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— Comment peuvent-ils… ? aboya Jag.

Et Keith sut immédiatement ce qu’il allait dire.

Comment des objets de la taille de planètes pouvaient-ils rester aussi proches les uns des autres ? Il y avait peut-être dix fois leur diamètre entre les plus proches d’entre eux, et quinze fois entre les plus éloignés. Normalement, la gravité des plus gros aurait dû attirer les plus petits et transformer l’ensemble en une seule masse compacte. S’il s’agissait d’un groupement naturel, il était obligatoirement très récent… Finalement, le mystère ne faisait que s’épaissir.

IV

Sur Terre, les cellules renferment des mitochondries qui transforment les aliments en énergie, des undulopodia (sortes de flagelles comme ceux qui propulsent les spermatozoïdes), et, dans les plantes, des plastes qui stockent la chlorophylle. À l’origine, les ancêtres de ces organites évoluaient indépendamment en milieu liquide. Puis ils se regroupèrent en symbiose dans un être hôte dont l’ADN est maintenant enfermé séparément dans un noyau. Pourtant, quelques organites actuels contiennent toujours les vestiges de leur propre ADN.

Sur Flatland, différents êtres primitifs ont également appris à travailler en symbiose, mais à une échelle beaucoup plus importante. Ainsi, un Ebi provient-il de la combinaison de sept formes de vie élaborées, d’où son nom signifiant « Entité biointégrée ».

Les sept parties qui le composent sont la cosse, la créature en forme de pastèque qui contient la solution hypersaturée dans laquelle évoluent les cristaux du cerveau principal ; la pompe, la structure digestive et respiratoire qui entoure la cosse comme un sweat-shirt bleu noué autour d’un ventre rebondi et d’où pendent des bras tubulaires pour l’alimentation et l’excrétion ; les deux roues, cercles de chair enrobés de quartz ; le cadre, sorte de châssis gris servant d’axe pour les roues et de points d’ancrage pour les autres éléments ; le faisceau, seize cordes de couleur cuivre amoncelées devant la pompe au repos, mais pouvant s’étendre comme des tentacules si nécessaire ; et le filet, le réseau sensoriel qui recouvre la pompe, la cosse et la partie supérieure du cadre.

Le filet possède un œil et un point bioluminescent à chaque intersection de deux fils ou plus. Même s’ils n’ont pas d’organe de la parole, les Ebis entendent avec une acuité identique à celle des chiens et acceptent avec bonne humeur les noms sonores dont les affublent les membres des autres races. C’est ainsi que le directeur des OpExs de Starplex fut prénommé Losange, le géologue en chef, Flocon de neige, l’ingénieur en hyperpropulsion, Vendi (diminutif de « diagramme de Venn »), et la biochimiste qui travaillait avec Rissa sur l’un des plus importants projets scientifiques de l’histoire, Petit wagon.

Depuis 1972, année où le Club de Rome avait évoqué pour la première fois une limitation de la croissance humaine, les choses avaient bien changé. Avec la conquête de l’espace, l’humanité n’avait plus aucune raison de surveiller son développement. Fini le temps des 2,3 enfants conseillés par famille ; aujourd’hui on pouvait avoir 2 × 103 enfants sans s’inquiéter de l’espace disponible. L’argument selon lequel les plus âgés devaient mourir pour laisser la place aux suivants était devenu caduc.

Dans cet état d’esprit, Petit wagon et Rissa collaboraient sur un programme visant à augmenter la longévité des différentes races du Commonwealth. Le problème était d’autant plus ardu que, jusqu’alors, on n’avait toujours pas percé le mystère de la vie. Et même si elle pensait que quelqu’un découvrirait un jour la solution, Rissa ne s’attendait pas que ce soit de son vivant. Chercheuse spécialisée dans les phénomènes de sénescence, elle avait – ironie du sort – toutes les chances d’appartenir à la dernière génération humaine destinée à la mort !

En moyenne, les humains avaient une espérance de vie de cent ans. Les Waldahuds, eux, ne pouvaient guère espérer dépasser quarante-cinq ans (qu’ils soient adultes dès six ans ne compensait pas le fait qu’ils aient si peu de temps à vivre, et beaucoup d’humains pensaient que leur agressivité n’était que l’expression de leur frustration d’appartenir à la race à la durée de vie la plus courte du Commonwealth). Les dauphins, bien soignés, atteignaient couramment quatre-vingts ans ; et les Ebis, sauf accident, vivaient exactement 641 années terrestres.

Rissa et Petit wagon pensaient savoir pourquoi les Ebis vivaient beaucoup plus longtemps que les autres races. Les cellules des humains, des dauphins et des Waldahuds avaient un seuil limite de renouvellement, la limite de Hayflick. (Paradoxalement, ce seuil était plus élevé chez les Waldahuds, puisque leurs cellules qui, comme leur hôte, possédaient une durée de vie extrêmement courte, pouvaient se renouveler jusqu’à quatre-vingt-treize fois.) En revanche, les conglomérats d’organites (qu’aucune membrane ne venait englober et transformer en cellule) qui composaient le corps des Ebis ne subissaient pas la limite de Hayflick et pouvaient se renouveler à l’infini. En fait, la plupart des Ebis mouraient d’une sorte de court-circuit mental provoqué par une saturation des cristaux de leur cerveau central qui, une fois atteinte sa capacité maximum d’information, devenait incapable de gérer correctement les fonctions basiques comme la respiration et la digestion.

N’ayant aucune raison de rester sur le pont central, Rissa était descendue rejoindre Petit wagon au laboratoire. Assise près d’elle sur une chaise, elle regardait les données se dérouler sur l’écran d’ordinateur intégré au bureau. Une sorte d’horloge interne devait déterminer le seuil limite de renouvellement des cellules. Une comparaison des cartes génétiques contenues dans les cellules des Terriens et des Ebis avait donné des résultats satisfaisants concernant les mécanismes déterminant la durée de la croissance du corps, de la puberté et des fonctions sexuelles. Mais la cause de la limite de Hayflick restait toujours aussi obscure.

Peut-être que le dernier test, cette analyse statistique des codons ARN à télomères inversés…

Des lumières clignotèrent sur le filet sensoriel de Petit wagon.

— Cela m’attriste de remarquer que la réponse ne réside pas là, fit la voix du traducteur automatique.

Une voix à l’accent anglais, comme celle attribuée à tous les Ebis, et féminine, comme celle assignée de manière totalement arbitraire à la moitié d’entre eux.

Rissa poussa un profond soupir. Petit wagon avait raison. Une impasse de plus !

— Ne vous offensez surtout pas de ce commentaire, reprit Petit wagon, mais comme vous le savez certainement, ma race n’a jamais cru en l’existence d’un ou de plusieurs dieux. Et pourtant, lorsque je me heurte à un problème comme celui-ci – un problème conçu pour résister à toutes les solutions –, je ne peux m’empêcher de penser que l’information est volontairement gardée hors de notre portée, comme si notre créateur nous refusait l’éternité.

Rissa émit un ricanement bref.

— Vous avez peut-être raison. D’ailleurs, beaucoup de religions humaines croient que le ou les dieux à l’origine du monde protègent jalousement leurs pouvoirs. Personnellement, je trouve tout aussi incompréhensible un dieu qui aurait créé un univers infini pour ne semer parcimonieusement la vie que sur quelques planètes.

— Je vous prie de m’excuser de déclarer des évidences, mais l’univers n’est infini que dans le sens où il est sans limites. La quantité de matière qu’il contient, elle, est finie. À ce propos, quel est le commandement de votre dieu déjà ? Croissez et multipliez ?