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Cirocco lui prit la main.

« Pardonne-moi. Tu m’as mal comprise. J’étais loin d’être satisfaite de devoir donner des ordres à Théa sans pouvoir être derrière pour la surveiller. L’intimité est son obsession. Je craignais que si l’un de vous venait à se montrer, elle ne le tue et ne se débarrasse du corps en faisant porter l’accusation sur Téthys puisque cette dernière me savait déjà au courant de ce qu’il s’était passé et savait que je n’y pouvais fichtrement rien à moins de rester camper plusieurs mois sur le pas de sa porte. C’est d’ailleurs peut-être ce que j’aurais dû faire, puisque…

— C’est très bien, dit Robin avec un pâle sourire. Je me suis débrouillée.

— Sûr que oui, et un de ces jours, j’aimerais bien que tu me racontes comment t’as fait. Bref, j’ai fait mon possible – bien que je regrette aujourd’hui sacrément de ne pas en avoir fait plus – et je m’apprêtais à redescendre voir Théa sous trois ou quatre jours lorsque j’ai reçu un appel de Trini pour m’annoncer que tu étais venue frapper à sa porte. Je suis arrivée aussi vite que possible. »

Robin opina en fermant les yeux.

« En tout cas, poursuivit Cirocco après une pause, j’avais des tas de choses à te demander et si tu te sens d’attaque, je pourrais peut-être le faire tout de suite. La première chose qui me tracasse, c’est de savoir pourquoi Gaby vous a laissés descendre voir Téthys. Je la connais et elle me connaît, même si on n’est pas toujours d’accord et elle aurait bien dû se douter que je trouverais moyen d’éclaircir le passage pour vous retrouver. Puis quand je ne l’ai pas vue avec toi, je me suis demandée pourquoi et maintenant je commence à me demander si elle n’est pas blessée et n’a pas pu…» Sa voix resta en suspens. Robin avait ouvert les yeux et son air horrifié était si explicite que Trini comprit instantanément ce qui était arrivé. Elle se détourna.

« J’avais cru qu’en déblayant les rochers…» gémit Robin.

Trini se retourna et vit que Cirocco s’était figée comme une statue de pierre. Ses lèvres bougèrent enfin mais sa voix était sans vie.

« Nous n’avons rien trouvé.

— Je ne sais pas quoi dire. On l’a laissée là-bas. On voulait l’ensevelir mais on n’avait même pas de quoi…» Sa phrase s’acheva dans les larmes et Cirocco se redressa. Quand elle se tourna, ses yeux regardaient dans le vide et Trini sut qu’elle n’oublierait jamais ce regard mort qui la balayait comme si elle n’avait pas été là, alors que la Sorcière allait ouvrir à tâtons le verrou et s’avançait sur le porche étroit. Ils l’entendirent descendre l’échelle, puis il n’y eut plus aucun bruit sinon les sanglots de Robin.

* * *

Ils s’inquiétaient pour elle mais en regardant dehors ils la virent à cent mètres de là, leur tournant le dos, enfoncée dans la neige jusqu’aux genoux. Elle resta ainsi immobile plus d’une heure. Trini s’apprêtait à sortir la chercher mais Larry lui dit d’attendre. Puis Robin dit qu’elle avait à lui parler et il descendit l’échelle. Trini put les voir discuter. Cirocco ne tourna pas la tête mais le suivit quand même lorsqu’il lui posa la main sur l’épaule.

Quand elle rentra, son visage était toujours aussi dépourvu d’émotion. Elle s’agenouilla près de la couchette de Robin et attendit.

« Gaby nous a dit quelque chose, commença-t-elle. Je suis désolée mais je crois qu’elle voulait que toi seule le saches et cette pièce est trop petite pour se prêter aux confidences.

— Larry, Trini. Voulez-vous attendre dans l’avion ? Je ferai clignoter les lampes lorsque vous pourrez revenir. »

Cirocco et Robin restèrent immobiles tandis que les deux autres enfilaient manteaux et bottes puis sortaient, refermant doucement la porte derrière eux. Ils passèrent une heure inconfortable dans l’avion, protégés du vent mais frigorifiés tout de même.

Ni l’un ni l’autre n’émit de plainte. Lorsque les lumières clignotèrent, ils rentrèrent et si Trini ne lut pas tout de suite de différence sur le visage de Cirocco, elle était bien là : ce visage faisait toujours mal à voir, il était toujours sans vie, en un sens. Mais ce n’était pas le visage mort d’un cadavre ; plutôt celui d’une statue de granite.

Et ses yeux flamboyaient.

40. L’Héritage de nos pères

Il devait exister des tâches plus faciles que de guider une Titanide enceinte et estropiée à travers un terrain sombre qui aurait découragé un mouflon. D’un autre côté, Chris n’avait pas de mal à imaginer deux ou trois activités sans doute plus difficiles et une foule d’autres bien moins plaisantes. Avoir une compagnie fournissait une compensation tout comme le fait que l’itinéraire fût balisé.

Tout s’équilibrait et il semblait bien que les choses étaient telles qu’elles devaient être. Les bras de Valiha s’étaient musclés mais leur progression ne s’était pas améliorée car elle avait pris du poids : Ils devaient redoubler de prudence de peur que sa maladresse croissante ne fût cause d’une chute dommageable pour ses antérieurs encore fragiles. Avec l’approche du terme de sa grossesse, les délices nouvelles des jeux sexuels antérieurs s’espacèrent pour cesser enfin. Mais les rapports frontaux s’étaient améliorés encore, à mesure que ses jambes guérissaient. Chris perdit graduellement cette excitante et exotique sensation d’étrangeté qu’il éprouvait naguère en sa présence, au point qu’il en venait à se demander parfois ce qu’il avait bien pu lui trouver de bizarre. Et pourtant, en même temps que leur familiarité, s’était développée une tolérance mutuelle qui les rapprochait.

Valiha enflait comme un potiron mûrissant. Sa beauté devenait de plus en plus radieuse en même temps que, curieusement, ses taches de rousseur se multipliaient.

Il y aurait peu de surprises : Chris était au début complètement ignorant de l’obstétrique titanide mais quand Serpent fut prêt à naître, il en savait autant que Valiha. Nombre de ses suppositions l’avaient mené à de vaines craintes.

Il savait par exemple que Valiha n’utilisait pas au hasard le masculin lorsqu’elle parlait de l’enfant : son sexe avait été décidé en accord avec les deux autres parents. Il savait – mais ne pouvait toujours pas y croire – que Valiha était en communication avec le fœtus, d’une façon qu’elle était dans l’impossibilité d’expliquer de manière convenable. Elle prétendait que c’était ensemble qu’ils avaient décidé de son nom quoiqu’elle l’eût influencé par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. Elle voulait parler de la coutume titanide de baptiser un enfant d’après le premier instrument qu’il ou elle avait reçu. La coutume n’était plus répandue mais Valiha était traditionaliste et depuis quelque temps elle travaillait sur le premier instrument de son fils : un serpent, ce sinueux tube de bois dont on jouait à la manière du cor. Dans la caverne, le choix des matériaux de construction était limité.

Il savait que l’accouchement ne serait ni long ni douloureux et que, dès sa naissance, Serpent saurait parler et marcher. Mais lorsqu’elle lui annonça qu’elle espérait entendre son fils parler l’anglais, Chris pensa immédiatement qu’elle était complètement ridicule. Il ne le lui dit pas mais exprima ses doutes.

« Je sais, répondit Valiha. La Sorcière en doute elle aussi. Ce ne sera pas la première fois qu’on tente de mettre au monde un enfant doté de deux langues maternelles. Et pourtant, même la Sorcière ne dira pas que c’est impossible. Notre génétique n’est pas la vôtre. Bien des choses se passent en nous différemment.