thèbes fêta Sekhmet et le ciel rougeoya sur la ville et les bousiers de Horemheb vidèrent les gargotes et les auberges et brisèrent les portes des maisons de joie. Bien des gens furent blessés, et quelques incendies furent allumés par les soldats ivres, mais à l'aube les hommes se rendirent devant le temple de Sekhmet pour assister à la sortie de Horemheb. Ils poussèrent des cris dans toutes sortes de langues et jurèrent de surprise en voyant paraître leur chef, car Sekhmet avait été fidèle à son apparence de lionne, et le visage et les bras et les épaules de Horemheb étaient couverts d'égratignures, comme si une lionne l'avait griffé. Les soldats en furent ravis et ils l'aimèrent davantage encore. Mais la princesse Baketamon fut ramenée au palais par les prêtres, sans se montrer à la foule.

Telle fut la nuit de noces de mon ami Horemheb, et je ne sais pas quel plaisir il en eut, car peu après il rassembla ses troupes près de la première chute pour la campagne contre le pays de Koush. Et pendant cette campagne, les prêtres de Sekhmet ne manquèrent pas de victimes, mais ils prospérèrent et engraissèrent, tant le vin et la viande abondaient dans leur temple.

Aï jouissait de sa puissance et il me disait:

– Personne ne m'est supérieur dans le pays de Kemi, et peu importe que je vive ou meure, car le pharaon ne meurt jamais et vit éternellement, et je monterai dans la barque dorée de mon père Amon. J'en suis très content, car je ne tiens nullement à ce qu'Osiris pèse mon cœur dans sa balance, et ses assesseurs, les justes babouins, pourraient présenter de graves accusations contre moi et lancer mon âme dans la gueule du Dévoreur. C'est que je suis déjà âgé, et dans l'obscurité mes actes m'apparaissent souvent. Heureusement, je n'ai pas à redouter la mort, puisque je suis pharaon.

Mais je lui répondis d'un ton ironique:

– Tu es déjà vieux, et je te croyais plus sage. Crois-tu vraiment que l'huile puante des prêtres t'a rendu immortel? En vérité, avec ou sans bonnet royal, tu es le même homme, et la mort ne te respectera pas.

Il se mit à gémir et dit d'une voix tremblante:

– Est-ce donc en vain que j'ai commis tant de mauvaises actions et que j'ai semé la mort autour de moi toute ma vie? Non, tu te trompes certainement, Sinouhé, et les prêtres me sauveront des gouffres des enfers et mon corps vivra éternellement. Mon corps est divin, puisque je suis le pharaon, et personne ne peut rien me reprocher, puisque je suis le pharaon.

C'est ainsi que sa raison commença à sombrer, et il n'eut plus de joie de sa puissance. Craignant pour sa santé, il se privait de vin et se nourrissait de pain sec et de lait cuit. Son corps était trop usé pour se divertir avec des femmes. Peu à peu, il se mit à redouter un attentat, et parfois il n'osait pas toucher à la nourriture de peur d'être empoisonné. Ainsi, ses forfaits l'assiégeaient dans sa vieillesse, et il devenait méfiant et cruel, et tout le monde le fuyait.

Mais le grain d'orge commença à verdir pour la princesse Baketamon, et dans sa colère et son dépit elle chercha à tuer l'enfant dans son sein, mais sans y réussir. Au terme de sa grossesse, elle accoucha d'un fils après de grandes douleurs, car ses hanches étaient étroites, et on lui ôta son fils pour qu'elle ne le maltraitât pas. On raconta bien des légendes sur ce garçon et on prétendit même qu'il était né avec une tête de lion et casqué, mais je puis assurer que c'était un enfant normal, à qui Horemheb fit donner le nom de Ramsès.

Horemheb guerroyait alors dans le pays de Koush et ses chars causèrent de grandes pertes aux nègres qui n'étaient pas habitués à ces engins. Il brûla leurs villages et leurs paillotes et il envoya femmes et enfants en esclavage en Egypte, mais il enrôla les hommes et en forma d'excellents soldats, puisqu'ils n'avaient plus ni femmes ni enfants. C'est ainsi qu'il recruta une nouvelle armée en prévision de la guerre contre les Hittites, car les nègres étaient robustes et ils ne redoutaient pas la mort, quand ils avaient dansé au son de leurs tambours.