Выбрать главу

Lorsque la bouteille fut vide, elle la lança de toutes ses forces puis elle sortit ses deux derniers chargeurs et les jeta également, suivis par l’intégralité du contenu de ses poches.

Elle faillit balancer l’arme elle-même mais hésita : Robin méritait de la récupérer, dans la mesure du possible.

À la place, elle se glissa hors de sa couverture rouge, en fit une boule aussi serrée que possible, et la lança. La moindre once de poussée réactive comptait, dans sa hâte à entretenir le mouvement.

Bordel ! Elle aurait dû tirer ses dernières balles au lieu de les jeter. Elle aurait peut-être pu sauver son poncho. Mais elle ne pouvait penser à tout et d’ailleurs elle vit en se retournant que cela n’avait plus guère d’importance : tout l’intérieur cylindrique du Rayon de Rhéa était empli du crépitement d’un million de serpents électriques. Elle avait espéré se mettre rapidement hors d’atteinte mais à présent elle devrait y passer.

Au-dessous, elle discernait les silhouettes des anges de son escorte qui l’attendaient à l’endroit convenu en décrivant lentement de grands cercles. Au moment où elle regardait, l’un d’entre eux fut touché et parut exploser dans une gerbe de plumes. Prise d’un malaise, elle détourna quelques instants les yeux. Lorsqu’elle regarda de nouveau, elle vit que les cinq survivants ne s’étaient pas égaillés comme elle l’avait craint. À première vue, on aurait pu croire qu’ils fuyaient, car elle ne voyait d’eux que leurs pieds et leurs ailes qui battaient avec frénésie, mais elle comprit tout de suite qu’ils avaient discerné le problème avant elle, grâce à l’incomparable supériorité de leur sens balistique. Quelques secondes après, elle passait devant eux comme une flèche, ce qui lui permit d’être soulagée de ne pas avoir tiré ses ultimes cartouches : sa vélocité était déjà suffisante pour la mettre en péril de distancer ses sauveteurs.

Elle se retourna et tomba, le dos vers le sol. À quoi bon regarder les éclairs puisque de toute façon, elle ne pourrait rien faire pour les éviter.

Elle ouvrit les bras pour diminuer quelque peu sa vitesse tandis que les anges se ruaient à sa poursuite au milieu du tunnel crépitant.

45. Richesse et Renommée

Valiha avait troqué ses béquilles pour l’équivalent titanide d’un fauteuil roulant. Il était muni de deux roues composées de bandages d’un mètre de rayon qui s’assujettissaient à un cadre de bois légèrement plus large que son corps. Passant juste devant et derrière le bas de son torse humain, de robustes traverses soutenaient une litière de toile percée pour le passage des antérieurs et munie de brides pour attacher solidement le tout. Chris avait au début trouvé l’ensemble bizarre mais il n’avait pas tardé à n’y plus penser tant il se révélait pratique. Elle devrait encore l’utiliser quelque temps ; ses jambes étaient maintenant guéries mais les soigneuses Titanides étaient prudentes en matière de blessures aux membres.

Elle était capable de marcher plus vite encore que ne courait Chris. Son seul problème était celui des virages qu’elle devait négocier lentement. Et, à l’instar de n’importe quel fauteuil roulant, l’engin s’accommodait mal des escaliers.

Elle contempla la large volée de marches en bois qui descendait du toit de verdure à la lisière de l’arbre de Titanville, retroussa le coin des lèvres puis dit : « Je pense pouvoir le monter.

— Et moi, je te vois déjà le dégringoler, dit Chris. Je n’en ai que pour une minute à aller chercher Robin. Serpent, où est le panier du pique-nique ? »

L’enfant parut surpris, puis honteux.

« Je crois bien que je l’ai oublié.

— Alors, cours vite à la maison le rechercher et ne t’arrête pas partout en chemin.

— D’accord. À tout à l’heure ! » Il disparut dans un nuage de poussière.

Chris commença l’ascension. L’escalier avait un aspect rustique pour s’harmoniser à l’environnement végétal : une suite de lettres formées de bouts de bois liés par des cordes – comme à l’entrée d’un camp de scouts – annonçait : « Hôtel de Titanville ».

Il monta jusqu’au troisième et toqua à la porte de la chambre trois. Robin répondit que c’était ouvert et il entra, pour la découvrir en train de bourrer de vêtements son sac à dos.

« Je n’ai jamais eu l’habitude d’entasser les affaires », dit-elle en s’essuyant le front du revers de la main. C’était encore une journée caniculaire à Hypérion. « Voilà encore une chose qui m’a l’air d’avoir changé chez moi : maintenant, j’ai l’impression d’être incapable de jeter quoi que ce soit. Pourquoi ne t’assois-tu pas ? Je vais te dégager une place…» Et elle entreprit de déplacer des piles de chemises et de pantalons, pour la plupart de provenance titanide.

« Je confesse que le spectacle me surprend, dit-il en s’asseyant. Je pensais que tu comptais rester dans le coin, le temps au moins qu’on sache si Cirocco a réussi à…»

Robin lança sur le lit près de lui un méchant gros truc de métal. C’était son bijou de famille, le colt 11,43.

« On me l’a livré il y a quelques heures. Tu n’es pas au courant ? J’avais cru que toute la ville se répétait les nouvelles. Les signes entrevus l’autre jour se sont confirmés : il y a eu une grande bataille dans le ciel et la Sorcière s’est échappée. Mais Gaïa n’est pas contente et ses espions sont partout. Le Carnaval est définitivement annulé, la race est condamnée. Ou bien le Carnaval se déroulera quand même mais il sera trop tard. Cirocco est gravement blessée. Elle est dans le coma. Ou bien elle va très bien et c’est elle qui a blessé Gaïa. Telles sont les rumeurs que j’ai entendues et je ne suis même pas sortie de l’hôtel. »

Chris était surpris, mais pas d’avoir manqué les nouvelles : il avait passé toute la journée à la maison avec Valiha et Serpent puis était venu directement à l’hôtel, une fois le déjeuner emballé. Ils avaient parlé des troubles plusieurs décarevs plus tôt, lorsqu’on avait vu le câble de la Porte des Vents onduler lentement et perçu un roulement de tonnerre ininterrompu en provenance de Rhéa.

« Que sais-tu avec certitude ? »

Robin étendit la main et tapota son arme : « Ça. S’il est là, c’est que Cirocco est parvenue à redescendre. J’espère qu’elle en aura fait bon usage. Ce qu’il est advenu d’elle à partir de là, je ne puis même pas le deviner.

— Peut-être n’ose-t-elle pas se montrer ici ? hasarda Chris.

— Il y a une rumeur en ce sens. J’avais espéré… oh, qu’elle viendrait me rendre le pistolet, ainsi j’aurais eu une chance de… eh bien, quand elle est partie, je ne l’avais pas encore remerciée convenablement. Peut-être qu’à présent, je n’en aurai même plus l’occasion. D’avoir envoyé la Titanide m’attendre.

— Je doute que tu aies pu trouver les mots qu’il fallait.

— Tu as sans doute raison.

— Et la dernière fois que je l’ai vue, elle ne cessait de s’excuser de m’avoir causé de tels ennuis.

— Moi aussi. Je pense qu’elle s’attendait à mourir. Mais, comment le lui reprocher ? Elle n’avait aucun moyen de savoir ce que… ce qui allait…» Elle porta la main à son estomac et parut hésiter.

« Fais attention ! l’avertit Chris.

— Je suis censée être capable d’en parler avec toi, quand même ?

— Tu t’es sentie mal ?

— Je ne sais pas vraiment. Je crois surtout que j’ai eu peur d’être malade. Ça ne va pas être facile de vivre avec ça ! »