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— C’est bien ce qui me tracasse, Francis. J’avais, dans ma congrégation, une femme atteinte d’un cancer incurable. Or je savais que des cas semblables avaient semblé guéris par ces… ces charlatans ! Que devais-je faire ? J’ai prié, mais je n’ai pas trouvé de réponse.

— Et qu’avez-vous fait ?

— Dans un moment de faiblesse, je leur ai envoyé cette femme.

— Et alors… ?

— Ils l’ont guérie.

— Alors, à votre place, je ne me tracasserais pas trop. Vous et moi ne sommes pas les seuls instruments de Dieu en ce bas monde.

— Attendez la suite. Cette femme n’est revenue qu’une fois dans mon église, puis elle est entrée dans le sanctuaire – si l’on peut appeler ça un sanctuaire – qu’ils ont créé pour les femmes. Elle est perdue pour moi, entièrement dévouée à ces idolâtres ! C’est ce qui me torture, Francis. À quoi lui servira-t-il d’avoir guéri son corps, si c’est pour risquer son âme ?

— Était-ce une brave femme ?

— Une des meilleures que je connaisse.

— Alors, je pense que Dieu saura prendre soin de son âme, sans votre assistance, ni la mienne. Sans compter, David, poursuivit l’abbé Doyle en regarnissant sa pipe, que ces soi-disant prêtres… ne sont pas opposés à ce que vous ou moi leur accordions notre concours dans le domaine spirituel. Vous savez qu’ils ne célèbrent pas de mariages ? Si vous désirez utiliser leurs installations, je suis sûr qu’ils consentiront aisément à…

— Mais cela ne me viendrait jamais à l’esprit !

— Peut-être, peut-être. Mais j’ai trouvé un micro dissimulé dans mon confessionnal…

Le prêtre n’acheva pas, mais sa bouche se pinça, puis il reprit :

— Depuis ce jour, je leur emprunte un coin de leur temple chaque fois que j’ai à entendre quelque confession susceptible d’intéresser nos maîtres asiatiques.

— Francis ! Que me dites-vous là ? s’exclama le pasteur, avant de reprendre plus calmement : Votre évêque est-il au courant ?

— Oh, vous savez, Monseigneur est très occupé et…

— Vraiment, Francis !

— Attendez, je lui ai écrit une lettre, en lui expliquant la situation aussi clairement que possible. Un jour, je trouverai bien quelqu’un qui voyagera dans cette direction et la lui portera. Je répugne, pour les questions religieuses, à m’en remettre à un traducteur public qui pourrait dénaturer ma pensée.

— Alors, vous n’avez pas mis votre évêque au courant ?

— Ne vous ai-je pas dit que je lui avais écrit une lettre ? Dieu a vu cette lettre. Il importe donc peu que Monseigneur attende un peu pour la lire.

Ce fut environ deux mois plus tard que David Wood prêta serment et entra dans les services secrets de l’armée des États-Unis. Il ne fut pas très surpris quand, à certains signes de reconnaissance, il comprit que l’abbé Doyle en faisait également partie.

Le mouvement prenait sans cesse de l’ampleur. L’organisation mais aussi la communication se développaient : sous chacun de ces temples si tape-à-l’œil, protégés grâce à des moyens indécelables par la science classique, des opérateurs se relayaient sans trêve aux appareils de para-radio fonctionnant sur une bande de fréquences des spectres additionnels. C’étaient des hommes qui ne voyaient jamais la lumière du jour et qui n’étaient en contact direct qu’avec le prêtre de leur temple ; des hommes portés disparus sur les fichiers des conquérants ; des hommes qui acceptaient avec philosophie cette routine pénible comme une nécessité de la guerre. Leur moral était au plus haut, car ils étaient de nouveau libres, et qu’ils luttaient au nom de cette liberté, aspirant au jour où leurs efforts libéreraient tous les Américains, de la côte de l’Atlantique à celle du Pacifique.

À la Citadelle, des femmes pourvues d’écouteurs tapaient soigneusement tout ce que les opérateurs de para-radio avaient à rapporter. Elles classaient, condensaient et répertoriaient les informations. Deux fois par jour, l’officier préposé aux communications déposait sur le bureau du major Ardmore un rapport résumant les douze heures précédentes. Toute la journée, des dépêches adressées directement à Ardmore arrivaient aussi en masse d’une bonne douzaine de diocèses, et s’entassaient sur son bureau.

Pour compléter cette multitude de feuilles volantes requérant toutes son attention personnelle, d’autres rapports s’empilaient sur sa table, cette fois en provenance des laboratoires, car Calhoun avait maintenant suffisamment d’assistants pour remplir toutes ces salles pleines de fantômes, et il les faisait travailler seize heures par jour.

De son côté, le service du personnel inondait lui aussi le bureau d’Ardmore d’autres rapports : classification des recrues par tempérament et par aptitudes, demandes d’autorisations, de personnel supplémentaire : “Le service du recrutement aurait-il l’amabilité de trouver quelqu’un pour tel ou tel emploi ?” Cette question du personnel était un vrai casse-tête. Combien d’hommes étaient-ils capables de garder un secret ? Le personnel comprenait trois grandes divisions : tout d’abord, les recrues inférieures, secrétaires et employés de bureau, en majeure partie des femmes, qui n’avaient absolument aucun contact avec l’extérieur. Ensuite, les employés locaux des temples, qui étaient en contact avec le public, mais ne savaient que ce qu’ils avaient absolument besoin de savoir, ignorant toujours qu’ils servaient dans l’armée. Enfin, les “prêtres” eux-mêmes, qu’il était indispensable de mettre au courant de tout.

On faisait prêter serment et jurer le secret à ces derniers, qui intégraient ainsi l’armée américaine, et on leur expliquait la vraie signification de toute l’organisation. Cela dit, les “prêtres” eux-mêmes ne se voyaient pas confier le secret des principes scientifiques qui étaient à l’origine des miracles qu’ils accomplissaient. Ils avaient reçu un entraînement extrêmement minutieux à l’usage du matériel qui leur était confié, afin qu’ils puissent manipuler leurs crosses mortelles sans commettre d’erreur, mais, si l’on exceptait les rares sorties des sept membres fondateurs de l’organisation, aucune personne ayant connaissance de l’effet Ledbetter et de ses dérivés n’était autorisée à s’absenter de la Citadelle.

Les candidats à la prêtrise convergeaient, sous le couvert de pèlerinages, de tous les temples vers le Temple suprême situé près de Denver. Là, ils séjournaient dans le monastère souterrain installé entre le temple et la Citadelle, et étaient soumis à tous les tests de comportement possibles et imaginables. Ceux qui ne remplissaient pas les conditions requises étaient renvoyés dans leurs temples locaux, pour y servir en qualité de frères lais, sans rien savoir de plus qu’à leur arrivée.

Ceux qui passaient victorieusement les tests destinés à les mettre en colère, à les rendre loquaces, à éprouver leur loyauté ou à briser leurs nerfs, étaient ensuite interrogés par Ardmore dans son accoutrement de grand prêtre de Mota, Seigneur universel. Le major renvoyait plus de la moitié des candidats, sans autre raison qu’un vague instinct lui disant que tel ou tel homme ne convenait pas.

En dépit de toutes ces précautions, Ardmore n’enrôlait jamais un nouvel officier pour l’envoyer prêcher sans éprouver un profond malaise à l’idée que cet homme constituait peut-être justement le maillon faible qui ruinerait toute l’entreprise.

Toute cette tension finissait par user les nerfs d’Ardmore. C’était trop de responsabilités pour un seul homme, trop de détails à régler, trop de décisions à prendre. Il lui était de plus en plus difficile de se concentrer sur son travail immédiat, et de trancher sur les questions les plus simples. Et, à mesure que son assurance diminuait, il devenait de plus en plus irritable. Son humeur finissait par gagner ses proches collaborateurs et tendait à contaminer toute l’organisation.