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D’un mouvement de tête, Scheer indiqua qu’il s’en tiendrait aux ordres donnés, mais la façon dont il serrait les dents indiquait qu’il ne les appréciait guère. Ardmore et Wilkie, tous deux vêtus de leur tenue de prêtre, traversèrent le toit, en quête d’un accès aux niveaux inférieurs. Ardmore avait branché sa crosse sur la longueur d’ondes à laquelle les Panasiates étaient sensibles, mais en limitant la puissance, de façon à obtenir un effet anesthésique plutôt que mortel. Avant l’atterrissage, à l’aide du projecteur plus puissant équipant le véhicule, ils avaient soumis tout le palais au même traitement. Il n’y avait probablement plus un seul Panasiate conscient à l’intérieur de l’édifice, mais Ardmore ne voulait courir aucun risque.

Les deux hommes trouvèrent une porte pour pénétrer dans le palais, ce qui leur évita de pratiquer un trou dans le toit, et ils descendirent par un escalier métallique très raide, qu’on utilisait ordinairement pour la surveillance ou les réparations du toit. Une fois à l’intérieur, Ardmore eut du mal à s’orienter. Il craignit un instant de devoir trouver et ranimer un Panasiate, et employer la manière forte pour se faire indiquer les appartements du prince. Mais la chance favorisa les deux hommes : ils se trouvaient au bon étage et la quantité de sentinelles effondrées devant une grande porte leur désigna clairement les appartements du prince.

Cette porte n’était pas verrouillée : le prince, se fiant davantage à sa garde militaire qu’à une serrure, n’avait jamais utilisé de clé de sa vie. Les deux hommes le découvrirent étendu sur un lit, ses doigts inertes ayant lâché le livre qu’il lisait. Dans chacun des quatre coins de la spacieuse pièce, un valet s’était affaissé sur lui-même.

Wilkie regarda le prince avec intérêt tout en demandant :

— Alors, c’est lui, Sa Grandeur. Et maintenant, que faisons-nous, major ?

— Nous allons nous placer de part et d’autre du lit. Je veux qu’il soit forcé de partager son attention entre nous deux. Tenez-vous très près de lui, pour l’obliger à lever les yeux. C’est moi qui parlerai, mais, de temps à autre, intercalez une remarque ou deux, afin de détourner son attention.

— Quel genre de remarques ?

— Du jargon de prêtre, qui ne signifiera rien, mais que vous direz d’un ton très pénétré. Vous y arriverez ?

— Je crois que oui. J’ai vendu des abonnements à des magazines, alors…

— Ce type est un dur à cuire, un vrai. Je vais m’attaquer à lui en utilisant les deux peurs qui sont congénitales et communes à tous les hommes : la peur de suffoquer et la peur de tomber. Je pourrais les provoquer à l’aide de ma crosse, mais ce sera plus simple si vous utilisez la vôtre. Pensez-vous pouvoir suivre mes mouvements et deviner ce que je veux que vous fassiez ?

— Ne pouvez-vous pas me donner des indications un peu plus précises ?

Ardmore expliqua la manœuvre en détail, puis ajouta :

— Et maintenant, allons-y. Prenez votre place.

Ardmore alluma simultanément les quatre couleurs de sa crosse, et Wilkie l’imita. Puis il traversa la pièce et éteignit la lumière.

Quand le prince royal panasiate, petit-fils du Céleste Empereur et gouverneur en son nom de l’Empire occidental, revint à lui, il vit dans la pénombre deux silhouettes imposantes, debout près de son lit. Le plus grand des deux individus était vêtu d’une robe à la laiteuse luminescence. Son turban irradiait également une clarté blanche, produite par une auréole.

La crosse qu’il tenait dans sa main gauche avait, à son sommet, un cube projetant quatre rayons lumineux, diversement colorés : rubis, or, émeraude et saphir.

Le second personnage était assez semblable au premier, sauf que sa robe rougeoyait comme un brasier. Leurs visages étaient en partie éclairés par les rayons émanant de leurs cannes.

Le prêtre en blanc leva sa main droite en un geste qui était non plus bienveillant, mais impérieux :

— Nous voici de nouveau face à face, ô Prince infortuné !

Le prince avait reçu un entraînement très poussé, et la peur n’était pas pour lui un sentiment naturel. Il essaya de se redresser, mais une force impalpable pesa sur sa poitrine, l’obligeant à retomber sur l’oreiller. Il voulut parler, mais l’air fut chassé de sa gorge.

— Tais-toi, enfant de l’iniquité ! Le Seigneur Mota va te parler par ma voix. Écoute-le calmement.

Wilkie estima que le moment était venu pour lui d’attirer l’attention de l’Asiatique :

— Grand est le Seigneur Mota ! s’écria-t-il.

— Tes mains sont humides du sang des innocents. Il faut que cela cesse ! reprit Ardmore.

— Juste est le Seigneur Mota !

— Tu as opprimé son peuple. Tu as quitté la terre de tes pères pour apporter ici la destruction par le fer et par le feu. Il te faut repartir !

— Patient est le Seigneur Mota !

— Mais tu as mis sa patience à l’épreuve et maintenant son ire est sur le point de se déchaîner contre toi. Il m’envoie t’avertir. Puisses-tu entendre sa voix !

— Miséricordieux est le Seigneur Mota !

— Retourne immédiatement dans le pays d’où tu es venu, emmène tout ton peuple avec toi et ne reviens jamais ici ! dit Ardmore en étendant la main et en la refermant lentement. Si tu n’écoutes pas cet avertissement, l’air sera chassé de ton corps !

La pression s’accentua sur la poitrine du Panasiate au point de devenir intolérable. Les yeux du prince parurent devoir jaillir des orbites. Il suffoqua.

— Si tu n’écoutes pas cet avertissement, tu seras chassé de ton haut rang !

Le prince eut soudain l’impression de devenir plus léger qu’une plume. Il fut projeté en l’air, et son corps alla se plaquer contre le haut plafond. Puis, brusquement, la force qui le soutenait cessa d’agir et il retomba lourdement sur son lit.

— Ainsi a parlé le Seigneur Mota !

— Sage est l’homme qui écoute sa voix ! opina Wilkie qui se trouvait à court de litanies.

Ardmore était prêt à conclure. Il regarda autour de lui et repéra un objet qu’il avait déjà vu : l’échiquier du prince, cette fois placé près de la tête du lit, comme si Son Altesse y avait recours pour tromper ses insomnies. Apparemment, le Panasiate accordait beaucoup d’importance à ce jeu, et Ardmore ajouta donc, en guise d’épilogue :

— Le Seigneur Mota a parlé. Mais écoute maintenant ce que te dit un vieillard : les hommes et les femmes ne sont pas des pions sur un échiquier !

Une invisible main balaya les magnifiques pièces et les jeta parterre. En dépit des traitements qu’il avait subis, il restait au prince suffisamment de courage pour laisser son regard exprimer sa colère.

— Et maintenant, le Seigneur Shaam t’ordonne de dormir.

Le rayon vert augmenta d’intensité et le Prince sombra dans le sommeil.

— Pff ! soupira Ardmore. Je suis content d’en avoir fini. Merci pour votre aide, Wilkie. Elle m’a été précieuse, car je n’ai pas vraiment de talents d’acteur.

Il releva un pan de sa robe et prit un paquet de cigarettes dans la poche de son pantalon.

— Mieux vaut en griller une, car nous avons un sale boulot qui nous attend.

— Merci, fit Wilkie en acceptant l’offre. Dites, chef, est-il vraiment nécessaire de tuer tout le monde ici ? Ça ne m’enthousiasme pas vraiment.

— Ce n’est pas le moment d’avoir la trouille, répliqua Ardmore d’un ton nerveux. Nous sommes en guerre, et la guerre n’est pas une plaisanterie. Une guerre philanthropique, ça n’existe pas. Nous sommes ici dans une forteresse militaire et il est nécessaire, pour la réussite de nos plans, de l’annihiler complètement. Nous ne pouvions pas agir depuis le véhicule, car nous voulions que le prince reste en vie.