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Jeff poursuivit son interrogatoire. Qui payait Johnson ? Qu’est-ce que les Panasiates s’attendaient à découvrir ? Comment devait-il faire son rapport ? Et quand devait-il faire le prochain ? Avait-il des complices ? Que pensaient les Panasiates du temple de Mota ? Le chef de Johnson savait-il qu’il passait la nuit dans le temple ?

Et, enfin, qu’est-ce qui l’avait poussé à trahir son propre peuple ?

L’effet de la drogue commençait à s’atténuer, et Johnson avait de nouveau vaguement conscience de ce qui l’environnait, mais il était encore loin de l’autocensure et continuait à parler avec un sauvage mépris de l’opinion que Jeff et Alec pourraient avoir de lui :

— Un homme doit penser d’abord à lui-même, non ? Quand on est futé, on sait s’accommoder de tout.

— Sans doute ne sommes-nous pas très futés, Alec, commenta Thomas.

Puis il resta silencieux pendant quelques instants avant d’ajouter :

— Je crois qu’il nous a dit tout ce qu’il savait. Je suis en train de me demander ce que nous allons faire de lui.

— Si je lui faisais une autre piqûre, il nous en apprendrait peut-être davantage.

— Vous ne me ferez pas parler ! s’écria Johnson qui ne semblait pas avoir conscience des révélations qu’il venait de faire.

Thomas le gifla du revers de la main :

— Tais-toi ! Nous n’avons qu’une piqûre à faire, et tu parleras. Pour l’instant, tiens-toi tranquille !

Puis, se tournant vers Alec :

— Si nous l’expédions à la Citadelle, ils arriveront peut-être à lui soutirer plus de renseignements, mais ça me paraît peu probable et ce serait aussi difficile que dangereux. Si nous étions surpris avec lui ou s’il s’échappait, nous serions cuits. Je pense qu’il vaut mieux nous débarrasser de lui maintenant, ici même.

Le visage de Johnson exprima un soudain effroi et il tenta de s’asseoir, mais le rayon d’Alec le tenait cloué au lit.

— Hé ! De quoi parlez-vous ? cria l’homme. Ce serait un meurtre !

— Faites-lui une autre piqûre, Alec. Nous ne pouvons pas travailler dans un tel boucan.

Sans mot dire, Howe fit rapidement l’injection, en dépit de la résistance de Johnson. Celui-ci se débattit encore un peu avant de céder à l’effet de la drogue. Quand Howe se redressa, son visage reflétait un désarroi aussi total que celui de Johnson.

— Est-ce que vous vouliez bien dire ce que j’ai compris, Jeff ? J’ai accepté de servir la cause, mais pas de commettre des meurtres.

— Ce n’est pas un crime, Alec. Nous exécutons un espion.

Howe se mordilla la lèvre :

— Je crois, dit-il, que ça ne me gênerait pas le moins du monde de tuer un type en combat loyal. Mais le mettre à mort après l’avoir réduit à l’impuissance, comme un porc, ça me retourne l’estomac.

— Les exécutions se passent toujours comme ça, Alec. Avez-vous déjà vu un homme mourir dans une chambre à gaz ?

— Mais c’est un assassinat, Jeff ! Nous n’avons pas autorité pour décider de son exécution !

— Si, moi, j’ai cette autorité, Alec. Je suis un officier supérieur en mission spéciale, et nous sommes en temps de guerre.

— Mais, bon sang, Jeff, il n’a même pas été l’objet d’un semblant de procès !

— Un procès a pour but d’établir l’innocence ou la culpabilité d’un prévenu. Est-il coupable ?

— Oh, ça, oui ! Mais un homme a droit à un procès.

— Alec, dit Jeff après avoir marqué un temps, j’ai été avocat. Si la jurisprudence occidentale, telle qu’elle a été échafaudée au cours des siècles, est si compliquée en matière criminelle, c’est pour empêcher qu’un innocent puisse être reconnu coupable et condamné par erreur. Il en résulte parfois qu’un coupable est déclaré innocent, mais ça n’est pas le but recherché. Je n’ai ni le temps, ni le personnel nécessaire pour constituer une cour martiale et soumettre cet homme à un procès dans les formes. Mais sa culpabilité a été établie avec beaucoup plus de certitude que n’aurait pu le faire une cour, et je n’ai pas l’intention de compromettre ma mission ni de mettre en péril nos chances dans cette guerre, juste pour le faire bénéficier de tout l’appareil destiné à protéger les innocents.

“S’il m’était possible d’effacer une partie de sa mémoire, de telle façon que, rendu à la liberté, il puisse assurer à ses maîtres n’avoir vu qu’une secte d’excentriques et des tas de gens affamés en train de manger, je le ferais. Pas pour éviter la sale besogne de tuer Johnson, mais parce que cela embrouillerait l’ennemi. Mais je ne peux absolument pas le laisser partir…

— Ce n’est pas ce que je vous demande de faire, Jeff !

— Taisez-vous, soldat, et écoutez. Si je relâche cet homme avec tout ce qu’il sait maintenant, en admettant même qu’il soit résolu à se taire, les Panasiates n’auraient pas plus de difficultés que nous à le faire parler malgré lui. Nous n’avons pas la structure nécessaire pour le garder ici et il serait dangereux de l’envoyer à la base. J’ai donc l’intention de l’exécuter immédiatement.

Jeff se tut et Alec dit avec hésitation :

— Capitaine Thomas ?

— Oui ?

— Pourquoi n’appelez-vous pas le major Ardmore afin de voir ce qu’il en pense ?

— Parce que je n’ai aucune raison de le faire. Si je suis obligé de demander au major Ardmore de décider pour moi, c’est que je ne suis pas à la hauteur de ma tâche. Je n’ajouterai qu’une chose : vous êtes trop sensible et émotif pour cette mission. Vous semblez penser que les États-Unis peuvent gagner cette guerre sans que personne ne soit blessé. Vous n’avez même pas le courage de regarder mourir un traître. J’avais espéré pouvoir vous confier, sous peu, la direction de ce temple, mais au lieu de cela, je vous renvoie dès demain à la Citadelle et je dirai dans mon rapport au commandant en chef que vous êtes totalement inapte à toute mission impliquant un contact avec l’ennemi. En attendant, vous exécuterez mes ordres. Aidez-moi à traîner ce colosse dans la salle de bains.

Les lèvres de Howe tremblèrent, mais il ne dit rien. Les deux hommes portèrent Johnson, toujours inconscient, dans la pièce voisine. Avant de “consacrer” le temple, Thomas avait fait abattre une cloison dans le sous-sol entre les toilettes du gardien et le réduit mitoyen, et y avait fait installer une vieille baignoire. Ils y déposèrent Johnson.

— Pourquoi dans la baignoire ? demanda Howe en s’humectant les lèvres.

— Parce qu’il va y avoir du sang partout.

— Vous n’allez pas utiliser votre crosse ?

— Non, il me faudrait une heure pour la démonter et enlever le circuit qui bloque les fréquences fatales aux hommes blancs. Et je ne suis pas sûr que je saurais ensuite la remettre dans son état premier. Donnez-moi votre rasoir droit et sortez.

Howe alla chercher son rasoir et revint, mais il ne le tendit pas à Jeff.

— Avez-vous déjà égorgé un porc ? demanda-t-il.

— Non.

— Alors, je saurai mieux m’y prendre que vous.

Se penchant sur la baignoire, Howe releva le menton de Johnson. L’homme respirait pesamment et il émit un grognement. Howe fit un geste rapide et trancha net la gorge de Johnson. Il laissa retomber la tête, se redressa et regarda le sang rouge jaillir dans la baignoire. Il cracha dedans, puis s’approcha du lavabo et nettoya son rasoir.

— Je crois que j’ai parlé un peu trop vite, Alec, dit Jeff.

— Non, répondit lentement Howe sans relever la tête, pas du tout. Mais vous comprenez, il faut un certain temps pour s’habituer à l’idée de la guerre.

— Oui, c’est juste. Allez, débarrassons-nous de ça.