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Et des musiques jouent en l'honneur de mon ombre; des officiers saluent mon siège vide; mes femmes apprécient mieux l'honneur des nuits où je ne daigne pas.

Egal aux Génies qu'on ne peut récuser puisqu'invisibles, – nulle arme ni poison ne saura venir où m'atteindre.

Moment

Ce que je sais d'aujourd'hui, en hâte je l'impose à ta surface, pierre plane, étendue visible et présente;

Ce que je sens, – comme aux entrailles l'étreinte de la chute, – je l'étale sur ta peau, robe de soie fraîche et mouillée;

Sans autre pli, que la moire de tes veines: sans recul, hors l'écart de mes yeux pour te bien lire; sans profondeur, hormis l'incuse nécessaire à tes creux.

Qu'ainsi, rejeté de moi, ceci, que Je sais d'aujourd'hui, si franc, si fécond et si clair, me toise, et m'épaule à jamais sans défaillance.

J'en perdrai la valeur enfouie et le secret, mais ô toi, tu radieras, mémoire solide, dur moment pétrifié, gardienne haute

De ceci… Quoi donc était-ce… Déjà délité, décomposé, déjà bu, cela fermente sourdement déjà dans mes limons insondables.

Cité violette interdite

Elle est bâtie à l'image de Pei-king, capitale du Nord, sous un climat chaud à l'extrême ou plus froid que l'extrême froid.

A l'entour, les maisons des marchands, l'hôtellerie ouverte à tout le monde avec ses lits de passage ses mangeoires et ses fumiers.

En retrait, l'enceinte hautaine, la Conquérante aux âpres remparts, aux redans, aux châteaux d'angles pour mes bons défenseurs.

Au milieu, cette muraille rouge, réservant au petit nombre son carré d'amitié parfaite.

Mais, centrale, souterraine et supérieure, pleine de palais, de lotus, mes eaux mortes, d'eunuques et de porcelaines, – est ma Cité Violette interdite.

*

Je ne la décris pas; je ne la livre pas; j'y accède par des voies inconnues. Unique, unique et solitaire, mâle étrange dans ce troupeau servant, je n'enseigne pas ma retraite: mes amis, si l'un d'eux songeait à l’Empire!

Or, j'ouvrirai la porte et Elle entrera, l'attendue, la toute-puissante et la tout inoffensive,

Pour régner, rire et chanter parmi mes palais, mes lotus, mes eaux mortes, mes eunuques et mes vases,

Pour, – la nuit où elle comprendra, – être doucement poussée dans un puits.

Char emporté

Que le sage seigneur de Lou dénombre ses chevaux avec orgueil; ils sont gras et ronds dans la plaine: les uns jaunes, les uns noirs, les autres noir et jaune.

A son gré il les attelle, les accouple, les quadruple et les mène où il veut avec sécurité.

*

Je suis mené par mes pensées, cavales sans mors, – une à une, deux à deux, quatre à quatre, tirant mon char incessant.

Belles cavales de toutes les couleurs: celle-ci pourpre et aubère-rose, cette autre noir-pâle avec les sabots cuivrés.

Je ne les touche point. Je ne les conduis pas: la vitesse élancée me détourne de voir avant.

*

Quel éperdu dans ma course à rebours! Sans lampe ni rênes, roulant d'un fond à l'autre des ténèbres seulement cinglées d'éclats des sabots choqués!

Je sais pourtant les pistes familières, le lieu où la Rouge hennit, où la Maigre bute et se couronne; la fourche où l'attelage hésite et le mur que tout vient frapper du front.

Sous mes doigts caressant la pierre aimante, fidèle au Midi, je garde le sens de la lumière.

*

Ha! les foulées doublent et la vitesse et le vent. L'espace fou siffle à ma rencontre; l'essieu brûle, le timon cabre, les rayons brillent en feu d'étoiles:

Je franchis les Marches d'Empire: je touche aux confins, aux passes; je roule chez les tributaires inconnus.

Aux coups de reins se marque le relais: la bête qui m'emporte a le galop doux, la peau écailleuse et nacrée, le front aigu, les yeux pleins de ciel et de larmes:

La Licorne me traîne je ne sais plus où. Bramant de vertige, je m'abandonne. Qu'ils descendent au loin sous l'horizon fini les chevaux courts et gras du sage seigneur Mâ, duc de Lou.

Nom caché

Le véritable Nom n'est pas celui qui dore les portiques, illustre les actes; ni que le peuple mâche de dépit;

Le véritable nom n'est point lu dans le palais même, ni aux jardins ni aux grottes, mais demeure caché par les eaux sous la voûte de l'aqueduc où je m'abreuve.

Seulement dans la très grande sécheresse, quand l'hiver crépite sans flux, quand les sources, basses à l'extrême, s'encoquillent dans leur glaces,

Quand le vide est au cœur du souterrain et dans le souterrain du cœur, – où le sang même ne roule plus, – sous la voûte alors accessible se peut recueillir le Nom.

Mais fondent les eaux dures, déborde la vie, vienne le torrent dévastateur plutôt que la Connaissance!

Fin