Ardmore n’avait pas encore de plan. Quand un homme a du mal à établir une stratégie, il organise généralement une réunion. C’est ce que fit le major.
Il fit aux autres un résumé de la situation, en y incluant ce que lui avaient appris Thomas et les émissions “éducatives” diffusées à la télévision par les conquérants. Puis il discuta avec eux des moyens mis à leur disposition par la section scientifique et des différentes façons évidentes de les utiliser comme armes de guerre, en insistant sur les effectifs qui seraient nécessaires pour utiliser efficacement ces armes. Quand il eut terminé, il les pria de formuler leurs suggestions.
— Dois-je comprendre, major, commença Calhoun, qu’après nous avoir bien souligné que vous prendriez toutes les décisions d’ordre militaire, vous nous demandez maintenant de le faire pour vous ?
— Pas du tout, colonel. Je continue à être seul responsable de toute décision, mais nous nous trouvons dans une situation militaire sans précédent. N’importe quelle suggestion peut se révéler précieuse. Je ne me flatte pas d’avoir le monopole du bon sens, ni celui des idées originales. J’aimerais que chacun de nous s’attelle à ce problème et soumette sa solution à la critique des autres.
— Vous-même, avez-vous un plan à nous proposer ?
— Je réserve mon intervention pour la fin de cette réunion.
— Très bien, major, dit le docteur Calhoun en se redressant, puisque vous le demandez, je vais vous dire ce qui, selon moi, devrait être fait en la circonstance… D’ailleurs, il n’y a pas d’autre alternative.
“Vous n’ignorez pas la puissance fantastique des forces que j’ai découvertes. (Ardmore remarqua que la bouche de Wilkie se pinçait en l’entendant s’accorder tout le mérite de leurs découvertes communes, mais aucune interruption ne se produisit.) Dans votre résumé, on peut dire que, à tout le moins, vous les avez sous-estimées. Nous avons ici, dans la Citadelle, une douzaine de véhicules légers. En les équipant avec des moteurs du type Calhoun, on peut les faire voler plus rapidement que n’importe quel engin dont dispose l’ennemi. Nous y installerons les plus lourds projecteurs et nous attaquerons. Avec nos armes d’une puissance incroyablement supérieure, nous n’aurons pas à attendre bien longtemps pour mettre l’Empire panasiate à genoux !
Ardmore s’étonna qu’un homme puisse être aveugle à ce point, mais, ne désirant pas contrer lui-même Calhoun, il dit :
— Merci, colonel. Je vous demanderai de me soumettre ce plan par écrit, de façon plus détaillée. En attendant, quelqu’un désire-t-il appuyer ou critiquer la suggestion du colonel ?
Il fit une pause, puis ajouta :
— Allons, voyons, aucun plan n’est parfait. Vous devez au moins avoir quelques détails à préciser ?
Graham se jeta à l’eau :
— Tous les combien comptez-vous revenir manger ?
Avant qu’Ardmore ait pu faire appel à lui, Calhoun riposta :
— Mais enfin, bon sang ! Il ne me semble pas que ce soit le moment de plaisanter !
— Un instant ! protesta Graham. Je ne plaisante pas, je suis extrêmement sérieux. Ça, c’est mon rayon, vous comprenez. Nos véhicules ne sont pas conçus pour voler très longtemps ; or il me semble qu’il faudra plus d’une journée pour reconquérir les États-Unis avec une douzaine d’entre eux, même si nous parvenons à rassembler suffisamment d’hommes pour faire des sorties en permanence. Ce qui suppose que vous devrez regagner la base pour manger.
— Oui, et cela signifie aussi que la base devra soutenir des attaques, intervint Scheer.
— La base pourra être défendue à l’aide d’autres projecteurs, rétorqua Calhoun d’un ton dédaigneux. Major, je demande formellement que nous ne discutions que de questions sérieuses.
Ardmore se frotta le menton et ne dit rien.
Randall Brooks, qui avait écouté tout cela d’un air songeur, sortit un morceau de papier de sa poche et se mit à faire un schéma :
— Je crois que Scheer a soulevé un point important, docteur Calhoun. Si vous voulez bien regarder ceci un instant… Là, à cet endroit, se trouve notre base. Les Panasiates peuvent l’encercler complètement tout en se tenant hors de portée des projecteurs la défendant. La vitesse supérieure de vos véhicules n’aura aucune importance, car l’ennemi disposera certainement d’autant d’appareils qu’il en faudra pour empêcher les nôtres de forcer son blocus. Il est vrai que nos engins seront munis de projecteurs avec lesquels ils pourront combattre, mais ils ne pourront pas se battre contre cent adversaires à la fois et les armes dont dispose l’ennemi sont également puissantes, ne l’oublions pas.
— Ça, c’est sûr, elles sont puissantes ! renchérit Wilkie. Nous ne pouvons pas nous permettre de révéler la position de la base. Avec leurs bombardiers à réaction, ils pourraient rester à mille kilomètres de nous et raser cette montagne jusqu’au sol, si par malheur ils savaient que nous sommes dessous !
— Je n’ai pas l’intention de rester plus longtemps à écouter de pusillanimes imbéciles formuler leurs craintes, dit Calhoun en se levant. Mon plan supposait qu’il y aurait de vrais hommes pour l’exécuter.
Et, avec raideur, le colonel quitta la pièce.
Ardmore fit mine d’ignorer son départ et enchaîna rapidement :
— Les objections faites au plan du colonel Calhoun me semblent s’appliquer pour l’instant à tout projet d’attaque directe. J’en ai envisagé plusieurs et je les ai rejetés à peu de chose près pour les mêmes raisons logistiques, notamment le problème du matériel. Toutefois, il peut en exister un, parfaitement réalisable, qui m’aurait échappé. L’un de vous a-t-il un plan d’attaque directe à suggérer, une méthode qui ne ferait pas courir de risques à nos effectifs ?
Personne ne répondit.
— Très bien. S’il vous en venait une à l’esprit plus tard, ne manquez pas de me la soumettre. Pour ma part, il me semble qu’il nous faut agir de façon détournée. Si nous ne pouvons pas attaquer l’ennemi directement, en tout cas pour l’instant, nous allons devoir l’abuser jusqu’à ce que nous en ayons la possibilité.
— Oui, je saisis, dit le docteur Brooks. Le taureau se fatigue contre la cape sans jamais voir l’épée.
— Exactement. J’aimerais seulement que ce soit aussi facile que ça. Maintenant, l’un de vous a-t-il la moindre idée de comment nous pourrions utiliser ce que nous avons à notre disposition, sans que l’ennemi ne puisse apprendre qui nous sommes, où nous sommes, ou combien nous sommes ? Je vais de ce pas fumer une cigarette, pour vous donner le temps d’y réfléchir.
Ardmore se ravisa :
— N’oubliez pas que nous avons deux réels avantages : l’ennemi n’a, apparemment, pas la moindre idée de notre existence, et nos armes lui sont inconnues et peuvent même lui paraître mystérieuses. Wilkie, n’avez-vous pas dit que l’effet Ledbetter ressemblait à de la magie ?
— Et je le répète, chef ! On peut aisément affirmer que, en dehors des instruments existant dans nos laboratoires, il n’y a aucun moyen au monde de déceler les forces que nous utilisons. On n’a même pas idée qu’elles sont en action. C’est comme si vous essayiez de capter une émission de radio avec la seule aide de vos oreilles !
— C’est bien ce que je disais. Des forces mystérieuses. Comme les Indiens lorsqu’ils virent pour la première fois des Blancs armés de fusils : ils mouraient sans savoir pourquoi ! Pensez-y bien. Sur ce, je me tais et je vous laisse réfléchir.