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Sur bien des points on faisait des compromis. Le gros écueil venait de ses explorations de la caverne. La même discussion revenait à l’infini, pratiquement dans les mêmes termes et ils n’y croyaient pas plus l’un que l’autre : L’ennui se faisait intense, ils avaient épuisé tous les sujets qu’ils avaient en commun et les désaccords finissaient par leur procurer une diversion bienvenue.

Je n’aime pas te voir partir seule comme ça », disait Chris pour au moins la vingtième fois. « J’ai un peu lu sur la spéléo et ce n’est pas du tout comme d’aller nager tout seul au large.

— Mais tu ne peux pas venir avec moi. Valiha a besoin de toi.

— Je suis désolée », dit Valiha.

Robin toucha la main de la Titanide et lui assura qu’elle ne lui reprochait rien, s’excusant même d’avoir abordé cet épineux sujet. Quand Valiha fut apaisée, elle poursuivit :

« Quelqu’un doit y aller. On mourra tous de faim si je n’y vais pas. »

Elle avait raison et Chris le savait. Il n’y avait pas que des oiseaux-luire dans la caverne et ces animaux ne semblaient, eux non plus, ni craintifs ni agressifs. On pouvait les approcher et les tuer facilement mais il était moins facile de les dénicher. Robin en avait jusqu’à présent découvert trois espèces, chacune de la taille d’un gros chat ; dépourvus de poil et de dents, ils étaient lents comme des tortues. Nul ne savait à quoi ils pouvaient bien passer leur existence mais Robin les trouvait toujours gisant immobiles à proximité de cônes gris d’une substance élastique et chaude qui pouvait aussi bien être une plante qu’un animal sessile mais qui était sans doute vivante et s’enracinait fermement au sol. Elle avait baptisé ces masses caoutchouteuses des trayons parce qu’elles évoquaient des pis de vache et les trois sortes d’animaux : concombres, laitues et crevettes. Non à cause de leur goût – tous trois ressemblaient plus ou moins à du bœuf –, mais d’après les trois organismes terriens qu’ils copiaient. Elle avait marché à côté des concombres pendant des semaines avant de buter accidentellement dans un spécimen qui l’avait alors regardée, révélant ses grands yeux ahuris.

« On se débrouille très bien, répondit Chris. Je ne vois pas pourquoi tu éprouves le besoin de sortir encore plus souvent. » Mais ce disant, il savait bien qu’il avait tort. Certes, ils avaient de la viande, mais tout juste assez pour l’énorme appétit de Valiha.

« On n’en aura jamais trop », contra Robin tout en indiquant du regard qu’ils n’allaient pas discuter de ce qu’ils pensaient tous les deux en présence de Valiha. Ils avaient déjà débattu de sa grossesse et lui avaient indiqué une partie de leurs craintes pour découvrir qu’elle les partageait tout autant et s’inquiétait de ne pas avoir suffisamment de nourriture ou de ne pas avoir le régime convenable pour un développement harmonieux de son enfant. « Ces machins sont durs à trouver, poursuivait Robin. J’aimerais mieux qu’ils détalent à mon approche. Tels qu’ils sont, je peux passer à moins d’un mètre d’eux sans même les voir. »

Et la discussion se poursuivait à l’infini sans jamais aboutir à rien.

Robin partait un jour sur deux, ce qui était deux fois moins que ce qu’elle voulait et mille fois trop pour le goût de Chris. Lorsqu’elle n’était pas là, Chris passait son temps à l’imaginer gisant brisée au fond d’un puits, inconsciente, hors d’état d’appeler à l’aide ou trop loin pour qu’on l’entende. Lorsqu’elle était au camp, elle passait son temps à tourner en rond, à faire les cent pas, à lui crier après, à s’excuser puis à crier encore. Elle l’accusait de se conduire comme sa mère, de la traiter comme une enfant, sur quoi il rétorquait qu’elle se conduisait effectivement comme une enfant, et qui plus est, une enfant capricieuse et mal élevée et chacun d’eux savait que l’autre avait raison et ni l’un ni l’autre ne pouvaient rien y faire. Robin brûlait d’aller chercher du secours mais ne pouvait partir tant qu’ils auraient besoin d’elle pour chasser et Chris désirait tout autant partir mais ne pouvait le dire devant Valiha, si bien qu’ils bouillonnaient et s’asticotaient et que le problème semblait insoluble jusqu’au jour où Robin, de colère, plongea son couteau dans l’un des trayons gris, ce qui lui valut d’être arrosée d’un liquide gluant et blanc.

* * *

« C’est le lait de Gaïa », dit avec joie Valiha et sans attendre, elle vida l’outre que Robin avait remplie.

« Je n’aurais pas cru qu’on en trouve à cette profondeur.

Dans mon pays, il coule entre deux et dix mètres sous le sol.

— Que veux-tu dire par “lait de Gaïa” ? demanda Chris.

Je ne sais comment mieux l’expliquer ; c’est tout simplement cela : le lait de Gaïa. Et cela signifie que mes ennuis sont terminés. Mon fils pourra profiter grâce à lui. Le lait de Gaïa contient tout ce qui est nécessaire à la subsistance.

— Et nous ? demanda Robin. Est-ce que des pers… est-ce que des humains peuvent également en boire ?

— Les humains s’en trouvent fort bien. C’est l’aliment universel.

— Quel goût ça a, Robin ? demanda Chris.

— Je ne sais pas, moi. Tu croyais pas que j’allais en boire, non ?

— Les humains de ma connaissance qui l’ont essayé disent que c’est légèrement amer, dit Valiha. Je suis assez d’accord mais je crois que sa qualité varie d’une rev à l’autre. Quand Gaïa est contente, il devient plus sucré. Lorsqu’elle est en colère, son lait épaissit et devient écœurant mais il est toujours nourrissant.

— D’après toi, comment se sent-elle à l’heure actuelle ? » s’enquit Robin.

Valiha leva l’outre pour boire les dernières gouttes. Elle dodelina du chef pensivement.

« Soucieuse, je dirais. »

Robin rit : « Qu’est-ce qui pourrait rendre Gaïa soucieuse ?

— Cirocco.

— Que veux-tu dire ?

— Ce que j’ai dit. Si la Sorcière vit toujours et si nous survivons pour lui raconter les derniers instants de Gaby et lui répéter ses dernières paroles, Gaïa tremblera. »

Robin paraissait dubitative et Chris partageait in petto son point de vue. Il ne voyait pas en quoi Cirocco pouvait présenter une menace pour Gaïa.

Mais la signification de sa découverte n’avait pas échappé à Robin :

« À présent, rien ne m’empêche d’aller chercher du secours », dit-elle pour commencer une discussion qui allait durer trois jours et dont Chris était sûr dès le début de sortir perdant.

* * *

« La corde. Tu es sûre d’avoir assez de corde ?

— Comment puis-je savoir combien il en faut ?

— Et les allumettes ? Tu as pris les allumettes ?

— Elles sont ici. » Robin tapota la poche de son manteau, attaché au sommet du sac qu’ils avaient confectionné avec une des sacoches de Valiha. « Chris, arrête un peu. On a déjà fait l’inventaire une douzaine de fois. »

Chris savait qu’elle avait raison, savait que son agitation de dernière minute n’était qu’un moyen de retarder son départ. Il s’était écoulé quatre jours depuis sa capitulation finale.

Ils avaient repéré le plus proche des trayons de Gaïa et laborieusement en avaient approché Valiha. Bien que la distance de leur camp ne fût que de trois cents mètres en ligne droite, cette ligne traversait deux ravins escarpés. Ils avaient fait un demi-kilomètre vers le nord pour trouver un passage puis un kilomètre vers le sud et retour.