Выбрать главу

« T’occupe pas de tout ça », se dit-elle. Ça ne la mènerait nulle part, sinon de nouveau à l’entrée du corridor, dans les ténèbres amères de la défaite, si elle continuait à penser de la sorte. Elle devait faire ce qu’elle avait à faire sans s’occuper du tremblement de ses mains.

« Il faut absolument que je te parle, poursuivit-elle avec fermeté. Pour cela, tu dois faire baisser le niveau d’acide. Je te préviens que la Sorcière sera mécontente et, à travers elle, Gaïa, si tu ne fais pas ce que je te dis. Puisque tu aimes et respectes Gaïa, laisse-moi approcher. Puisque tu crains Gaïa, laisse-moi approcher ! »

Ça sonnait tellement creux, tellement faux à ses oreilles : sans aucun doute, Théa l’entendrait aussi bien qu’elle, cette peur latente sous les mots, prête à la trahir.

Et pourtant, le niveau d’acide refluait. En approchant avec précaution, elle constata qu’aux endroits où la couche avait eu plusieurs centimètres d’épaisseur ne subsistait plus qu’une mince pellicule fumante.

Elle s’assit en vitesse pour ouvrir son sac. Elle fourra ses bottes de chiffons provenant d’une chemise déchirée bien des hectorevs plus tôt. Ses orteils étaient à l’étroit lorsqu’elle les renfila. Ensuite, elle enveloppa l’extérieur avec le reste de la chemise et un coin de sa couverture. Puis elle avança sur le sol humide.

Elle examina la couverture au bout de quelques pas. L’acide ne semblait pas assez concentré pour attaquer rapidement le tissu. Elle devrait tenter le coup.

Théa était prudente, elle aussi. L’acide se retirait avec une lenteur pénible tandis que Robin dansait d’impatience. Le couloir descendait. Bientôt les murs dégouttèrent. Puis le plafond. Elle ramena la couverture sur sa tête et poursuivit sa marche.

Elle finit par déboucher sur une corniche identique à celles qu’elle avait pu voir dans l’antre de Crios ou de Téthys.

« Parle », jaillit la voix et jamais elle n’avait été aussi près de détaler qu’à ce moment car cette voix était la même, exactement la même que celle de Téthys. Elle dut se remémorer que Crios également avait eu cette voix : plate, impersonnelle, dépourvue d’émotion ; une voix construite sur l’écran d’un oscilloscope.

« Ne bouge pas, si tu tiens à la vie, continuait la voix. Je puis agir bien plus vite que tu ne crois ; alors ne te fie pas à tes expériences passées. Je suis en droit de t’abattre, puisque ceci est le saint sépulcre que Gaïa en personne m’a donné et seule la Sorcière a pu y pénétrer. C’est uniquement à notre amitié de longue date ainsi qu’à mon amour pour Gaïa que tu dois d’être restée en vie si longtemps. Parle, et dis-moi pourquoi tu devrais continuer à vivre. »

Elle n’est pas du genre à mâcher ses mots, songea Robin. Quant aux mots proprement dits… s’ils avaient jailli d’une bouche humaine, elle aurait pris leur auteur pour un fou. Et peut-être Théa était-elle folle mais c’était de peu d’importance. La folie était un terme dont les connotations n’étaient pas assez larges pour embrasser une intelligence étrangère.

« Si tu as l’intention de faire demi-tour pour fuir, poursuivit Théa, apparemment devenue méfiante, tu devrais savoir que je suis au courant de ce qui s’est passé avec celle qui vit à l’ouest de moi. Tu devrais savoir qu’elle n’y était pas préparée tandis que moi, je suis au courant de ton approche depuis de nombreux kilorevs. Je n’ai nul besoin d’inonder mes chambres : sous la surface de mes douves se trouve un organe capable de propulser un jet d’acide assez puissant pour te couper en deux. Alors parle, ou meurs. »

Pour Robin, ces menaces étaient bon signe, de même que cette volonté de dialogue trahissait une surprenante humilité pour une divinité de second rang.

« J’ai déjà parlé, répondit-elle avec toute la fermeté dont elle était capable. Si tu avais écouté, tu saurais l’importance de ma mission. Puisque apparemment ce n’est pas le cas, je vais donc me répéter. Je suis investie d’une mission de la plus haute importance pour Cirocco Jones, la Sorcière de Gaïa. Je détiens des informations qu’elle doit entendre. Si je ne puis la joindre pour les lui donner, elle en sera extrêmement fâchée. »

À peine avait-elle prononcé ces mots qu’elle eut envie de se mordre la langue : Théa était une alliée de Gaïa et l’information que Robin portait à Cirocco était que Gaïa avait tué Gaby. C’était sans importance sauf si Téthys, qui devait y être impliquée, s’en était vantée auprès de Théa. Et comme cette dernière semblait en savoir long sur ce qui s’était passé dans la chambre de Téthys, il était clair qu’elles avaient communiqué.

« Quelle est cette information ?

— C’est entre la Sorcière et moi. Si Gaïa veut en savoir plus, elle te le demandera. »

Il y eut un silence qui ne dut pas se prolonger plus de quelques secondes. Mais assez pour que Robin vieillisse de vingt ans. Pourtant, lorsque aucun jet d’acide ne se fut manifesté, elle en aurait hurlé de joie. Elle l’avait eue ! Si elle pouvait lui dire une chose pareille et continuer à vivre, c’est bien parce que le respect que lui inspirait Cirocco n’était pas un vain mot.

Maintenant, si elle parvenait encore à tenir quelques minutes…

Elle se mit à avancer lentement pour ne pas surprendre Théa. Elle avait fait trois pas en direction des marches qu’elle apercevait sur le côté sud de la salle lorsque Théa reparla.

« Je t’ai dit de ne pas bouger. Nous avons encore des choses à discuter.

— Je ne vois pas quoi. Ferais-tu obstacle à la porteuse d’un message pour la Sorcière ?

— La question pourrait fort bien ne pas se poser : si je te détruisais – comme j’en ai le droit ; et même l’obligation, de par les lois de Gaïa – il ne resterait pas même un corps pour en témoigner. La Sorcière n’aurait aucune raison de savoir que tu es passée par là.

— Ce n’est pas une obligation, rétorqua Robin tout en renouvelant à voix basse ses prières. J’ai moi-même rendu visite à Crios. J’ai pénétré dans ses chambres et j’y ai bien survécu puisque je suis là pour en parler. La permission de la Sorcière suffit simplement. Je le sais et tu dois bien le savoir également.

— Mes salles sont toujours demeurées inviolées. Il doit en être ainsi. Nulle créature autre que la Sorcière n’a jamais pénétré là où tu te trouves.

— Et moi je te répète que j’ai vu Crios. Personne n’est plus que lui loyal envers Gaïa.

— Je n’ai de leçons de loyauté envers Gaïa à recevoir de personne, rétorqua Théa, vertueusement.

— Alors tu ne peux pas faire moins que Crios et tu ne me toucheras pas. »

Sans doute était-ce là un difficile dilemme moral pour Théa. Quoi qu’il en soit, il y eut encore un long silence. Robin était trempée de sueur et les émanations d’acide lui piquaient le nez.

« Puisque tu es si loyale envers Gaïa, suggéra Robin, pourquoi avoir parlé à Téthys ? » À nouveau, elle se demanda si elle avait visé juste. Mais elle était habitée d’un besoin dément de mener la charade à son terme, advienne que pourrait. Il serait vain, à présent, de ramper ou de plaider. Elle sentait que sa seule chance était désormais de faire face avec fermeté.

Théa n’était pas idiote. Elle comprit qu’elle s’était coupée en révélant ce qu’elle savait de l’expérience vécue par Robin avec Téthys. Elle ne tenta pas de le nier mais au contraire répondit de manière fort semblable à Crios lors de sa confrontation avec Cirocco :

« On ne peut s’empêcher d’entendre. Je suis ainsi faite. Téthys a beau trahir, elle persiste quand même à lui murmurer des hérésies. Qu’elle s’empresse bien entendu de rapporter à Gaïa. Ça peut toujours être utile. »