Выбрать главу

Cirocco avait fixé un point situé légèrement au-dessus de la tête de Gaïa. À présent, elle baissait les yeux et s’agitait sur son siège.

« Voilà bien la seule chose que je craignais, répéta-t-elle. J’avais même songé à ne pas venir afin de ne pas avoir à entendre pareille proposition et être tentée. Parce qu’elle est tentante. Ce serait un moyen tellement agréable de se sentir mieux au sujet de tellement de choses et de se trouver une excuse pour continuer à vivre. Et puis, je me suis demandé ce que Gaby en aurait pensé et j’ai compris alors quelle infecte, puante et diabolique machination ce pouvait être. Elle aurait été horrifiée à l’idée que lui survive une petite poupée Gaby créée par vous et issue de votre propre chair corrompue. Elle aurait voulu que je la tue immédiatement. Et plus j’y pensais, plus je savais que chaque fois que je l’aurais vue, chaque fois je me serais un peu plus dévorée les entrailles jusqu’à ce qu’il n’en reste rien. »

Elle soupira, leva les yeux vers le ciel, puis les abaissa sur Gaïa.

« C’est donc votre dernière offre.

— Effectivement. Mais ne…»

Les explosions se succédèrent en rafales. Cinq trous rapprochés étaient apparus sur le devant du poncho de Cirocco et sa lourde chaise avait reculé de deux mètres avant qu’elle n’ait fini de tirer. De l’arrière du crâne de Gaïa jaillit un flot de sang. Trois balles au moins avaient pénétré au niveau de la poitrine. Elle fut projetée en arrière et son corps boula mollement sur une trentaine de mètres avant de s’immobiliser.

Cirocco se leva, ignorant le pandémonium, et marcha vers elle. Elle sortit le colt 11,43 automatique de sous son vêtement, visa la tête de Gaïa et tira les trois dernières balles. Agissant avec promptitude au milieu d’un silence grandissant, elle sortit un bidon métallique, l’ouvrit et déversa sur le cadavre un liquide incolore. Puis elle fit tomber une allumette et se recula tandis que les flammes jaillissaient et commençaient à ramper sur le tapis.

« Et voilà pour les gestes symboliques », dit-elle avant de se retourner vers la foule. De son arme, elle leur indiqua la cathédrale la plus proche.

« Votre seule chance est de fuir par le rayon. Une fois arrivés au bord, sautez ! Vous serez récupérés par des anges qui vous déposeront en sûreté à Hypérion. » Ayant dit cela, elle les oublia totalement. Qu’ils vivent ou qu’ils meurent, voilà qui était sans conséquence.

Elle haletait tandis qu’elle éjectait le chargeur vide et en tirait un neuf d’une poche secrète. Elle l’inséra, ramena le tiroir, le laissa revenir puis s’éloigna du brasier grandissant.

Lorsqu’elle fut assez loin pour y voir clairement, elle se campa sur ses pieds largement écartés et leva le pistolet au-dessus de sa tête. Visant presque à la verticale, elle tira sur le ruban rouge. Elle espaça ses coups, prenant tout son temps et ne cessa de tirer que lorsque le chargeur fut vide.

Elle en sortit alors un autre et l’inséra dans le magasin.

44. Éclairs et Tonnerre

Ce fut au milieu de son quatrième chargeur que la sensation commença à la troubler. Au début, elle ne parvint pas à mettre le doigt dessus. Elle hocha la tête, visa et tira une nouvelle balle. Elle déglutit, la bouche sèche. Il était parfaitement possible que ce ne fût encore qu’un « geste » ; elle ne pouvait le savoir. Même si elle touchait au but, ses balles étaient bien petites et sans doute inoffensives.

Malgré tout, elle tira encore une fois et s’apprêtait à recommencer lorsque la sensation revint, avec une intensité accrue.

Quelque chose lui disait de détaler. Qu’une telle sensation pût lui paraître déplacée dans le cas présent, l’aurait en temps normal peut-être amusée, mais ce n’était pas le cas pour l’instant. Elle tira deux balles encore et le tiroir s’ouvrit sur la chambre vide. Elle dégagea le chargeur du magasin et il tomba sur le sol à côté d’elle avec fracas. Elle déglutit à nouveau. La sensation revenait, plus forte que jamais. Inexplicablement, les larmes lui vinrent aux yeux et roulèrent sur ses joues. Bon sang, elle attendait la mort et ça prenait plus longtemps que prévu.

Mais elle comprenait à présent ce qu’elle ressentait et ses poils minuscules se hérissèrent sur ses bras et la base de son cou. Pour une raison quelconque, elle était sûre que Gaby lui disait de partir.

C’était encore un truc de Gaïa. Elle fit quelques pas incertains et se sentit tout de suite mieux. Mais elle s’immobilisa et la sensation revint.

Pourquoi était-elle décidée à mourir ? Cela n’avait pas fait partie de son plan initial – sinon qu’elle s’était effectivement préparée à mourir s’il le fallait.

Elle avait eu un certain nombre de choses à accomplir. Elle les avait accomplies et son intention première avait été de déguerpir ensuite. Était-ce donc là le truc ? Est-ce que Gaïa lui faisait entendre la voix de Gaby pour l’emplir de confusion en attendant que sa vengeance se manifeste ?

Mais brusquement, elle eut confiance : elle se mit en marche vers les cathédrales.

L’air parut se déchirer lorsque la foudre vint s’écraser à l’endroit précis où elle s’était tenue. Elle courut et la colère de Gaïa s’abattit de toute part. Là-haut, le ruban rouge était plus brillant que jamais.

Saute !

Elle obéit, coupant brusquement sur la gauche, et un nouvel éclair frappa juste où elle s’était trouvée.

Il était possible d’atteindre une vitesse terrifiante dans la faible gravité du moyeu, mais il y fallait le temps : les pieds n’avaient pas un appui suffisant pour permettre une accélération rapide. Elle devait commencer par petites foulées saccadées, les allongeant graduellement jusqu’à ce que ses pieds ne retombent au sol qu’après des enjambées de plusieurs mètres. Et une fois la vitesse acquise, elle se maintenait. Elle bondit à grands pas, touchant rarement le sol, tandis que la foudre tombait autour d’elle.

Le plus difficile était de changer de direction. Lorsqu’elle jugea qu’il lui fallait dévier sur la droite, il ne fut pas facile de traduire en actes cette envie mais elle y parvint sans pouvoir dire si cette fois-ci elle avait été bien inspirée : la foudre ne tomba pas à l’endroit où elle était passée.

Le sol tremblait. Une partie des cathédrales touchées par les éclairs répétés et maintenant attaquées par la vase, commençait à tomber en morceaux. Des gargouilles de pierre s’écrasèrent autour d’elle au moment où elle dépassait une partie des fuyards. Des tours chancelaient au ralenti, se fragmentaient et de monstrueux blocs de maçonnerie se mirent à flotter inexorablement vers le sol. Bien que ne pesant que quelques kilos, ils avaient une masse suffisante pour tout écraser sur leur passage.

Il était trop tard pour tourner et elle se vit foncer droit sur la réplique de Notre-Dame. Elle pila des deux pieds mais continua de glisser à la surface jusqu’à ce qu’elle s’y enfonce d’une bonne cinquantaine de centimètres puis elle poussa des talons et bondit dans les airs, sauta par-dessus la flèche, redescendit lentement et rebondit une nouvelle fois. En dessous d’elle, les derniers participants du thé chez les Fous s’éparpillaient comme une fourmilière éventrée. Droit devant, elle apercevait le rebord pentu du Rayon de Rhéa. Elle ne toucherait plus le sol : son inertie l’amènerait au-dessus du vide. Quelques fuyards s’étaient immobilisés près du bord pour évaluer du regard ce saut impossible.

Cirocco fouilla sous sa couverture et sortit une petite bouteille d’air comprimé. Après s’être retournée pour faire face à la ligne rouge, elle pointa le cylindre sur son estomac puis ouvrit la valve à son autre extrémité. Il se produisit un sifflement et la pression régulière manqua la faire basculer mais elle parvint à retrouver son équilibre. Elle ne tarda pas à constater qu’elle accélérait.