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De toute évidence, ils avaient reçu ordre de tuer d’une façon particulièrement affreuse. Ardmore éteint le poste et annonça aussitôt :

— Le raid est annulé. Allez tous vous coucher. Et que chacun de vous prenne un somnifère ce soir. C’est un ordre !

Ils quittèrent immédiatement la pièce sans rien dire. Après leur départ, Ardmore ralluma la télévision et regarda jusqu’à la fin. Puis il resta assis là un long moment, seul, à essayer de redonner un semblant de cohérence à ses pensées. Ceux qui ordonnent des tours de sommeil ne s’y plient jamais eux-mêmes.

4

Au cours des deux jours qui suivirent, Ardmore se confina dans ses quartiers, prenant ses repas seul et n’accordant que de très brèves audiences. Il voyait désormais clairement quelle avait été son erreur ; l’idée que ce massacre était indirectement la faute d’un autre le réconfortait peu, il se sentait symboliquement coupable.

Mais le problème restait entier, et Ardmore comprenait qu’il avait eu raison de conclure à la nécessité d’une sixième colonne. Une sixième colonne ! Une organisation qui, en apparence, se plierait en tous points aux règles édictées par les occupants, mais qui posséderait secrètement les moyens de renverser les tyrans. Il faudrait peut-être des années pour arriver à ce résultat, mais, à aucun prix, la terrible erreur d’agir ouvertement ne devait être répétée.

Ardmore avait l’intuition que le rapport de Thomas renfermait l’idée dont il avait besoin. Il écouta plusieurs fois l’enregistrement de leur entretien au point de le connaître par cœur, sans parvenir à retrouver ce qu’il cherchait.

“Ils anéantissent systématiquement tout ce qui caractérise la culture américaine. Les écoles ont disparu, les journaux aussi. Imprimer quoi que ce soit en anglais est passible de la peine de mort. Ils ont annoncé comme imminente l’installation d’un réseau de traducteurs pour que la correspondance commerciale puisse être rédigée dans leur langue ; en attendant, seul le courrier indispensable est approuvé par leur service de vérification. Toutes les réunions sont interdites, sauf celles ayant un caractère religieux.

— Je suppose que c’est le résultat de leur expérience en Inde. La religion fait tenir les esclaves tranquilles.

C’était Ardmore qui avait formulé cette remarque et sa propre voix, sur l’enregistrement, lui semblait étrangère.

— Oui, sans doute, major. N’est-ce pas un fait historique que les grands conquérants ont laissé subsister les religions des vaincus, quoi qu’ils aient supprimé par ailleurs ?

— Très juste. Continuez.

— À mon avis, ce qui fait véritablement la force de leur système, c’est leur méthode d’immatriculation. Apparemment, ils étaient parfaitement préparés à la faire entrer en vigueur, et elle a constitué leur première préoccupation, à l’exclusion de toute autre. Les États-Unis ont ainsi été transformés en un immense camp de concentration, à l’intérieur duquel il est presque impossible de se déplacer ou de communiquer sans la permission des matons.

Des mots, encore des mots, et rien d’autre que des mots ! Ardmore les avait écoutés tant de fois qu’ils en avaient presque perdu toute signification. Au fond, peut-être qu’il n’y avait rien dans ce rapport, et que son imagination lui jouait des tours.

On frappa à la porte ; Ardmore fit entrer. C’était Thomas.

— Ils m’ont demandé de venir vous parler, major, dit-il avec embarras.

— À quel sujet ?

— Eh bien… Ils se sont tous réunis dans la salle commune. Ils aimeraient s’entretenir avec vous.

Une autre conférence… Mais, celle-là, on la lui imposait. De toute façon, il ne pouvait pas refuser.

— Dites-leur que je les rejoins dans un instant.

— Bien, major.

Après le départ de Thomas, Ardmore demeura un moment pensif, puis il ouvrit un tiroir et y prit son arme de service. Le seul fait qu’une réunion générale ait été organisée sans sa permission suffisait à lui faire sentir qu’il y avait de la mutinerie dans l’air. Il mit son arme en marche, en vérifia le fonctionnement, s’assura qu’elle était bien chargée, puis la regarda un moment. Finalement, il l’arrêta et la remit dans le tiroir. En la circonstance, elle ne lui serait d’aucune utilité.

Quand il entra dans la salle commune, Ardmore s’assit à sa place habituelle, à la tête de la table, et attendit :

— Alors ?

Brooks regarda autour de lui si quelqu’un d’autre voulait prendre la parole puis, s’éclaircissant la gorge :

— Euh… Nous voulions vous demander si vous aviez un plan d’action à nous indiquer.

— Non, pas encore.

— Eh bien, nous, nous en avons un ! lança Calhoun.

— Oui, colonel ?

— C’est absurde de nous cantonner ici dans l’inaction. Nous détenons les armes les plus puissantes que le monde ait jamais connues, mais il faut des hommes pour les mettre en action.

— Et alors ?

— Nous allons évacuer la Citadelle et gagner l’Amérique du Sud. Là, nous trouverons certainement un gouvernement qui s’intéressera à nos armes suprêmes.

— En quoi cela aidera-t-il les États-Unis ?

— C’est évident ! Les Panasiates ont sans aucun doute l’intention d’étendre leur emprise à l’hémisphère tout entier. Nous pouvons montrer à l’Amérique du Sud l’intérêt d’une guerre préventive. Ou, peut-être, recruter une armée de réfugiés.

— Non !

— Vous ne pouvez pas nous en empêcher, on dirait, major, dit Calhoun avec une satisfaction malveillante.

Ardmore se tourna vers Thomas :

— Vous marchez avec eux ?

Thomas dit, d’un air malheureux :

— J’espérais que vous auriez un meilleur plan, major.

— Et vous, docteur Brooks ?

— Ma foi… ça me paraît réalisable. J’éprouve le même sentiment que Thomas.

— Graham ?

Le silence de Graham valait une réponse. Wilkie regarda Ardmore, puis détourna vivement les yeux.

— Mitsui ?

— Je retournerai dans la clandestinité, major. J’ai une tâche à terminer.

— Scheer ?

Le menton de Scheer trembla :

— Si vous approuvez, alors moi aussi, major.

— Merci, fit Ardmore, qui ajouta en se tournant vers les autres : J’ai dit “Non !” et je maintiens mon opposition. Si l’un de vous quitte la Citadelle, ce sera en violation formelle de son serment. Ça vaut aussi pour vous, Thomas ! Et je ne profère pas un jugement arbitraire. La solution que vous proposez est à bannir, comme le raid que j’ai annulé. Aussi longtemps que le peuple des États-Unis est retenu en otage, à la merci des Panasiates, nous ne pouvons entreprendre aucune action militaire directe. Le fait qu’il s’agisse d’une attaque extérieure au lieu d’une révolution ne changera rien ; des milliers, peut-être des millions d’innocents la paieront de leur vie !

La colère emportait Ardmore, mais il arriva tout de même à regarder autour de lui pour apprécier l’effet de ses paroles. Il avait regagné leur confiance, ou ce n’était qu’une question de minutes. Ils avaient l’air perturbés. C’était vrai pour tous, sauf pour Calhoun.

— En supposant que vous ayez raison, major, dit Brooks avec gravité, y a-t-il quoi que ce soit que nous puissions faire ?

— Je vous l’ai déjà expliqué. Il faut organiser ce que j’appellerais une “sixième colonne” : faire profil bas, nous contenter de repérer les points faibles de l’ennemi et d’agir sur eux.