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En dépit de sa nuit très courte, Jeff Thomas se leva extrêmement tôt, car il voulait faire son rapport à Ardmore avant l’office du matin. Le major l’écouta avec attention, puis il dit :

— Je vais vous envoyer Scheer pour installer un bouclier à la porte du sous-sol ; cet équipement sera systématiquement installé dans tous les futurs temples. Et en ce qui concerne Howe, voulez-vous le renvoyer ici ?

— Non, décida Thomas. Je pense que maintenant il a passé le cap. Il est délicat de nature, mais il a beaucoup de force morale. Et puis bon sang, patron, il nous faut bien avoir confiance en quelqu’un !

— Êtes-vous décidé à lui laisser la direction du temple ?

— Eh bien… oui, maintenant je le suis. Pourquoi ?

— Parce que je veux que vous vous rendiez à Salt Lake City, pour ainsi dire immédiatement. J’ai passé quasiment une nuit blanche à réfléchir à ce que vous m’aviez dit hier. Vous m’avez stimulé, Jeff, mon esprit commençait à se relâcher et à se ramollir. Combien de recrues possibles avez-vous en ce moment ?

— Treize, maintenant que Johnson n’est plus dans le coup. Bien entendu, ce ne sont pas tous d’éventuels candidats à la “prêtrise”.

— Je veux que vous me les envoyiez tous ici immédiatement.

— Mais, patron, je ne les ai pas encore examinés.

— J’opère un changement radical des procédures. Les interrogatoires sous l’influence du penthotal auront lieu uniquement ici, à la Citadelle. Vous n’avez pas l’infrastructure nécessaire pour le faire convenablement. J’assigne Brooks à cette tâche. Il se chargera de les examiner, et je vous enverrai ceux qui auront subi victorieusement cette épreuve. À partir de maintenant, la première tâche des “prêtres” sera de repérer des candidats potentiels et de les expédier au Temple suprême.

Thomas étudia un instant cette nouvelle organisation, puis il dit :

— Et les types comme Johnson, qu’en fera-t-on ? Nous ne voulons pas que des gars dans son genre pénètrent dans la Citadelle.

— J’ai prévu la chose, et c’est la raison pour laquelle l’interrogatoire aura désormais lieu ici. Le candidat sera drogué à son insu au moment où il ira se coucher. Puis on lui fera une injection, on le réveillera, et on l’interrogera durant la nuit. S’il répond de façon satisfaisante, tout sera parfait. Dans le cas contraire, il ne saura jamais qu’il a été drogué et interrogé, mais croira avoir subi victorieusement l’épreuve d’admission.

— Hein ?

— C’est toute la beauté de la chose ! Le candidat indésirable sera admis à servir le grand dieu Mota et nommé frère lai, et ensuite, nous lui en ferons baver. Il dormira dans une cellule vide, lessivera les sols, sera nourri peu et mal, et passera plusieurs heures par jour, agenouillé, à faire ses dévotions. Il sera soumis à une discipline si dure qu’il n’aura jamais la possibilité de soupçonner que le Temple suprême recouvre autre chose que le roc de la montagne. Quand il en aura suffisamment enduré, il demandera à être relevé de ses vœux et nous y consentirons avec tristesse. Après quoi, il pourra s’en aller raconter ce qu’il veut à ses maîtres, si ça lui fait plaisir !

— L’idée me paraît excellente, major, s’enthousiasma Thomas. Vous allez bien rigoler, et en plus je suis convaincu que ça marchera.

— Moi aussi et, par ce moyen, nous tirerons parti des agents de l’ennemi. Après la guerre, nous les alignerons tous et nous les fusillerons. Enfin, je veux dire tous les vrais espions, pas les crânes de piaf. Mais c’est un détail ; parlons plutôt des candidats qui seront admis. Il me faut des recrues et il me les faut vite. Envoyez-m’en plusieurs centaines le plus rapidement possible. Dans le tas, je sélectionnerai au moins soixante candidats à la “prêtrise”, je les entraînerai et je les enverrai à l’assaut des villes, tous en même temps. Vous m’avez parfaitement convaincu, Jeff, du danger qu’il y avait à attendre. Je veux toucher simultanément tous les centres névralgiques des Panasiates. Vous m’avez persuadé que c’est notre seule chance de mener cette mascarade à bien.

Thomas siffla :

— Vous n’en demandez pas un peu beaucoup, patron ?

— C’est faisable. Voici les nouvelles recommandations concernant le recrutement. Branchez votre enregistreur.

— C’est fait.

— Bon. N’envoyez ici que les candidats ayant perdu leur proche famille du fait de l’invasion panasiate, ou ayant, à première vue, d’autres raisons valables d’être loyaux envers nous, même dans les pires circonstances. Éliminez les personnes manifestement instables, mais laissez au personnel de la Citadelle le soin de procéder à des évaluations psychologiques plus minutieuses. N’envoyez que des candidats faisant partie des catégories suivantes. Pour la prêtrise : représentants de commerce, publicitaires, vendeurs, journalistes, prédicateurs, politiciens, psychologues, camelots, bonimenteurs de foire, chefs du personnel, psychiatres, avocats d’assises, directeurs de théâtre. Pour les travaux n’impliquant pas de contact avec le public ou l’ennemi : ouvriers métallurgistes qualifiés, techniciens en électronique, bijoutiers, horlogers, ouvriers de précision dans n’importe quel domaine, cuisiniers, sténographes, techniciens de laboratoire, physiciens, couturières. Dans cette seconde catégorie, vous pouvez recruter des femmes pour n’importe lequel de ces emplois.

— Mais pas pour la “prêtrise” ?

— Qu’en pensez-vous ?

— J’y suis opposé. Les Panasiates tiennent les femmes pour quantité négligeable, et encore. Je ne pense pas qu’une femme “prêtre” pourrait travailler en contact avec eux.

— C’est aussi mon sentiment. Bon, et maintenant, Alec pourra-t-il opérer le recrutement en suivant ces directives ?

— Hmm… Patron, ça m’ennuie de le laisser seul ici dès maintenant.

— Mais il n’est du genre à faire un lapsus susceptible de nous trahir, n’est-ce pas ?

— Non, je crains plutôt qu’il n’obtienne pas beaucoup de résultats.

— Alors aiguillonnez-le, dites-lui qu’il faut réussir vite ou périr. À partir de maintenant nous allons forcer la chance, Jeff. Laissez-lui le temple et venez ici au rapport. Vous et Scheer repartirez immédiatement pour Salt Lake City, de façon officielle. Achetez une seconde voiture et emmenez votre chauffeur, Alec en recrutera un autre. Je veux que Scheer soit de retour à la base d’ici quarante-huit heures et qu’ensuite, vous ne tardiez pas plus de deux jours à m’envoyer vos premières recrues. Dans deux semaines, j’enverrai quelqu’un vous relever, soit Graham, soit Brooks…

— Hum ! Ni l’un ni l’autre ne me semblent avoir le tempérament nécessaire.

— Ils seront bien capables de vous remplacer quand vous aurez mis la chose en marche. D’ailleurs, celui que je vous enverrai ne tardera pas à être relevé à son tour par un nouveau prêtre plus doué. À votre retour ici, vous créerez un “séminaire”, ou plutôt, vous le reprendrez et vous en améliorerez les méthodes. Je le fonde dès maintenant, avec les effectifs disponibles. Ce sera votre tâche. Je ne vous enverrai plus sur le terrain, sinon peut-être pour remédier aux problèmes potentiels.

— Ah ça, vraiment, j’ai bien fait de parler ! soupira Thomas.

— Pour ça, oui. Et maintenant, remuez-vous le train.

— Un instant. Pourquoi spécialement Salt Lake City ?

— Parce que cette ville me paraît être un excellent point de recrutement. Les mormons sont des gens sagaces, ils ont le sens pratique, et je ne pense pas que vous trouviez un seul traître parmi eux. Si vous vous y attelez, je suis persuadé que vous parviendrez à convaincre leurs doyens que le grand dieu Mota est un puissant allié et qu’il ne menace aucunement leurs convictions religieuses. Nous devrions avoir bien plus souvent recours aux religions légitimes ; elles devraient constituer l’ossature de notre organisation. Prenez les mormons, par exemple : ils font appel à des missionnaires laïcs. Si vous savez y faire, vous pourrez en recruter un certain nombre, qui seront des hommes courageux et expérimentés, habitués à s’organiser en territoire hostile, diplomates et bons prédicateurs. Vous saisissez ?