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— Par exemple ?

— J’ignore tout de l’aspect scientifique. Mais tu reconnaîtras que nous sommes différentes. La Sorcière est parvenue à croiser avec succès des œufs de Titanide avec le matériel génétique de grenouilles, de poissons, de chiens et de singes en laboratoire.

— Cela va à l’encontre de tout ce que j’ai pu lire en matière de génétique, admit Chris. Non que j’y connaisse grand-chose, moi non plus. Mais quel rapport avec le fait que Serpent parle anglais ? Même s’il avait des parents humains – et tu m’as bien dit que non – tout ce qu’on sait faire à la naissance, c’est brailler.

— La Sorcière appelle ça l’effet Lyssenko. À sa plus grande satisfaction, elle est parvenue à démontrer que les Titanides sont capables d’hériter de caractères acquis. Nous – je parle de celles d’entre nous qui postulent la possibilité de transmission de l’anglais – pensons que ce doit être faisable à condition d’avoir un entraînement adéquat. Tu m’as demandé une fois si j’avais avalé un dictionnaire. Eh bien, c’est presque vrai. L’expérience nécessite que tous les parents possèdent entièrement le vocabulaire anglais. C’est un objectif impossible à atteindre mais nous avons bonne mémoire.

— Je peux en témoigner. » Quelque chose le chiffonnait dans tout ça et il lui fallut un bout de temps pour mettre le doigt dessus. Et même quand il eut trouvé, il ne savait pas au juste pourquoi ça le gênait mais ça le gênait manifestement.

« Ce que j’aimerais bien savoir, c’est pourquoi ? lui demanda-t-il bien plus tard. Pourquoi l’anglais, quand votre langue est si belle ? Ce n’est pas que je la comprenne et pourtant j’aimerais bien. D’après ce que je sais, hormis Cirocco et Gaby qui l’ont eue implantée en elles, aucun humain n’a jamais pu dépasser le stade du petit nègre dans le chant titanide.

— C’est exact. Nous savons la langue d’instinct et les humains, malgré leurs connaissances intellectuelles souvent vastes, ne sont pas doués pour. Nos chants défient l’analyse et se répètent rarement même pour exprimer des pensées identiques. La Sorcière a émis la supposition qu’interviendrait une composante télépathique.

— Quoi qu’il en soit, je voulais savoir – ou plutôt : je voulais te demander – pourquoi vous y travaillez avec une telle ardeur ? Que reprochez-vous au titanide ? Je trouve qu’il est miraculeux de naître en sachant une langue, quelle qu’elle soit. Pourquoi essayer l’anglais ?

— Tu m’as sans doute mal comprise : Serpent saura de toute manière chanter. C’est une chose certaine. Je ne me vois pas essayer de le priver d’un tel don. J’aimerais mieux le voir plutôt naître avec deux jambes seulement, comme… oh ! chéri… Excuse-moi…»

Chris rit et lui dit que ça ne faisait rien.

« Je faisais simplement allusion à ce dicton, employé lorsqu’on rencontre de grandes difficultés ; nous disons dans ce cas : “aller sur deux pieds et qui plus est, deux pieds gauches”.

— Mais bien sûr.

— Je te promets que… tu te moques encore de moi ! Je suppose que je finirai par m’y faire un jour.

— J’espère bien que non. Mais tu ne m’as toujours pas dit pourquoi tu faisais cela.

— J’aurais cru que c’était évident.

— Pas pour moi. »

Elle soupira.

« Très bien. Pour ce qui est de l’anglais, les premiers humains arrivés à Gaïa le parlaient et la langue a pris. Pour ce qui est d’un langage humain, quel qu’il soit… depuis le premier contact, le nombre des humains à vivre ici n’a cessé de s’accroître. Vous ne venez peut-être pas nombreux mais vous arrivez sans arrêt. Ça me semble une bonne idée de vouloir en savoir sur vous le plus possible.

— Les voisins désagréables qui s’incrustent, c’est ça ? »

Valiha réfléchit. « Je ne voudrais pas donner l’impression de dénigrer les hommes. En tant qu’individus, certains d’entre eux sont aussi charmants qu’on puisse le souhaiter…

— Mais pris en bloc, on est carrément chiants.

— Je n’ai pas à émettre de jugement.

— Et pourquoi pas ? Tu es aussi fondée à le faire que n’importe qui ! Et je partage ton opinion. Nous sommes franchement moches dès que nous nous mettons à cogiter ensemble pour inventer des bombes atomiques ou ce genre de choses. Quant aux individus, pour la plupart… diable ! » Il faisait l’expérience d’un accès de chauvinisme qu’il n’aimait guère mais ne pouvait éviter. Ça le fit réfléchir, tenter de trouver quelque défense à lui opposer. En vain. « Tu sais, finit-il par lui dire. Je viens de me rendre compte que je n’ai jamais rencontré de Titanide que je n’aime pas.

— Moi, j’en ai rencontré beaucoup. Et je crois m’y connaître plus que toi. Mais je n’ai jamais trouvé de Titanide avec laquelle je ne pourrais pas m’entendre. Je n’ai jamais entendu parler d’une Titanide qui en tue une autre. Et je n’ai jamais rencontré de Titanide que je haïsse.

— C’est ça la clé, n’est-ce pas ? Vous vous entendez bien mieux que nous autres.

— Je voudrais bien te dire oui.

— Dis-moi. Dis-moi la vérité. Oublie rien qu’une minute que je suis un homme et…

— Je passe mon temps à l’oublier. » Elle essayait de l’éclairer mais Chris ne saisissait toujours pas.

« Dis-moi simplement ce que tu penses de la présence des hommes à Gaïa. Ce que tu en penses personnellement et ce que pensent les Titanides en général. À moins qu’elles ne soient partagées ?

— Bien sûr que les opinions sont partagées mais je suis d’accord avec la majorité qui voudrait nous voir exercer une plus grande autorité. Nous ne sommes pas la seule race intelligente de Gaïa et nous ne parlons qu’en notre nom propre mais dans les territoires où nous vivons, Hypérion, Crios et Métis, nous aimerions avoir notre mot à dire sur les individus qu’on y laisse entrer. Je crois qu’on en refoulerait quatre-vingt-dix pour cent.

— Tant que ça ?

— Peut-être moins. Tu m’as demandé d’être franche et je le serai. Les hommes ont fait entrer en Gaïa l’alcoolisme. Nous avons de tout temps su apprécier le vin mais le breuvage que vous appelez tequila et que nous nommons (elle chanta une brève mélodie), ce qui se traduit par : la-Mort-avec-une-pincée-de-sel-et-un-zeste-de-citron-vert, provoque chez nous un syndrome de dépendance. Les hommes nous ont apporté tes maladies vénériennes : les seules infections d’origine terrienne à nous affecter. Les hommes ont amené le sadisme, le viol et le meurtre.

— Tout cela me fait penser aux Indiens d’Amérique.

— Il existe une ressemblance mais je la crois trompeuse. Bien des fois sur Terre, une technologie puissante en a rencontré une plus faible et l’a écrasée. En Gaïa, les hommes n’apportent que ce qu’ils sont capables de transporter, donc ce facteur ne joue pas. En outre, nous ne sommes pas une société primitive. En revanche, nous sommes impuissantes car les hommes ont de bonnes relations.

— Que veux-tu dire ?

— Gaïa aime les hommes. Au sens où elle s’intéresse à eux et se plaît à les observer. Jusqu’à ce qu’elle s’en lasse, nous serons obligées d’accepter n’importe qui. » Elle remarqua sa tête et, brusquement, parut aussi gênée que lui.

Elle reprit : « Je sais à quoi tu penses.

— À quoi ?

— Que si on avait établi des critères d’entrée, tu ne les aurais jamais remplis. »

Chris dut reconnaître qu’elle avait raison.

« Et tu te trompes. Je voudrais être capable de te l’expliquer mieux : tu es embêté par tes accès de violence. » Elle soupira. « Je vois que je vais devoir être plus explicite. Il est facile de lancer une vertueuse diatribe contre les traits humains que l’on n’apprécie pas. Il y a beaucoup d’hommes que mes congénères élimineraient systématiquement : ceux qui ont des préjugés, les esprits étroits, les perfides, les paumés. Et les mal éduqués, ces enfants innocents auxquels on n’a jamais appris à se comporter convenablement en adultes. Nous croyons que la source de tous vos ennuis provient du fait que vous devez apprendre, qu’à la naissance vous n’êtes qu’avidité et sauvagerie et que bien trop souvent ces deux pulsions sont cultivées au point de devenir un mode de vie.