— Tu resteras ici pour y veiller », annonça Cirocco. Mais Larry hocha la tête :
« Impossible. J’ai ma clientèle qui m’attend à Titanville. Tu peux t’occuper d’elle ; ou Trini peut le faire.
— J’ai dit…» Cirocco s’interrompit avec un effort qui était visible sur ses traits. Elle se détourna quelques instants.
Larry semblait intéressé, sans plus. Trini savait qu’il était hors de question de le convaincre de quoi que ce soit : une fois qu’il avait décidé où se trouvait son devoir, il l’accomplissait sans plus se soucier d’en débattre avec vous. Quoi qu’il ait pu lui arriver sur Terre, il prenait au sérieux son serment de médecin à Gaïa.
« Excuse-moi d’avoir été si cassante. Combien de temps Pourrais-tu rester ?
— Jusqu’à vingt revs, s’il le faut. Alice s’occupera de tout pendant mon absence. Elle se débrouille bien, tu sais ; je songe même à lui décerner un diplôme.
— Il faudra que je fasse sa connaissance, un de ces jours, dit Cirocco, distraitement.
— Je ne la laisserai pas tomber en pleine crise, lui assura Larry. Mais, franchement, je peux t’expliquer ce qu’il faut faire en un petit quart d’heure… Le traitement est aussi vieux que les montagnes…
— Elle a parlé, il y a quelque temps », hasarda Trini. Cirocco se retourna immédiatement et Trini crut un instant qu’elle allait venir lui secouer l’épaule. Mais elle se retint, se contentant de la dévisager.
« A-t-elle mentionné l’un des autres ? Gaby ? Chris ? Valiha ?
— Elle n’était pas vraiment éveillée, dit Trini. Je crois qu’elle parlait à Théa. Elle avait peur, mais ne voulait pas le laisser paraître. C’était confus.
— Théa, murmura Cirocco. Mon Dieu, comment est-elle parvenue à franchir Théa ?
— Je pensais que tu t’y attendais ? Sinon, pourquoi m’avoir fait rester ici ?
— Pour couvrir toutes les bases, expliqua Cirocco, distraitement. Tu étais en réserve pour un cas peu probable. Je ne vois vraiment pas comment elle a trouvé le moyen de traverser tout ça, encore moins de passer…» Elle s’interrompit pour regarder Trini.
« Ce n’est pas ce que je voulais dire, j’espère que tu…
— Ne t’inquiète pas : je suis contente d’avoir été là. »
Cirocco se détendit ; elle finit même par sourire.
« Moi aussi. Je sais que tu y as passé un bout de temps et je t’en suis reconnaissante. Je veillerai à ce que…
— Je ne veux rien », coupa vivement Trini. À nouveau, le regard de Cirocco la scruta.
« D’accord. Mais je ne l’oublierai pas. Doc, est-ce qu’on peut la réveiller ?
— Appelle-moi Larry. Il vaudrait mieux la laisser reposer pour l’instant. Elle s’éveillera d’elle-même mais je ne promets pas qu’elle ait toute sa tête. Elle a une forte fièvre.
— Il est très important que je puisse lui parler. Les autres pourraient être en danger.
— J’entends bien. Laissons-lui encore quelques heures et je verrai ce que je peux faire. »
Cirocco ne savait guère attendre. Certes, elle n’arpentait pas la pièce, elle ne bavardait pas ; en fait elle demeura immobile et silencieuse sur sa chaise. Mais son impatience envahissait la pièce, empêchant Trini de se détendre. Larry, lui, savait attendre : il trompait le temps en bouquinant l’un des livres que Trini avait terminés pendant sa longue garde.
Trini avait toujours aimé faire la cuisine et le refuge était rempli de vivres qu’elle n’aurait aucune chance d’épuiser. Robin n’avait pas été capable d’absorber plus que quelques gorgées de potage. Pour s’occuper, elle leur prépara des œufs, du bacon et des crêpes. Larry leur fit honneur mais Cirocco les repoussa d’un geste.
« Théa ! » s’exclama-t-elle à un moment, ce qui lui attira les regards des autres. « Qu’est-ce que je raconte, Théa ! Comment diable ont-ils pu aller plus loin que Téthys ? »
Ils attendirent la suite mais ce fut tout. Larry replongea dans son bouquin et Trini recommença son rangement pour la dix-septième fois. Sur sa couchette, Robin reposait paisiblement.
Lorsque Robin gémit, Cirocco fut en un instant à ses côtés, suivie de près par Larry. Trini, qui regardait de derrière, dut se reculer précipitamment quand Cirocco s’écarta pour laisser Larry prendre le pouls de la patiente.
Robin ouvrit les yeux lorsque Larry lui toucha le bras, tenta de se dégager puis cligna lentement des paupières. Quelque chose dans la voix de Larry l’apaisait. Elle le regarda puis regarda Cirocco. Elle ne pouvait distinguer Trini dans l’ombre.
« J’ai rêvé que…» commença-t-elle puis elle hocha la tête.
« Comment te sens-tu, Robin ? » demanda Cirocco. Les yeux de la jeune fille se détournèrent lentement :
« Où étais-tu passée ? s’exclama-t-elle avec véhémence.
— Voilà une excellente question. Peux-tu écouter la réponse ? Comme ça, tu n’auras pas à parler tout le temps. »
Robin opina.
« Bon. Primo, j’ai renvoyé Cornemuse à Titanville pour qu’il rassemble une équipe afin de dégager l’accès à l’escalier. Si tu t’en souviens, il était complètement obstrué. »
Robin opina encore.
« Il fallut du temps pour rassembler tout le monde et plus encore que je ne l’aurais cru pour déblayer entièrement. Les Titanides étaient désireuses de travailler mais elles se comportaient bizarrement sous le câble : elles se mettaient à vagabonder et quand on les retrouvait, elles n’avaient pas souvenance d’être parties. Si bien que je fus obligée d’engager également quelques hommes, ce qui me fit perdre encore plus de temps.
« Mais nous avons pu dégager le passage et faire descendre une équipe de sept hommes jusqu’à Téthys. La chambre était submergée plus haut que je ne l’avais jamais vue. Téthys refusa de me parler et je n’ai rien pu y faire puisque Gaïa elle-même n’a aucune influence sur elle.
« Je suis alors venue ici… J’étais certaine que vous étiez tous morts mais je n’y croirais qu’après avoir retrouvé vos corps, aussi longtemps que cela me prenne. Si Téthys vous avait tués, je… je ne sais pas ce que j’aurais fait mais je lui aurais fait subir quelque chose qu’elle ne serait pas près d’oublier. Malgré tout, subsistait la maigre chance que vous soyez parvenus à passer devant elle pour pénétrer dans les catacombes.
— C’est bien ce qu’on a fait. Et Valiha…
— Ne parle pas tout de suite. Épargne tes forces. Bon. Autant que je sache, Gaby et moi sommes les seuls humains à jamais être descendus là-dessous et j’ignore à peu près tout des catacombes hormis qu’elles s’étendent à l’infini en formant un dédale inextricable. Je suis quand même descendue voir Théa pour l’avertir que si l’un d’entre vous se pointait, elle le laisse passer sans faire de difficultés. Puis j’ai bien tenté d’explorer le débouché oriental des catacombes mais je dus y renoncer au bout de quelques semaines. Je n’arrivais à rien. Je pris donc le risque d’abandonner provisoirement afin d’organiser une expédition de recherche correctement équipée qui descendrait explorer l’endroit mètre par mètre ; et pour ce faire, il me fallait commander sur Terre quantité de matériel. Je ne pensais pas vraiment qu’aucun de vous puisse jamais y arriver, tu vois, et je…
— Je comprends, dit Robin en reniflant. Mais Théa… oh, et puis merde. Moi qui croyais avoir… enfin, je pensais l’avoir eue toute seule. Alors qu’elle ne faisait que jouer avec moi. » Elle paraissait au bord des larmes mais finalement n’eut pas la force de pleurer.