— Oh, non !
— Non ? Pourquoi ?
— Nous pourrions faire ça, mais quand nous aurions terminé, le résultat ne serait pas bien beau… Et je ne sais pas comment nous pourrions mettre un toit par-dessus. Mon intention était d’utiliser l’effet Ledbetter non seulement pour découper ou transporter les matériaux, mais aussi pour les fabriquer, grâce à la transmutation. Vous comprenez, le granit est principalement composé d’oxydes de silicium, ce qui complique un peu les choses, car ces deux éléments se situent vers le bas de la classification périodique. À moins de nous démener pour nous débarrasser d’une énorme surcharge d’énergie, à savoir l’équivalent de la production de la centrale électrique de Memphis, à moins, donc, d’arriver à pomper cette énergie, et pour l’instant je ne vois pas comment le faire, alors…
— Venez-en au fait, mon vieux !
— J’y viens, major, répondit Wilkie d’un ton blessé. Les transmutations s’opérant depuis le sommet de la classification vers son milieu libèrent de l’énergie ; celles opérées à partir du bas en absorbent. Vers le milieu du siècle dernier, les savants ont découvert comment réussir les transmutations de la première sorte et cela a donné naissance aux bombes atomiques. Mais quand on veut obtenir des matériaux de construction par transmutation, on ne tient pas à libérer de l’énergie comme le ferait une bombe atomique ou une centrale nucléaire. Ce serait gênant.
— Je m’en rends bien compte !
— Je vais donc effectuer des transmutations de la seconde sorte, celles qui absorbent de l’énergie. En fait, je vais les équilibrer. Prenez, par exemple, le magnésium qui se situe entre le silicium et l’oxygène. Les énergies en jeu…
— Wilkie !
— Oui, major ?
— Répondez-moi comme si j’avais sept ans : pouvez-vous ou non fabriquer les matériaux dont vous avez besoin ?
— Oui, major, bien sûr !
— Alors, en quoi puis-je vous être utile ?
— Eh bien, major, c’est pour la question du toit… et des dimensions. Vous dites que dix mètres de long ne suffiraient pas…
— Absolument pas ! Avez-vous vu l’Exposition d’Amérique du Nord ? Vous souvenez-vous du Pavillon de la Puissance Atomique ?
— J’en ai vu des photos.
— Je veux quelque chose d’aussi voyant et imposant… mais en plus grand. Qu’est-ce qui vous limite à dix mètres ?
— Eh bien, un panneau de deux mètres sur dix est le plus grand que je puisse faire passer par la porte, compte tenu du virage formé par le couloir.
— Utilisez le monte-charge destiné aux véhicules.
— J’y ai bien pensé, monsieur. On pourrait y mettre un panneau de cinq mètres de large, ce qui serait parfait, mais la longueur ne pourrait pas dépasser neuf mètres, car il y a également un virage entre le hangar et le monte-charge.
— Hmm ! Avec votre bidule magique, vous ne pouvez pas faire des soudures ? Je me disais que vous bâtiriez le temple par sections, ici, en bas, et que vous assembleriez ensuite ces sections sur place ?
— Oui, c’était bien mon idée. Je pense qu’en les soudant, nous pourrions obtenir des murs aussi grands que vous le souhaitez. Mais vraiment, major, quelles dimensions voulez-vous pour votre temple ?
— Aussi grand que possible.
— Mais vous, vous diriez quelles dimensions ?
Ardmore le lui dit, et Wilkie eut un sifflement :
— J’imagine que nous parviendrons à vous construire d’aussi grands murs, mais je ne sais pas du tout comment mettre un toit par-dessus.
— Il me semble bien, pourtant, avoir déjà vu des bâtiments à portée libre aussi grands que ça.
— Oui, bien sûr. Assurez-moi le concours d’ingénieurs, d’architectes, et de l’industrie lourde, pour construire une charpente qui supporterait un toit pareil, et je vous bâtirai un temple aussi grand que vous voudrez. Mais Scheer et moi ne pouvons pas faire ça à nous deux, avec le seul concours des rayons tracteurs et presseurs. Je suis désolé, major, mais je ne vois pas de solution.
Ardmore se leva et posa sa main sur le bras de Wilkie :
— Vous ne la voyez pas… pour l’instant. Ne vous affolez pas, Bob. Tout ce que vous construirez me conviendra. Mais n’oubliez pas que ce temple sera notre première manifestation publique. Beaucoup de choses en dépendront. Nous ne pouvons pas espérer impressionner nos vainqueurs avec une baraque à frites. Faites-le aussi grand qu’il vous sera possible. Je voudrais qu’il soit imposant comme la grande pyramide… mais que vous ne mettiez pas aussi longtemps à le construire !
— Je vais essayer, monsieur, dit Wilkie, le front soucieux. Je retourne y réfléchir.
— Parfait !
Quand Wilkie fut parti, Ardmore se tourna vers Thomas :
— Qu’en pensez-vous, Jeff ? Est-ce que je suis trop exigeant ?
— Je me demande, répondit Jeff lentement, pourquoi vous attachez autant d’importance à ce temple.
— Eh bien, tout d’abord, c’est une couverture parfaite pour la Citadelle. À moins que nous ne restions assis là jusqu’à ce que nous mourions de vieillesse, un temps viendra où quantité de gens auront besoin d’entrer dans la Citadelle et d’en sortir. Dans ces conditions, son emplacement ne pourra pas être tenu secret. Il nous faudra donc trouver une raison, un prétexte à ces allées et venues. Dans une église, il y a toujours des gens qui entrent ou qui sortent, pour la messe et tout ce qui va avec. C’est justement ce qui ira avec, que je veux dissimuler.
— Je le comprends bien. Mais un édifice de dix mètres de côté peut dissimuler un escalier dérobé tout aussi bien que le palais des congrès que vous demandez au jeune Wilkie de vous aménager.
Ardmore eut un geste d’impatience. Bon sang !… Était-il le seul à avoir le sens de la publicité ?
— Écoutez, Jeff, tout dépend de l’impression que nous ferons au départ. Si Christophe Colomb s’était présenté à la cour d’Espagne pour demander l’aumône, on l’aurait flanqué à la porte du palais. Or, il se trouve qu’il a obtenu les joyaux de la couronne. Il faut que nous ayons une façade imposante.
— Oui, peut-être, fit Thomas sans trop de conviction.
Quelques jours plus tard, Wilkie demanda, pour Scheer et lui-même, la permission de sortir. S’étant assuré qu’ils n’iraient pas trop loin, Ardmore accepta, non sans leur avoir recommandé d’être extrêmement prudents.
Un moment plus tard, Ardmore rencontra les deux hommes dans le couloir, se dirigeant vers les laboratoires et transportant un énorme bloc de granit. Harnaché d’un projecteur Ledbetter portable, Scheer émettait des rayons tracteurs et presseurs qui maintenaient l’énorme masse au-dessus du sol et à distance suffisante des murs. Wilkie avait attaché une corde au rocher et le conduisait comme s’il s’agissait d’une vache.
— Nom d’un petit bonhomme ! s’exclama Ardmore. Qu’avez-vous donc là ?
— Un morceau de la montagne, major.
— Je le vois bien. Mais pourquoi ?
Wilkie prit un air mystérieux :
— Major, pourriez-vous nous accorder quelques instants, un peu plus tard dans la journée ? Nous aurons peut-être quelque chose à vous montrer.
— Bon, bon. Si vous ne voulez pas parler, ne dites rien, c’est votre affaire !
Bien plus tard, Wilkie téléphona à Ardmore pour lui demander s’il pouvait venir, en suggérant que Thomas l’accompagne. Quand ils arrivèrent dans la pièce qui servait d’atelier, tous les autres membres de la Citadelle s’y trouvaient déjà, à l’exception de Calhoun.
— Avec votre permission, major, dit Wilkie en les accueillant, nous allons commencer.
— Trêve de politesses. N’attendez-vous pas le colonel Calhoun ?
— Je l’ai prié de venir, mais il a décliné l’invitation.