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« Je n’étais pas revenu ici depuis bien avant sa mort, a-t-il timidement avoué. J’ai l’air idiot si je dis qu’elle me manque ?

— Non, pas du tout.

— Elle a été, à ma connaissance, la première personne à se montrer gentille avec moi. Toute la gentillesse de la Grande Maison venait de Belinda Dupree. »

Je l’ai conduit dans la cuisine et lui ai fait franchir la porte basse d’accès au sous-sol. La petite maison de la propriété Lawton, conçue pour ressembler à un cottage de la Nouvelle-Angleterre (ou à l’idée que quelqu’un s’en faisait), reposait sur la dalle de béton brut de la cave, dans laquelle Jason a dû se pencher pour ne pas se cogner au plafond. Il y avait là juste assez de place pour la chaudière, le chauffe-eau, le lave-linge et le sèche-linge. L’air était encore plus froid, en bas, avec une odeur humide, minérale.

Je me suis accroupi dans la niche s’ouvrant à l’arrière du corps métallique de la chaudière, un de ces culs-de-sac poussiéreux que même les professionnels du nettoyage avaient tendance à négliger. J’ai expliqué à Jason qu’une fente dans la cloison sèche permettait, avec un peu de dextérité, de détacher la plaque et d’accéder ainsi à l’interstice non isolé entre les montants en pin et le mur de fondation.

« Intéressant », a estimé Jason un mètre derrière moi, à l’angle de la chaudière silencieuse. « Qu’est-ce que tu y mettais, Tyler ? Des magazines pornos ? »

À l’âge de dix ans, j’y dissimulais certains jouets, non par crainte qu’on me les vole, mais parce que cela m’amusait de les savoir cachés et introuvables pour tout autre que moi. Plus tard, j’y avais mis au secret des choses moins innocentes : plusieurs brèves tentatives de journal intime, des lettres à Diane jamais remises ni même achevées et, oui, encore que je ne voulais pas l’admettre devant Jason, des sorties papier de pornographie assez insipide trouvée sur Internet. Je m’étais débarrassé depuis longtemps de tous ces secrets honteux.

« On aurait dû apporter une lampe électrique », a dit Jase. L’unique ampoule du plafond projetait une lumière insignifiante dans ce coin encombré de toiles d’araignée.

« À l’époque, il y avait une torche sur la table, près de la boîte de fusibles. » C’était toujours le cas. J’ai reculé le temps de la prendre des mains de Jason. Elle a émis une lumière faible, pâle, signe de piles à l’agonie, mais fonctionnait suffisamment pour que j’arrive à trouver sans tâtonner le morceau de cloison sèche mal fixé. Je l’ai soulevé, puis j’ai glissé le sac dans l’interstice avant de remettre en place la cloison sèche et d’épousseter un peu de poussière crayeuse sur les joints visibles.

Mais au moment de reculer, j’ai laissé échapper la torche électrique, qui a roulé encore plus loin dans les ombres et les toiles d’araignée derrière la chaudière. J’ai fait la grimace et tendu la main vers le faisceau lumineux. J’ai touché le corps de la torche. Puis autre chose. Un objet creux mais solide. Une boîte.

Je l’ai tirée vers moi.

« Tu as bientôt fini, Tyler ?

— Une seconde. »

J’ai braqué la lumière sur ma trouvaille. C’était une boîte à chaussures. Une boîte à chaussures avec un logo poussiéreux New Balance et une autre mention, écrite en épaisses lettres noires : « SOUVENIRS (ÉCOLE) ».

La boîte qui manquait en haut sur l’étagère de ma mère, la boîte que je n’avais pas retrouvée après son enterrement.

« Un problème ? s’est enquis Jason.

— Non non. »

Je pourrais l’examiner plus tard. Je l’ai repoussée derrière la chaudière, me suis extrait de cet endroit poussiéreux et me suis relevé en m’époussetant les mains. « Je pense qu’on en a fini.

— Rappelle-t’en pour moi, a dit Jason. Au cas où j’oublie. »

Cette nuit-là, nous avons regardé les résultats des élections sur l’écran vidéo des Lawton, un modèle démodé mais d’une taille impressionnante. Carol, qui ne retrouvait plus ses lentilles de contact, s’était assise tout près de l’écran qu’elle a regardé en clignant des yeux. Elle avait passé l’essentiel de sa vie d’adulte à ignorer la politique – « cela a toujours été le rayon d’E.D. » – et nous avons dû lui présenter quelques-uns des acteurs principaux. Mais elle semblait apprécier l’événement. Jason a raconté quelques petites plaisanteries et Carol lui a fait le plaisir d’en rire. Quand elle riait, je retrouvais un peu de Diane sur son visage.

Elle se fatiguait vite, toutefois, et elle était déjà remontée dans sa chambre quand les réseaux ont commencé à recevoir les résultats de chaque État. Ceux-ci n’avaient rien de surprenant. Lomax a fini par remporter tout le nord-est ainsi que la majeure partie du Midwest et de l’ouest. Il a obtenu de moins bons résultats dans le sud, mais les autres votes se voyaient là aussi divisés à parts presque égales entre démocrates traditionalistes et conservateurs chrétiens.

Nous avons commencé à débarrasser nos tasses de café à peu près au moment où le dernier candidat battu concédait poliment mais sans joie la victoire.

« Bon, les gentils ont gagné », ai-je dit.

Jase a souri. « Je ne suis pas sûr qu’ils se soient présentés.

— Je croyais que Lomax était le meilleur choix pour nous.

— Peut-être. Mais ne commets pas l’erreur de croire que Lomax se soucie de Périhélie ou du programme réplicateurs, à part comme moyen commode de réduire le budget spatial tout en ayant l’air de faire un grand pas en avant. Les fonds fédéraux qu’il dégage de cette manière seront versés au budget militaire. Voilà pourquoi E.D. n’a pu trouver de véritable opposant à Lomax parmi ses vieux potes de l’aérospatiale. Lomax ne laissera pas Boeing ou Lockheed Martin mourir de faim. Il veut juste les réorganiser.

— Pour la défense », ai-je complété. L’accalmie du conflit global résultant de la confusion mondiale provoquée par l’apparition du Spin était depuis longtemps de l’histoire ancienne. Un rééquipement militaire n’était peut-être pas une mauvaise idée.

« À en croire Lomax.

— Et tu ne le crois pas ?

— J’ai peur de ne pas pouvoir me le permettre. »

Sur cette remarque, je suis allé me coucher.

Le lendemain matin, j’ai administré la première injection. Jason s’est allongé face à la fenêtre sur un canapé du grand salon des Lawton. Il portait un jean et une chemise de coton, l’air d’un patricien désinvolte, fragile mais calme. S’il avait peur, il ne le montrait pas. Il a remonté sa manche droite pour exposer le creux de son coude.

J’ai sorti une seringue de ma sacoche, j’y ai fixé une aiguille stérile et j’ai aspiré le liquide transparent d’une des ampoules que nous n’avions pas mises dans la cachette. Wun avait répété l’opération avec moi. Les protocoles du Quatrième Âge. Sur Mars, il y aurait eu une petite cérémonie et un environnement apaisant. Nous devions quant à nous composer avec la lumière de novembre et le tic-tac d’horloges coûteuses.

J’ai désinfecté la peau avant l’injection. « Tu n’es pas obligé de regarder, ai-je dit à Jason.

— Mais j’en ai envie. Montre-moi comment on fait. »

Il avait toujours aimé savoir le fonctionnement des choses.

L’injection n’a produit aucun effet immédiat, mais le lendemain midi, Jason avait de la fièvre.

Subjectivement, a-t-il dit, ce n’était pas pire qu’un léger rhume, et en milieu d’après-midi, il me suppliait de prendre mon thermomètre et mon tensiomètre et de me les… eh bien, en substance, il me demandait de les emporter ailleurs.

J’ai donc remonté mon col pour me protéger de la pluie (une pluie aveugle, bêtement tenace qui tombait sans discontinuer depuis le milieu de la nuit) avant de traverser une nouvelle fois la pelouse jusqu’à la maison de ma mère, où j’ai remonté la boîte SOUVENIRS (ÉCOLE) dans le salon.