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Kovask se leva, s’inclina et se dirigea vers l’escalier dont la rampe en imitation de fer forgé ressemblait aux entrées du métro parisien.

— Commander ?

Il se retourna :

— Oui, sénateur ?

— Je ne sais si vous trouverez quelque chose mais sachez que chez moi c’est une conviction intime. On va essayer d’empêcher mon projet de réussir.

— Sénateur, je pense à une chose, dit Kovask en retournant sur ses pas. Et si c’était vous qu’on veuille déconsidérer aux yeux des Noirs ?

Holden tirait à nouveau sur son Havane, le visage impénétrable.

— On pourrait organiser une campagne de presse, inventer des sottises pour vous mettre en difficulté.

— Oui, c’est possible, dit Holden, mais moi je suis armé. J’ai soixante-douze ans et beaucoup d’expérience. Je suis capable de me défendre seul. Elle, Diana Jellis est beaucoup plus vulnérable. Oh ! je sais qu’elle a prouvé combien elle était forte, courageuse, soutenue par un grand nombre de gens, mais elle a plusieurs handicaps : elle est noire. C’est le plus grave. Elle est femme, jeune et jolie. J’ai déjà réfléchi à cette hypothèse et comme je vous fais confiance j’ai choisi. C’est elle que vous devez aider. Pas moi.

Kovask resta immobile quelques secondes regardant le visage lourd, un peu flasque, cette silhouette trapue, un peu courte sur pattes, cette volonté un peu infantile de ressembler à Winston Churchill. Et pourtant des hommes pareils étaient rares. Il ne pouvait pas le lui dire mais il le pensait.

— Très bien, sénateur. Je veillerai sur elle. Vous pouvez dormir tranquille.

— Oh ! mais je dors très bien depuis notre rencontre au large de Key West. Huit heures par nuit.

Kovask remonta dans la Volkswagen, salua le gardien des anciens studios au passage avant de reprendre la route du motel où il devait retrouver la Mamma.

* * *

Depuis plusieurs jours, chaque matin, Cesca Pepini arrivait à Santa Monica vers les 9 heures dans une voiture de location et surveillait la clinique jusqu’à midi environ. Comme elle ne pouvait faire les cent pas dans ce luxueux quartier sans attirer l’attention de la voiture de patrouille elle pénétrait carrément dans le parking de la clinique, mêlait son véhicule à la quarantaine de ceux qui stationnaient dans un coin du parc réservé au personnel et tâchait de passer inaperçue. Bien sûr elle savait qu’elle finirait par attirer l’attention sur elle mais elle ne désespérait pas de voir arriver Petrus Lindson.

Elle vit arriver la Ford bleue. La reconnut.

Elle savait qu’elle était conduite par un homme jeune, blond, très joli garçon, qui était déjà venu lundi dernier. On était jeudi. Elle le vit sortir de la voiture et monter les quelques marches vers les immenses portes de verre. Puis apercevant un jardinier elle se dissimula tant bien que mal dans sa Plymouth de location.

La Mamma n’avait pas tellement le moral. Pourquoi attendre plus longtemps alors que personne ne connaissait Petrus dans cette clinique et qu’elle finirait par avoir des histoires ? Le comptable, Mr. Keller, l’avait bien reçue une fois mais il finirait par la trouver suspecte si on lui signalait qu’elle rôdait dans le coin. Dans ces zones résidentielles la police se montrait particulièrement vigilante, les habitants versant des sommes énormes aux œuvres sociales des flics. Il était même d’usage de faire des cadeaux aux hommes de patrouille, lesquels se transformaient parfois en bonne d’enfant ou gardien provisoire lorsque les gens s’absentaient.

Soudain elle aperçut la tache jaune près de l’entrée du parc et son cœur fit un bond dans son ample poitrine. Petrus Lindson arrivait au volant de sa belle Chrysler. Il se garait tranquillement près de la Ford bleue.

C’est en vain qu’elle attendit qu’il descende de voiture. Non, il restait au volant, examinant son nœud de cravate dans le rétroviseur, recoiffant ses cheveux crépus. Il alluma une cigarette, mit le coude à la portière.

Plusieurs personnes entrèrent et sortirent mais le Noir ne parut pas leur prêter attention. La Mamma se mordait les lèvres d’excitation, se jurait de faire brûler un énorme cierge à la Madone si elle découvrait ce que venait faire Petrus Lindson dans cet endroit.

Le propriétaire de la Ford bleue apparut en haut des escaliers. Il paraissait souriant et elle le voyait qui comptait des billets de banque sortis d’une enveloppe. Puis il remettait celle-ci dans sa poche, descendait l’escalier. En même temps elle surveillait Petrus. L’homme inconnu ne l’intéressait pas mais marginalement elle nota son arrêt subit et le regarda franchement. Son sourire avait disparu et il paraissait vraiment contrarié, pire que cela même, excédé.

Comme il allait monter dans sa voiture, Petrus l’interpella et il s’approcha de mauvaise grâce. La Mamma remarqua que seul Petrus Lindson parlait. A son expression elle se douta même qu’il s’exprimait avec une certaine hargne, du mépris également.

* * *

— Vous m’avez bien compris, répétait Petrus Lindson en insistant sur chaque mot. Plus que jamais soyez discret et sur vos gardes. Il y a une vieille femme qui furète un peu partout. Je ne sais pas ce qu’elle cherche mais inutile de prendre des risques.

Stewe Score avait un petit sourire crispé au coin de la bouche qui énervait Petrus. Pour un peu il lui aurait flanqué son poing dans la figure, mais à condition de le mettre K.O. du premier coup car Score devait avoir la riposte facile et devait faire mal.

— Une vieille femme qui ressemble à une Métisse mais qui est en fait une Italienne au teint olivâtre. Elle se balade avec un énorme sac en cuir genre cabas.

— O.K., disait Score, je m’en méfierai.

— Autre chose, j’ai appris qu’elle utilise une Volkswagen de couleur grise je crois. Vous vous en souviendrez ?

— Vous le rabâchez tellement.

— Vous foutez pas de ma gueule par dessus le marché ! ragea Petrus. Cette femme peut vous paraître inoffensive mais moi je sais qu’elle est dangereuse. L’opération est en plein développement. Nous ne serons vraiment tranquilles que dans sept mois maintenant. C’est un mauvais moment à passer mais en prenant des précautions strictes on doit s’en tirer sans grand mal. Vous avez touché mille dollars ne l’oubliez pas. Vous nous devez bien certaines compensations. Et tout ce qu’on vous demande c’est d’être muet comme une tombe. Que ferez-vous si cette femme essaye de vous faire parler ?

Stewe en avait assez. L’autre le prenait pour un petit garçon et devenait empoisonnant avec ses conseils. Il ne devait pas être très intelligent. Rusé et cruellement efficace peut-être mais pas du tout évolué.

— Je la foutrai dehors de chez moi.

— Si elle sait ce que vous faites ici et qu’elle vous menace de tout révéler à votre épouse ?

— Encore faudrait-il qu’elle sache que je cache la vérité à Nelly. Je la menacerai des flics.

— Bon, dit Petrus. Espérons qu’elle ne remontera pas jusqu’à vous. Je démarre le premier à tout hasard.

* * *

Tout d’abord elle avait cru que Petrus demandait un renseignement à l’inconnu mais lorsqu’elle vit qu’ils discutaient avec véhémence elle sut que c’était pour lui que le Noir venait régulièrement voir dans la clinique. Pour le rencontrer spécialement.

L’inconnu montait dans sa voiture et Petrus Lindson, lui, reculait et s’en allait le premier. Une chance car elle allait pouvoir filer le conducteur de la Ford bleue. Mais au dernier moment elle flaira le piège. Petrus devait surveiller la sortie de l’homme, peut-être lui ferait-il un bout de conduite. Elle se contenta de noter le numéro de la voiture et les laissa partir. Pour calmer sa déception et son impatience elle alluma un cigarillo, en fuma la moitié puis l’éteignit lorsqu’elle quitta la Plymouth.