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— Ou bien admettre le fait que ça pourrait fort bien recommencer.

— Il y aura toujours ce risque. »

Elle était finalement parvenue à le regarder. À sa propre surprise, elle découvrit qu’elle n’était plus fâchée de le voir. Son visage n’avait plus rien de moqueur. Elle savait que si elle le lui demandait, il n’en parlerait plus et n’en dirait jamais rien à personne. D’une certaine façon, cela n’avait plus autant d’importance.

« Tu as l’air d’être très partisan de voir les choses en face. Quant à moi, je préfère lutter contre. C’est plus… satisfaisant. » Elle haussa les épaules.

« Plus facile aussi.

— Dans un sens.

— Ce serait plus facile de se couper un autre doigt que de faire ce que tu dis.

— Ça, je veux bien le croire.

— J’y réfléchirai. Maintenant, tu veux bien me laisser seule ?

— Je ne crois pas. Je vais être bientôt prêt à réduire les fractures de Valiha. Pendant que je relis tout encore une fois et que je rassemble le matériel, tu pourrais nous préparer quelque chose à manger. Il reste encore pas mal de bouffe dans le sac de Valiha et il y a de l’eau de l’autre côté de cette crête. Prends la lanterne avec toi ; je me suis improvisé une torche pour pouvoir lire. »

Elle le regarda avec des yeux ronds : « Ce sera tout ?

— Non. Pendant que tu y es, tâche de nous trouver de quoi faire des attelles. La plupart des plantes que j’ai vues sont plutôt tordues et rabougries mais on ne sait jamais. Mettons cinq ou six perches d’un mètre environ. »

Elle se frotta le visage. Elle avait envie de dormir encore quelques années et pas du tout de se réveiller.

« Des perches, de l’eau, à dîner. Autre chose ?

— Oui. Si tu connais des chansons, va les chanter à Valiha. Elle souffre terriblement et on n’a pas grand-chose pour la distraire. Je garde les drogues pour m’en servir pendant l’opération et quand je recoudrai ses blessures. »

Il s’apprêtait à partir puis se retourna : « Et tu pourrais prier, toi qui as l’habitude de prier. C’est la première fois que je fais ça et je suis certain de ne pas m’y prendre convenablement. Je suis terrorisé. »

« Comme il dit ça facilement », songea-t-elle.

« Je t’aiderai. »

37. West End

Nasu s’était échappé au tout début de leur séjour dans la caverne. Chris aurait été incapable de dire exactement quand : le temps était devenu une quantité irrationnelle.

Robin remua ciel et terre à la recherche de son reptile. Elle se reprochait sa perte. Chris ne se sentait pas capable de la réconforter car il savait qu’elle avait raison : Gaïa n’était pas un endroit pour un anaconda. Nasu avait probablement souffert plus que quiconque, à rester lové dans le sac en bandoulière de Robin pour n’en sortir qu’épisodiquement. Ce n’est qu’avec beaucoup de réticence que Robin l’avait finalement laissé explorer leur campement. La roche était chaude et Robin avait jugé que son démon ne s’éloignerait guère de la lumière de leur petit feu de camp. Chris avait eu des doutes. Il sentait qu’inconsciemment Robin attribuait au serpent des vertus d’intelligence et de fidélité presque magiques sous le simple prétexte qu’il était son démon, quoi que pût signifier un tel rôle. Pour lui, c’était trop en attendre d’un serpent et Nasu devait lui donner raison. Un matin au réveil, Nasu avait disparu.

Ils passèrent de longues journées à explorer les environs. Robin fouillait chaque recoin en appelant son nom. Elle laissa traîner de la viande fraîche pour l’attirer. Rien n’y fit. Elle finit par arrêter lorsqu’elle eut compris qu’elle ne reverrait plus jamais l’animal. Elle se mit alors à questionner Chris et Valiha, leur demandant si le serpent pourrait survivre. On lui répondait toujours que Nasu n’aurait aucun problème mais Chris n’était pas certain que ce fût la vérité.

Graduellement, recherches et questions cessèrent, Robin admit la perte et l’incident se fondit dans l’horizon événementiel de leur existence hors du temps.

Le problème était que Cornemuse avait transporté les deux horloges. Il les avait encore, à supposer qu’il vive toujours.

Chris faisait tout pour se persuader que le problème n’en était pas un, même contre toute évidence. Déjà, en surface, il avait éprouvé une sensation de dislocation avec cette luminosité qui ne variait qu’en fonction de la distance parcourue et, dans une moindre mesure, de la météo. Mais ils avaient encore des horloges pour leur indiquer l’écoulement du temps et Gaby leur avait imposé un horaire ponctuel. À présent, il se rendait compte qu’il n’avait aucune notion précise du temps passé depuis leur départ d’Hypérion. Ses récapitulations l’amenaient à des chiffres oscillant entre trente-cinq et quarante-cinq jours.

Au fond de la caverne, cette intemporalité s’intensifiait. Chris et Robin dormaient lorsqu’ils avaient sommeil et ils baptisaient chacune de ces périodes un jour, tout en sachant que sa durée pouvait varier de dix à cinquante-cinq heures. Mais à mesure que les « jours » commençaient à s’accumuler, Chris découvrit qu’il avait de plus en plus de difficultés à retrouver l’enchaînement des choses. Pour ajouter à la confusion, ils n’eurent que tardivement l’idée de tenir un calendrier de leurs périodes de sommeil. Comme quinze à vingt « nuits » étaient passées avant qu’ils ne commencent à faire des encoches dans un bout de bois, tous leurs calculs devaient se faire plus ou moins un nombre inconnu de jours. Et même ce calendrier n’était utile qu’en estimant la durée moyenne de leurs jours à vingt-quatre heures, une supposition que Chris jugeait loin d’être prudente.

Et c’était important : car même s’ils n’avaient pas d’horloge, un processus était à l’œuvre qui mesurait le temps avec la même précision que la désintégration nucléaire : Valiha portait un bébé Titanide.

Elle estimait avoir été blessée à la 1200e rev de sa grossesse, avec une marge d’erreur car elle n’avait pas souvenance de sa descente dans l’escalier de Téthys. Elle ne se rappelait pas grand-chose entre la mort de Gaby et son propre retour à la conscience après l’échec de la tentative pour franchir la crevasse qui lui avait coûté deux jambes brisées. Chris traduisit ces 1200 revs en une cinquantaine de jours, soit un mois et deux tiers et il se sentit un petit peu mieux. Il lui demanda ensuite si elle savait combien de temps mettraient ses jambes à guérir.

« Je serai probablement capable de marcher avec des béquilles dans un kilorev », et elle ajouta, serviable :

« Ça fait quarante-deux jours.

— Tu n’irais pas bien loin sur des béquilles, ici.

— C’est probable, s’il y a de l’escalade à faire.

— Il y a de l’escalade à faire », indiqua Robin qui avait exploré les alentours sur un rayon de deux à trois kilomètres.

« Dans ce cas, il faudrait compter jusqu’à cinq kilorevs pour une guérison complète. Quatre peut-être. Je doute d’être très vaillante en moins de trois.

— Jusqu’à sept mois. Peut-être cinq ou six. » Chris fit le calcul puis se détendit quelque peu. « Ce sera juste mais je pense qu’on peut te sortir de là avant que tu n’arrives à terme. »

Valiha parut perplexe puis son visage s’éclaira.

« Je vois ton erreur, dit-elle placidement. Tu croyais qu’il me faudrait neuf de vos mois pour faire le boulot. Nous sommes plus rapides que ça. »