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Elle remarqua l’éclair de son émotion – s’il avait désiré une preuve de ses propositions, il l’aurait tenue là mais il n’en avait plus besoin – et, tandis qu’il était encore en train de chercher quelque chose de plus intelligent à lui dire que : « Je t’aime fabuleusement, moi aussi », elle l’embrassa.

« Je te l’avais bien dit, que tu m’aimais », et il dut opiner à sa remarque, tout en se demandant si son hilarité ne cesserait jamais.

* * *

Connaître le processus de la naissance d’une Titanide, c’était autre chose que comprendre le lien unissant l’esprit de la mère à celui de l’enfant ; ou saisir la nature exacte de ce lien. Chris l’assaillit de questions à ce propos et put établir que oui, elle pouvait poser à Serpent une question et qu’il pouvait y répondre et que non, Serpent était incapable de lui dire s’il savait parler anglais.

« Il pense en images et en chants, lui expliqua-t-elle. Et ce chant n’est pas traduisible, sinon au niveau des émotions ; en un sens, le chant des Titanides reste toujours intraduisible et c’est la raison pour laquelle aucun humain n’a jamais été capable de composer un dictionnaire de titanide. J’entends et je vois ce qu’il pense.

— Alors, comment lui as-tu demandé le nom qu’il voulait porter ?

— Je lui ai visualisé les instruments que j’avais la possibilité de confectionner ici et j’en ai joué mentalement. Quand sa conscience a témoigné de son ravissement, j’ai su qu’il s’appellerait Serpent.

— Il est au courant de mon existence ?

— Il te connaît parfaitement bien. Il ne sait pas ton nom : il le demandera sitôt qu’il sera né. Il sait que je t’aime.

— Il sait que je suis un homme ?

— Il le sait parfaitement.

— Qu’en pense-t-il ? Est-ce que ça pose un problème ? »

Valiha lui sourit.

« Il naîtra sans préjugés. À partir de ce moment, ce sera à toi de jouer. »

Elle était allongée sur le flanc, dans un recoin confortable préparé par Chris. La naissance approchait et Valiha était sereine, ravie et elle ne souffrait pas. Chris avait conscience de se comporter aussi lamentablement que n’importe quel futur papa devant la salle d’accouchement mais il ne pouvait s’en empêcher.

« Je suppose que je suis encore loin de tout saisir, admit-il. Va-t-il sortir, s’asseoir et commencer à nous faire part de ses vues sur le prix du café à Crios ou bien aura-t-on d’abord droit à un stade du a-reu, areu ? »

Valiha rit, attendit un moment, le temps pour les muscles de son ventre de se contracter comme une main pressant une poire, puis elle but une gorgée d’eau.

« Il va être tout faible et perdu. Il observera tout mais ne dira rien. Il n’est pas vraiment intelligent à ce point. C’est un peu comme si on lui avait graissé les boyaux de la tête pour le transport et qu’il faille les nettoyer à l’arrivée avant de s’en servir. Mais ensuite…» Elle s’interrompit, écouta quelque chose que Chris ne pouvait entendre, puis sourit :

« Tu vas devoir attendre. Il est presque arrivé et je dois accomplir un rituel que mon accord se transmet depuis des générations.

— Mais bien sûr, je t’en prie, s’empressa-t-il.

— J’espère que tu me pardonneras… j’aurais pu le faire dans mon magnifique chant natal mais, puisqu’il doit parler l’anglais, j’ai décidé de rompre avec la tradition et de chanter dans cette langue… et puis c’est aussi parce que tu es là. Mais je ne suis pas certaine de pouvoir le rendre convenablement en anglais, aussi ma prose te paraîtra-t-elle peut-être quelque peu maladroite…

— Tu n’as pas à t’excuser, pour l’amour de Dieu, lui dit-il avec un signe de main. Vas-y. Tu n’auras peut-être pas trop de temps.

— Très bien. La première partie est immuable et je me contente de la citer. J’inclus mes propres paroles sur la fin. » Elle s’humecta les lèvres et regarda dans le vide. « Jaunes comme les Eaux sont les Madrigaux. »

Elle entama le chant :

« Au commencement était Dieu et Dieu était la roue et la roue était Gaïa. Et Gaïa prit de son corps un morceau de chair et de cette chair elle fit les premières Titanides, puis elle leur fit savoir que Gaïa était Dieu. Les Titanides ne le contestèrent pas. Elles parlèrent à Gaïa et lui dirent : “Que devrons-nous faire ?” Et Gaïa répondit : “Vous n’aurez pas d’autre Dieu que moi. Croissez et multipliez mais gardez à l’esprit que l’espace est limité. Faites aux autres ce que vous aimeriez qu’ils vous fassent. Sachez qu’à votre mort, vous retournerez en poussière. Et ne venez pas m’embêter avec vos problèmes : je ne vous aiderai pas !” Et c’est ainsi que les Titanides reçurent le fardeau du libre arbitre.

« Parmi les premières était un mâle du nom de Sarangi de la Toison Jaune. Il se rendit comme tous les autres auprès du grand arbre et vit qu’il était bon. Le temps viendrait pour lui où il fondrait l’Accord de Madrigal. Il considéra le monde et sut que le goût de la vie était doux mais qu’il mourrait pourtant un jour. Cette pensée lui était triste mais il se souvint des paroles de Gaïa et se demanda s’il parviendrait à survivre. Il aima Dambak, Violone et Waldhorn. À eux quatre, ils chantèrent le Quatuor mixolydien en Dièse et Sarangi devint l’arrière-mère de Piccolo. Dambak en était l’avant-père, Violone l’avant-mère et Waldhorn l’arrière-père. »

Le chant se poursuivit un moment dans ce style. Chris prêtait plus l’oreille à la musique qu’aux paroles car ces listes de noms n’avaient que peu de sens pour lui. La descendance était uniquement tracée par les arrière-mères même si les autres parents étaient toujours mentionnés.

Chris aurait été bien en peine de retracer son arbre généalogique jusqu’à la dixième génération comme était en train de le faire Valiha et pourtant, il savait que ses ancêtres remontaient sur des milliers et des millions de générations jusqu’aux singes – ou à Adam et Ève. Chez Valiha, dix générations suffisaient à recouvrir toute l’histoire : Serpent serait la onzième.

Voilà qui, plus que tout long discours, lui rappelait brusquement ce que signifiait être une Titanide, faire partie d’une race qui se savait avoir été créée. Même s’il ignorait quelle était la part d’exactitude de ce prologue, on pouvait sans doute le prendre au sens littéral. Les Titanides avaient été créées aux alentours de l’année 1935. Une tradition, même orale, pouvait embrasser une telle période, d’autant que les Titanides étaient de méticuleuses mémorialistes.

Mais le chant était plus que la simple liste de ses arrière-mères et des ensembles formés pour engendrer la génération suivante : Valiha chantait le thème de chacune, revenant parfois à la pureté du titanide mais le plus souvent se cantonnant à l’anglais. Elle énonçait leurs actes de bravoure et leurs bienfaits sans pour autant omettre leurs échecs. Chris entendit le récit de leurs souffrances au temps de la guerre contre les Anges. Puis intervenait la Sorcière, et les chansons, de plus en plus souvent, mentionnaient les stratagèmes employés pour attirer l’attention de celle-ci lors des propositions présentées au Carnaval.

«… et Tabla eut les faveurs de la Sorcière. Ayant chanté un Solo éolien, elle donna naissance à Valiha que l’on a jusqu’à présent fort peu chantée mais qui laissera la mélodie de son thème aux générations futures. Valiha aima Hichiriki, natif d’un Quatuor phrygien dans une autre branche de l’Accord de Madrigal, et Cymbale, un Trio lydien de l’Accord de Prélude. Ensemble, ils animèrent la vie de Serpent (Trio mixolydien en double bémol) Madrigal qui, son tour venu, chantera son propre chant. »

Elle s’arrêta, s’éclaircit la gorge et contempla ses mains.