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Conçu selon les standards humains, l’appartement que Keith Lansing partageait avec sa femme Rissa Cervantès à bord de Starplex se composait d’un salon en forme de L, d’une chambre, d’un petit bureau double et de deux salles de bains – l’une pour les humains, la seconde adaptable aux autres espèces. Il ne comprenait pas de cuisine, mais Keith, qui aimait préparer des petits plats, y avait discrètement installé un four.

La porte d’entrée glissa devant lui, et il pénétra dans le salon d’un pas rageur. Rissa ne devait être arrivée que depuis peu de temps, car elle sortit de la chambre complètement nue, s’apprêtant de toute évidence à prendre sa douche de l’après-midi.

— Salut, chéri, dit-elle d’un ton enjoué.

Son sourire s’effaça devant le visage tendu de son mari. Elle regarda ses sourcils froncés, sa bouche crispée, et demanda :

— Quelque chose ne va pas ?

Keith se laissa tomber sur le canapé. Sur le mur devant lui était accrochée la cible sur laquelle Rissa s’entraînait. Les pointes des trois fléchettes se rejoignaient en plein centre, rappelant qu’elle était la championne du vaisseau.

— Je me suis encore accroché avec Jag.

Rissa hocha la tête.

— Tu sais bien comment il est, dit-elle. Comment ils sont.

— Je sais, je sais. Mais, vraiment, c’est dur à supporter parfois.

Sur l’un des murs, une vraie fenêtre donnait sur l’espace où brillait l’étoile géante classe F. Des hologrammes ornaient les deux autres murs. L’un représentait le lac glaciaire Louise dominé par les montagnes Rocheuses canadiennes, l’autre une vue de Madrid et de sa magnifique architecture des XVIe et XXIe siècles, en souvenir des origines de Keith et de Rissa, respectivement nés à Calgary, Alberta, et en Espagne.

— Je pensais que tu rentrerais vers cette heure-là, dit Rissa. Je t’attendais pour prendre une douche.

Keith la regarda avec un mélange de surprise et de plaisir. Ils aimaient bien se doucher ensemble au début de leur mariage, une vingtaine d’années plus tôt, mais avec le temps, ils avaient peu à peu perdu cette habitude. D’autant plus que l’obligation de se laver deux fois par jour pour diminuer l’agressivité des odeurs humaines si désagréables aux narines waldahuds avait fini par rendre cette activité affreusement ennuyeuse. Sans doute la perspective de leur prochain anniversaire de mariage rendait-elle Rissa plus romantique…

Keith lui sourit et commença à se dévêtir. Il l’entendit ouvrir l’eau dans la salle de bains principale. Quel changement depuis l’époque des premiers contacts avec les Waldahuds ! En ce temps-là, on voyageait sur des vaisseaux comme le Lester B. Pearson, avec des douches à ultrasons pour tout confort. Qui aurait imaginé alors un vaisseau se déplaçant avec son océan miniature ?

Il entra dans la salle de bains. Rissa était déjà sous la douche où elle lavait ses longs cheveux bruns. Elle se poussa un peu pour qu’il la rejoigne, et il sentit avec plaisir son corps mouillé contre le sien. Sous le jet d’eau tiède, il frotta avec vigueur ce qui lui restait de cheveux, comme s’il espérait se débarrasser ainsi de la colère que Jag avait éveillée en lui.

Ils se savonnèrent mutuellement le dos, se rincèrent, puis fermèrent l’eau. Keith songea qu’ils auraient peut-être fait l’amour s’il n’avait pas été aussi en colère, mais…

Il s’essuya en secouant la tête.

— Je déteste être dans cet état-là, dit-il.

— Je sais, répondit Rissa.

— Ce n’est pas à Jag que j’en veux le plus, mais à moi. Je me trouve tellement sectaire !

Faisant glisser la serviette de sa nuque à ses reins, il poursuivit :

— Je sais bien que les Waldahuds ont des manières différentes des nôtres. Je le sais et j’essaie de l’accepter. Mais… je les trouve tous pareils. Odieux, querelleurs, arrogants. Je n’en ai jamais rencontré un qui soit différent ! Et pourtant, Dieu sait que je hais cette façon de penser, ajouta-t-il en se vaporisant du déodorant sous chaque bras. L’idée que je puisse juger quelqu’un ou croire le connaître sous prétexte qu’il appartient à une race particulière m’horripile. Elle va à l’encontre de toute mon éducation. Hélas, je ne fais que ça à longueur de journée ! Dans mon esprit, porc et Waldahud sont presque devenus synonymes.

Rissa enfila une chemise beige à manches longues et une culotte.

— Ils pensent la même chose de nous, tu sais. Pour eux, tous les humains sont faibles, indécis, et manquent de korbaydin.

Keith sourit en entendant ce terme waldahud dans la bouche de sa femme.

— Ce en quoi ils se trompent, répondit-il, les yeux baissés sur son sexe. D’accord, nous n’en avons que deux au lieu de quatre. Mais ça ne nuit pas à leur efficacité.

Il prit un caleçon et un jean dans l’armoire.

— De toute façon, reprit-il, le fait qu’eux aussi soient racistes ne change rien. Je me sens toujours aussi nul. C’est tellement plus facile avec les dauphins !

— Les dauphins sont différents, remarqua Rissa en enfilant un pantalon rouge. C’est même là que réside l’explication. Ils sont tellement différents que nous ne pensons pas à les juger. Le problème, avec les Waldahuds, c’est qu’ils nous ressemblent trop.

Elle se dirigea vers sa coiffeuse. La mode en cours prônant le naturel pour les hommes comme pour les femmes, elle ne se maquilla pas, mais accrocha deux diamants de la taille d’un grain de raisin à ses oreilles. Les pierres précieuses avaient perdu toute valeur depuis qu’on importait de Rehbollo des diamants d’une beauté incomparable à un prix dérisoire.

Keith, lui aussi, s’était habillé. Il avait revêtu une chemise en tissu synthétique imprimé de chevrons et un gilet de coton beige. Dieu merci, en se déplaçant dans l’univers, l’humanité s’était rapidement délestée du poids mort que représentaient la veste et la cravate pour les hommes, dont on ne trouvait plus trace même dans les tenues les plus formelles. Avec l’adoption de la semaine de quatre, puis de trois jours, la distinction entre vêtements de travail et de loisir avait tout simplement disparu.

Keith regarda Rissa. Elle était très belle. À quarante-quatre ans, elle était toujours belle. Il se demanda s’ils ne devraient pas faire l’amour. Mais alors pourquoi s’étaient-ils habillés ? Surtout, pourquoi ces folles pensées à propos de… Une sonnerie résonna dans l’air.

— Karendaughter à Lansing.

Quand on parle du loup…

Keith leva la tête et parla droit devant lui.

— J’écoute.

La voix profonde de Lianne Karendaughter sortit du haut-parleur mural.

— Keith, j’ai une nouvelle fantastique ! Un watson vient de nous arriver par CHAT. Il paraît qu’un nouveau transchangeur est entré en activité.

Keith leva un sourcil.

— Le boomerang a atteint Rehbollo 376A plus tôt que prévu ?

Ce genre de choses se produisait parfois. L’évaluation des distances interstellaires réservait toujours des surprises.

— Non. Il s’agit d’un autre transchangeur, il s’est activé parce que quelque chose – ou, je l’espère, quelqu’un – l’a traversé.

— A-t-on noté quelque chose de particulier à la sortie de l’un des transchangeurs connus ?

— Pas encore, répondit Lianne, une note d’excitation dans la voix. En fait, si l’un de nos modules-cargos ne l’avait pas heurté suite à une erreur de direction, nous n’aurions même pas remarqué que celui-là venait d’entrer en activité.

— Faites rentrer tous les sondeurs à la base, ordonna Keith tout en se dirigeant vers la porte. Appelez Jag sur le pont central et dites à toutes les stations de se préparer pour un premier contact éventuel.