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Contre toute attente, Gaïa parut réellement surprise.

« Son nom ? Qu’est-ce que son nom a à voir là-dedans ? À moins que tu ne te sois prise au jeu de ta propre magie, je ne vois pas le rapport : un nom n’est qu’un son ; il n’a aucun pouvoir en soi.

— Je ne veux pas entendre son nom sortir de vos lèvres. »

Pour la première fois, Gaïa eut l’air fâchée.

« Je supporte pas mal de choses : j’ai toléré de recevoir, venant de toi et d’autres, des injures qu’aucun dieu ne voudrait endurer, parce que je ne vois pas l’intérêt d’assassiner les gens à longueur de temps. Mais tu mets ma patience à bout. Je te préviens que cela suffit comme ça, et c’est mon dernier avertissement.

— Vous le supportez parce que vous adorez ça, contra Cirocco d’une voix égale. Pour vous, la vie est un jeu dont vous contrôlez les pièces. Meilleur est leur spectacle et plus vous l’appréciez. Vous avez tous ces gens qui sont prêts à vous baiser le cul quand vous leur demandez. Et je vous insulterai si ça me chante.

— Mais eux aussi, répondit Gaïa, souriant à nouveau. Et bien entendu, tu as raison. Voilà qui prouve une nouvelle fois que lorsque tu le veux, tu sais offrir un spectacle meilleur que quiconque. » Elle attendit, croyant apparemment que Cirocco allait continuer. Cirocco ne dit rien. La tête appuyée contre le dossier de son siège, elle contemplait là-haut dans le lointain le fin ruban de lumière rouge parfaitement rectiligne et acéré comme le fil d’un rasoir.

C’était la première chose qu’elle avait remarquée jadis lors de sa première visite au moyeu. Gaby était alors à ses côtés et toutes deux s’étaient demandé ce que c’était mais le faisceau était si loin au-dessus d’elles qu’à l’époque la question leur avait paru oiseuse. Il était définitivement inaccessible.

Mais déjà, Cirocco avait pressenti son importance. C’était une simple impression mais elle se fiait toujours à ses impressions. Quelque partie vitale de Gaïa vivait tout là-haut, à l’extrémité la plus inaccessible d’un monde coutumier des perspectives vertigineuses. De là où elle était assise, la distance dépassait les vingt kilomètres.

« J’aurais pensé que tu serais intéressée par ma réponse à tes requêtes », finit par dire Gaïa. Rabaissant la tête, Cirocco regarda de nouveau la déesse. Son visage restait aussi dépourvu d’émotion qu’au moment de son arrivée.

« Ça ne m’intéresse pas le moins du monde. Je vous ai dit ce que j’allais faire puis je vous ai dit ce que vous alliez faire. Il n’y a rien d’autre à dire.

— J’en doute. » Gaïa la scruta attentivement. « Parce que c’est totalement impossible : tu dois le savoir et tu dois bien avoir quelque menace à brandir, bien que je ne parvienne pas à imaginer quoi. »

Cirocco se contenta de lui rendre son regard.

« Tu ne peux pas t’imaginer que je vais humblement t’accorder… bon, accéder à tes exigences, si tu préfères. Exigence ou requête, peu importe, la réponse est non. Maintenant, tu dois me dire ce que tu vas faire.

— La réponse est non ?

— C’est non.

— Alors, je dois vous tuer. »

Le silence était à présent total dans l’immensité du moyeu. Assemblés en groupe informel derrière le siège de Gaïa, plusieurs centaines d’humains restaient suspendus à leur moindre mot. C’étaient tous des gens peureux, sinon ils n’auraient pas été là et la plupart devaient uniquement s’interroger sur la manière dont Gaïa allait se débarrasser de cette femme. Mais quelques-uns, en regardant Cirocco, commençaient à se demander s’ils avaient choisi le bon camp.

« Tu as vraiment complètement perdu la raison. Tu ne disposes ni d’uranium, ni de plutonium, ni d’aucun moyen d’en obtenir. Je doute même que tu puisses confectionner une arme à supposer que tu en aies. Et si tu pouvais élaborer un engin nucléaire grâce à la magie que, semble-t-il, tu crois posséder, tu ne l’utiliserais pas car ça signifierait la destruction de ces Titanides pour lesquelles tu as tant d’affection. » Elle soupira encore et retourna négligemment une main. « Je n’ai jamais prétendu à l’immortalité. Je sais combien de temps il me reste à vivre. Je ne suis pas indestructible. Des bombes atomiques – en grande quantité et disposées avec précision – pourraient fragmenter mon corps ou du moins me rendre inhabitable. Cela mis à part, je ne vois rien qui puisse m’endommager sérieusement. Alors, comment comptes-tu me tuer ?

— Avec mes mains nues, si nécessaire.

— Quitte à mourir en essayant.

— Si les choses doivent en arriver là.

— Exactement. » Gaïa ferma les yeux et ses lèvres bougèrent en silence. Enfin, elle regarda de nouveau Cirocco :

« J’aurais dû m’y attendre. Il te serait moins douloureux de disparaître que de survivre après ce qui est arrivé. C’est effectivement ma faute, je l’admets, mais je n’ai pas envie de te voir disparaître. Tu vaux largement tous ces gens-là, et même plus.

— Je ne vaux rien du tout, à moins de faire ce que je dois faire.

— Cirocco, je m’excuse pour ce que j’ai fait. Attends, attends, écoute-moi jusqu’au bout. Donne-moi cette chance. J’avais cru pouvoir dissimuler mes actes et j’ai eu tort. Tu ne nieras pas qu’elle complotait pour me renverser et que tu l’as aidée…

— Je ne regrette rien, sinon d’avoir trop attendu.

— Sûrement. C’est compréhensible. Je sais la profondeur de ton amertume et de ta haine. Mais tout cela est tellement inutile, puisque tous mes actes étaient plus commandés par l’orgueil que par la peur ; tu ne crois quand même pas que j’allais sérieusement m’inquiéter de ses efforts dérisoires pour…

— Attention à ce que vous dites sur elle. Je ne vous le répéterai pas.

— Je suis désolée. Toujours est-il que ni elle ni toi n’auriez pu me causer le moindre désagrément. Si je l’ai détruite, c’est pour avoir insolemment cru la chose possible et ce faisant, cela m’a coûté ta loyauté. Je trouve ce prix bien lourd à payer. Je veux te faire revenir, je crains de ne pouvoir et pourtant je voudrais que tu restes, ne serait-ce que pour donner à l’endroit une certaine classe.

— Il en a effectivement besoin, mais je ne peux pas, même si j’en avais.

— Tu te sous-estimes. Ce que tu m’as demandé est impossible. Tu n’es pas la première Sorcière que j’aie nommée à ce poste durant mes trois millions d’années. Il n’y a qu’une façon de le quitter et c’est les pieds devant. Personne n’y a jamais survécu et personne n’y survivra. Mais je peux faire une chose pour toi : je peux la faire revenir. »

Cirocco enfouit la tête dans ses mains et demeura silencieuse un long moment. Puis elle bougea, serrant les bras sous son poncho informe et se balançant lentement d’avant en arrière.

« Voilà bien la seule chose que je craignais », dit-elle enfin, à personne en particulier.

« Je puis la recréer exactement telle qu’elle était, poursuivit Gaïa. Tu n’ignores pas que je possède des échantillons tissulaires de vous deux. Lors de votre examen initial, puis au cours des visites pour le traitement d’immortalité, j’enregistre tous vos souvenirs. Les siens sont parfaitement à jour. Je peux régénérer son corps, puis l’emplir avec son essence. Elle sera elle-même, je le jure. Il sera impossible de trouver la moindre différence. Et c’est ce que je ferai avec toi si, malgré tout, il est nécessaire de te tuer. Je peux te la rendre, avec un unique changement et ce sera la suppression de son désir de me détruire. Rien que cela et rien autre. »

Elle attendit et Cirocco ne dit rien.

« Très bien, reprit Gaïa avec un geste impatient de la main. Je ne changerai même pas ça. Elle sera pareille à elle-même à tout point de vue. Je peux difficilement faire mieux. »