Robert Heinlein ne réitérera jamais les erreurs qu’il commet dans Sixième Colonne. Il trouvera les parades narratives qui s’imposent. Les auteurs de science-fiction qui viendront après lui marcheront dans ses pas, usant et abusant des techniques d’écriture qu’il a inventées ou simplement identifiées.
Héritière des aventures échevelées des “dime novels” du XIXe ou simple prétexte aux extrapolations scientifiques plus ou moins rigoureuses voulues, après Jules Verne, par Hugo Gernsback, la science-fiction américaine est longtemps restée obnubilée par le contenu. Sixième Colonne marque en quelque sorte une charnière avec son accession à la maturité littéraire. La nouvelle génération d’auteurs qui se hisse sur les décombres du conflit mondial ne se contente plus d’émerveiller ses lecteurs par son imaginaire débridé. Délivrée de sa naïveté quant à l’omnipotence de la science, la science-fiction revendique désormais une esthétique propre et une exigence stylistique sans cesse croissante. Elle s’affranchit des couvertures racoleuses des “pulps” pour coloniser des supports de plus en plus prestigieux. Elle est, dès lors, jugée selon des critères littéraires plus exigeants.
La mise en place de nouveaux procédés narratifs forge, tout autant que ses paradigmes, une identité à la science-fiction. Elle n’est plus simplement une façon de voir le monde. Elle est une littérature d’un nouveau genre, furieusement contemporaine, nantie d’une double exigence : être subversive, être efficace.
Qu’est Sixième Colonne en définitive, sinon l’une des premières étapes de cette redéfinition ? C’est à ce titre que sa réédition s’imposait. La science-fiction est une littérature collective. Sixième Colonne ne doit pas être envisagée comme l’œuvre hésitante d’un apprenti isolé. C’est la carte d’un pionnier nommé Robert Heinlein qui, après 1941, parcourra encore très, très longtemps, ces terres étrangères…
Ugo Bellagamba & Éric Picholle