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Cela prenait plus de temps qu’elle ne l’aurait cru. Maintenant, elle voyait le ciel et le vaste désert en dessous d’elle et elle continuait à dériver vers le haut. De plus en plus haut, à travers le toit et dans l’espace, toujours plus haut…

Jusqu’où ?

Pour la première fois, elle se mit à avoir des doutes.

Ne serait-ce pas là LA blague à l’échelle cosmique qui couronnerait le tout ? Quelle surprise pour les théologiens s’il apparaissait que la Réponse était bien…

Et si Gaïa n’était pas une notabilité ? À présent, elle ne pouvait plus l’ignorer. Quoi qu’elle fût devenue, sa destination était claire : elle se dirigeait vers le moyeu.

Elle aurait voulu savoir hurler.

35. Les Fugitifs

Chris et Robin en discutèrent, l’envisagèrent sous tous les angles et cela ne fit que renforcer une situation déjà désespérée. Mais alors qu’une telle réponse est acceptable lorsqu’elle est le résultat d’un problème théorique, elle l’est rarement pour l’animal humain dans le monde réel. S’ils avaient été emmurés de chaque côté, ils auraient pu attendre la mort. Ce qui aurait presque été plus facile ; mais avec ces marches qui les appelaient, ils savaient l’un et l’autre qu’il leur faudrait bien les descendre.

« C’est dans la meilleure tradition héroïque, fit remarquer Chris, que de se tuer à essayer.

— T’as pas bientôt fini avec tes histoires de héros ? C’est de notre survie qu’on discute. On est bien d’accord qu’on ne s’en sortira pas en restant ici, donc même s’il n’y a qu’une seule chance sur un million, c’est au pied de l’escalier qu’il faudra la trouver. »

Mais il n’était pas facile de décider Valiha à bouger.

La Titanide était un paquet de nerfs. Les arguments logiques avaient peu d’effet sur elle. Elle pouvait admettre qu’ils devaient chercher un moyen de sortir et que la seule voie possible était vers le bas mais, arrivé à ce point, son esprit se bloquait et quelque chose d’autre prenait la place.

Une Titanide n’avait pas à venir par ici. Aller plus loin était quasi inimaginable.

Chris commençait à désespérer. D’abord, il y avait Gaby. Demeurer près du corps n’avait rien de bien agréable. Avant longtemps… mais mieux valait ne pas y songer : se voir dans l’incapacité de l’ensevelir était déjà bien assez terrible.

Ils ne surent jamais le temps qu’il leur avait fallu pour descendre de Cornemuse et ils n’avaient aucun autre moyen de mesurer l’écoulement du temps. C’était devenu un cauchemar sans fin interrompu seulement par de maigres repas, lorsque la faim devenait intolérable, et par le sommeil sans rêves de l’épuisement. Ils parcouraient peut-être vingt ou trente marches avant que Valiha ne s’assoie et ne se mette à trembler. Il était impossible de la bouger aussi longtemps qu’elle n’avait pas fait appel à tout son courage. Elle était trop grosse pour qu’on la soulève et aucune parole ne pouvait rien y faire.

Le caractère de Robin – déjà peu stable dans ses meilleurs moments – devint franchement volcanique. Au début, Chris essaya de lui faire modérer son langage. Ensuite, ce fut lui qui se mit à ajouter des commentaires de son cru. Il n’était pas d’accord lorsqu’elle se mit à rabrouer la Titanide, à se mettre derrière elle et à la pousser avec l’énergie du désespoir pour la faire avancer mais il ne dit rien. Ils ne pouvaient quand même pas la laisser là. Robin opina :

« J’adorerais l’étrangler mais je serais incapable de l’abandonner.

Ce ne serait pas forcément un abandon, dit Chris : on pourrait aller de l’avant et tenter de trouver du secours. »

Robin ricana : « Ne te berce pas d’illusions. Qu’y a-t-il là-bas au fond ? Sans doute une mare d’acide. Et même si ce n’est pas le cas, même si Téthys ne nous tue pas et que nous parvenons jusqu’à l’un de ces tunnels – s’il y a bien là-dessous des tunnels comme dans l’autre escalier –, il nous faudra des semaines pour en sortir et autant pour revenir. Si nous la laissons, elle est morte. »

Chris dut admettre qu’il y avait du vrai là-dedans et Robin reprit ses tentatives pour forcer Valiha à bouger. Il persistait à considérer que ce pouvait être une erreur et Valiha lui donna raison : cela se produisit soudainement, dès que Robin eut commencé à la claquer.

« Ça fait mal », gémit Valiha.

Robin la frappa derechef.

Valiha enserra dans sa main énorme le cou de Robin et la souleva du sol en la tenant à bout de bras. Robin se débattit quelques instants, puis demeura immobile ; elle gargouillait.

« La prochaine fois que je t’attrape, dit Valiha d’une voix pas particulièrement menaçante, je serre jusqu’à ce que ta tête se détache. »

Elle reposa Robin, lui tint l’épaule pendant qu’elle toussait et ne la relâcha que lorsqu’elle fut certaine qu’elle pouvait tenir debout toute seule. Robin battit en retraite et Chris estima que c’était une chance qu’elle eût laissé son arme en sûreté dans les fontes de Valiha. Mais la Titanide ne semblait lui en tenir aucune rancune et l’incident ne devait plus jamais être mentionné tandis que, de son côté, Robin se garda dorénavant ne serait-ce que d’élever la voix en présence de la Titanide.

* * *

Il estima qu’ils avaient accompli plus de la moitié du chemin. C’était la cinquième fois qu’ils dormaient. Mais cette fois-ci, lorsqu’il s’éveilla, Valiha avait disparu.

Ils se mirent à remonter.

Mille deux cent vingt-neuf marches plus tard, ils la trouvèrent. Elle était assise, les jambes repliées sous le corps, le regard vitreux, oscillant doucement d’arrière en avant. Elle avait l’air aussi intelligent qu’une vache.

Robin s’assit et Chris vint s’effondrer à côté d’elle. Il savait que s’il se mettait à pleurer maintenant, il ne pourrait plus s’arrêter, alors il ravala ses larmes.

« Et maintenant ? » demanda Robin. Chris se releva avec un soupir. Il mit les mains sur les joues de Valiha et les caressa doucement jusqu’à ce que son regard accommode enfin sur lui.

« Il est temps de repartir, Valiha.

— Non ? Tu crois ?

— J’en ai peur. »

Elle se releva et se laissa conduire.

Ils descendirent vingt marches, puis trente, puis quarante. À la quarante-sixième, elle s’assit de nouveau et se remit à osciller. À force de l’amadouer, Chris parvint encore à la faire se relever et cette fois ils parcoururent soixante marches. Lorsqu’il l’eut fait repartir pour la troisième fois, il était optimiste : il espérait arriver à cent marches mais ils n’allèrent pas plus loin que dix-sept.

* * *

Deux étapes plus tard, ce furent les pleurs de Robin qui réveillèrent. En levant les yeux, il constata que de nouveau Valiha était partie. Il passa un bras autour de la jeune fille et celle-ci ne fit aucune objection. Lorsqu’elle se fut calmée, ils se levèrent et, une fois de plus, se mirent à grimper.

* * *

Il lui semblait que plus personne n’avait ouvert la bouche depuis des années. Il y avait eu des cris et à un moment, ils en étaient même venus aux mains. Mais même dans ces conditions, ils ne pouvaient tenir bien longtemps : ni l’un ni l’autre n’avait l’énergie suffisante. Chris boita quelque temps à la suite de leur pugilat tandis que Robin arborait un bel œil Poché.

Mais il était surprenant de constater ce que pouvait faire un peu d’adrénaline.