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Ardmore pesa ses mots avant de répondre :

— Alec, dit-il enfin d’un ton grave, je pense comprendre vos scrupules et je ne veux demander à personne d’agir contre sa conscience. En fait, nous n’aurions jamais décidé d’opérer sous le couvert d’une religion si nous avions trouvé un autre moyen concret de lutte pour libérer les États-Unis. Votre foi vous interdit-elle de vous battre pour votre pays ?

— Non, c’est exact.

— En tant que prêtre de cette église, vous aurez surtout à aider les nécessiteux. Cela entre-t-il dans le cadre de votre religion ?

— Évidemment, mais c’est justement pour ça que je ne peux pas le faire au nom d’un faux dieu.

— Mais est-ce un faux dieu ? Croyez-vous que Dieu se soucie beaucoup du nom que vous lui donnez, du moment que ce que vous accomplissez en ce nom le satisfait ? Attention, ajouta vivement Ardmore, je ne prétends pas que le soi-disant temple que nous avons bâti ici est vraiment une maison de Dieu, mais l’adoration de Dieu n’est-elle pas liée au sentiment que nous éprouvons pour lui, au fond de notre cœur, plutôt qu’aux prières et au décorum ?

— C’est juste, major, ce que vous dites là est parole d’évangile. Mais toute cette histoire me dérange profondément.

Ardmore s’était rendu compte que Calhoun écoutait cette discussion en dissimulant mal son impatience. Il préféra conclure :

— Alec, je veux que vous alliez réfléchir à tout ça. Venez me voir demain. Si vous ne pouvez pas concilier cette mission avec votre conscience, je vous libérerai de toute obligation et vous deviendrez objecteur de conscience. Vous n’aurez même plus à servir à la cuisine.

— Je ne veux pas que les choses aillent jusque-là, major. Il me semble que…

— Non, sincèrement. Si prêcher n’est pas acceptable, cuisiner non plus. Je ne veux pas prendre la responsabilité d’obliger un homme à faire ce qu’il considère comme un péché. Maintenant, retirez-vous et allez réfléchir.

Et Ardmore le poussa hors de la pièce sans lui donner la possibilité de discuter davantage.

Calhoun fut incapable de se contenir plus longtemps :

— Vraiment, major, je n’en reviens pas ! Avez-vous vraiment l’intention de laisser la superstition prendre le pas quand il s’agit d’une nécessité d’ordre militaire ?

— Non, colonel, je n’en ai pas l’intention. Mais dans le cas présent, cette superstition, comme vous l’appelez, est une donnée d’ordre militaire. L’attitude d’Alec Howe est la préfiguration d’un problème auquel nous allons devoir faire face : l’attitude des religions traditionnelles envers celle que nous venons d’inventer.

— Peut-être que nous aurions dû imiter les religions les plus courantes, suggéra Wilkie.

— Peut-être… J’y ai pensé, mais j’avais du mal à visualiser la chose. Je n’arrive pas à imaginer l’un de nous en train de se faire passer pour un pasteur protestant, par exemple. Je ne suis franchement pratiquant, mais je ne crois pas que je pourrais encaisser ça. Au fond, peut-être que j’éprouve les mêmes scrupules que Howe. Dans tous les cas, c’est un problème que nous devons affronter. Nous devons tenir compte de l’attitude des autres églises et éviter autant que possible de marcher sur leurs plates-bandes.

— J’ai peut-être une idée qui va dans ce sens, dit Thomas. Pourquoi un des principes de notre religion ne serait-il pas d’intégrer, de tolérer, et même d’encourager toute autre forme de culte privilégiée par nos ouailles ? Sans compter que toutes les églises, surtout à l’heure actuelle, sont noyées sous le flot d’œuvres de charité à accomplir. Nous pourrions leur apporter une aide financière sans rien exiger en retour ?

— Ces deux suggestions sont tout à fait valables, estima Ardmore, mais cette entreprise sera extrêmement délicate. Chaque fois que cela sera possible, nous enrôlerons dans notre organisation des prêtres et des pasteurs de cultes réguliers. Je parie que tout Américain sera avec nous dès qu’il comprendra vers quel but nous tendons. La question sera de décider auxquels d’entre eux nous pourrons confier la totalité de notre secret. Maintenant, en ce qui concerne Denver… Jeff, êtes-vous prêt à y retourner dès demain ?

— Et Howe ?

— Je crois qu’il va finir par se décider.

— Un instant, major, intervint le docteur Brooks qui, comme à son habitude, était resté silencieux tandis que les autres discutaient. Il serait bon, me semble-t-il, d’attendre un jour ou deux, jusqu’à ce que Scheer ait apporté quelques modifications aux émetteurs dissimulés dans les crosses.

— Quelles sortes de modifications ?

— Nous avons établi de façon expérimentale, vous vous en souvenez, que l’effet Ledbetter pourrait être utilisé comme agent stérilisateur ?

— Oui, oui, parfaitement.

— C’est pourquoi nous avons pensé raisonnable d’estimer que nous pourrions soulager les malades. Or, il se trouve que nous avions sous-estimé les possibilités de notre découverte. Au début de la semaine, je me suis inoculé le virus de l’anthrax…

— L’anthrax ! Nom de dieu, docteur, pourquoi prendre un tel risque ?

Brooks regarda Ardmore avec bienveillance :

— Mais parce que c’était nécessaire, voyons, expliqua-t-il patiemment. Les expériences effectuées sur les cobayes avaient été concluantes, certes, mais pour pouvoir établir la méthode d’action, il fallait expérimenter la chose sur un être humain. Donc, comme je vous le disais, je me suis inoculé le virus de l’anthrax et j’ai laissé la maladie suivre son cours, puis je me suis exposé à l’effet Ledbetter, en utilisant toutes les longueurs d’ondes, sauf la bande de fréquences fatales aux vertébrés à sang chaud. La maladie a disparu. En moins d’une heure, la supériorité naturelle de l’anabolisme sur le catabolisme avait balayé le résidu des symptômes pathologiques. J’étais guéri.

— Nom d’un petit bonhomme ! Pensez-vous que l’effet Ledbetter agira aussi rapidement sur d’autres maladies ?

— J’en suis convaincu. Non seulement parce que les expériences que j’ai pratiquées sur des animaux le prouvent, mais aussi parce que j’ai eu un autre résultat inattendu, quoique théoriquement prévisible. Comme certains d’entre vous ont pu le remarquer, depuis quelque temps je souffrais d’un assez gros rhume. L’effet Ledbetter a non seulement guéri mon anthrax, mais il a également fait complètement disparaître mon rhume. Or le virus du rhume comprend plus d’une douzaine d’agents pathogènes connus et probablement autant d’autres qui nous sont inconnus. L’effet Ledbetter les a tous détruits indistinctement.

— Je suis enchanté de votre rapport, docteur, répondit Ardmore. À long terme, cette découverte se révélera sans doute beaucoup plus importante pour la race humaine que le simple usage militaire que nous pouvons en faire actuellement. Mais en quoi cela peut-il influer sur l’établissement d’un temple annexe à Denver ?

— Peut-être en rien, major. Mais j’ai pris sur moi de demander à Scheer de modifier un des émetteurs portables, de façon à ce qu’un de nos agents puisse aisément opérer des guérisons grâce à la seule aide de sa crosse. Et j’ai pensé que vous préféreriez peut-être attendre que Scheer apporte la même modification aux crosses que vont utiliser Thomas et Howe.

— Oui, vous avez raison, à condition que cela ne demande pas trop longtemps. Puis-je voir cette modification ? s’enquit Ardmore.

Scheer exhiba la crosse sur laquelle il avait travaillé. À première vue, elle ne paraissait pas différente des autres. C’était un grand bâton de deux mètres, surmonté d’un chapiteau en forme de cube ornementé, d’environ dix centimètres d’arête. Les différentes couleurs des faces de ce cube correspondaient à celles des murs du temple. La base du cube et le bâton lui-même étaient dorés à l’or fin et recouverts d’arabesques compliquées en bas-relief, dont le délicat travail servait surtout à masquer efficacement les commandes de l’émetteur dissimulé dans le cube.