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Une minute passa. Une autre… Aucune réponse ne lui parvint. Il enfonça une touche et essaya encore.

— Nous sommes amis.

Cette fois, après quarante-cinq secondes en plus du temps minimum, le Génoir répondit. Deux mots brefs traduits sèchement avec un accent français :

— Pas amis.

— Si, insista Keith. Nous sommes amis.

— Les amis ne blessent pas, fit Œil de chat au bout de soixante secondes.

Keith resta un instant décontenancé. Avaient-ils réellement blessé les Génoirs ? Il ne comprenait pas comment eux, si petits, avaient pu faire du mal à des êtres aussi gigantesques… à moins que… les navettes d’exploration, peut-être… Et dire qu’il ne savait même pas comment s’excuser. Le vocabulaire élaboré par Rissa n’abordait pas ce genre de concepts.

— Nous ne voulions pas vous blesser, dit-il finalement.

— Pas directement, répondit son interlocuteur.

Keith regarda autour de lui d’un air interrogateur.

— Vous comprenez ce qu’il veut dire ?

— Que nous ne leur avons pas fait de mal directement, suggéra Lianne, mais que nous avons blessé – ou failli blesser – quelque chose d’important pour eux.

Keith appuya sur la touche de transmission.

— Nous n’avions l’intention de faire de mal à personne. Mais, vous, avez délibérément essayé de nous tuer.

— Vous faire. Vous défaire.

Keith coupa la transmission.

— « Vous faire. Vous défaire », répéta-t-il en haussant les épaules en signe d’ignorance. Quelqu’un comprend ?

Lianne secoua la tête. Jag haussa ses deux paires d’épaules. Le filet de Losange demeura éteint.

Keith se pencha vers le micro.

— Nous voulons redevenir amis.

Le temps de réponse se raccourcissait à mesure que la trajectoire parabolique de Starplex se rapprochait d’Œil de chat.

— Nous voulons redevenir amis aussi, répondit le Génoir.

Keith réfléchit quelques instants, puis déclara :

— Vous dites que nous vous avons blessés. Nous n’en avions pas l’intention. Pour que cela ne se renouvelle pas, voulez-vous nous dire ce que nous avons fait de mal ?

Si courte fut-elle, chaque attente était une épreuve pour les nerfs. Enfin, la réponse arriva :

— Attaquer les uns les autres.

— La bataille vous a dérangés ? demanda Keith.

— Oui.

— À cause des explosions. Vous avez eu peur d’être blessés ?

— Non.

— Alors, pourquoi avez-vous jeté les vaisseaux dans l’étoile ?

— Peur.

— Peur de quoi ?

— Que vos activités détruisent… détruisent… le point qui n’est pas point.

— Le transchangeur ? Vous avez eu peur que nous détruisions le transchangeur ?

— Oui.

— Aucune explosion ne pourrait abîmer le transchangeur. C’est très solide.

— Ne savions pas.

Jag aboya doucement :

— Demandez-lui en quoi le transchangeur les concerne.

Keith acquiesça d’un hochement de tête.

— Pourquoi vous intéressez-vous au transchangeur ? Vous l’utilisez ?

— Utiliser ? Non. Pas d’utilisation.

— Alors pourquoi ?

— Progéniture.

— Vous en avez besoin pour vous reproduire ?

— Non, l’une de nos progénitures, fit la voix dans le haut-parleur.

Keith comprenait que cette conversation était encore plus frustrante pour son interlocuteur que pour lui-même. Membre d’une communauté millénaire, Œil de chat devait être habitué à percevoir le contexte, l’histoire de chaque remarque de ses congénères. Expliquer en détail une pensée devait lui sembler totalement anormal, voire grossier.

— L’une de vos progénitures, répéta-t-il en signe d’intérêt.

— Oui. Touché le point qui n’est pas point.

Bonté divine !

— Vous voulez dire qu’un jeune Génoir est passé dans le transchangeur ?

— Oui. Perdu.

— Nom de Dieu ! s’exclama Thor en se tournant vers Keith. Voilà ce qui a activé le transchangeur. Un bébé génoir !

Keith s’adossa à son fauteuil.

— Et si nous avions détruit le transchangeur dans la bataille, votre enfant n’aurait pas pu revenir chez vous, c’est ça ? demanda-t-il.

— Exact. Au début, nous croyions que vous rameniez notre progéniture.

— Pourquoi ne nous l’avez-vous pas demandé alors ?

— Mauvais de demander.

— Les bonnes manières génoires, plaisanta Rissa avec une petite moue.

Keith lui sourit.

— Nous ne savions pas pour votre enfant. Quand a-t-il disparu dans le transchangeur ?

— Deux fois le temps depuis votre première arrivée.

Keith regarda Jag à sa gauche.

— Dans ce cas, il ne peut pas être loin du transchangeur, dit-il. Y a-t-il un moyen de trouver par où il est sorti ?

— Obligatoirement par une sortie déjà activée, répondit le Waldahud. Le problème, c’est que nous venons de découvrir qu’il en existe beaucoup plus que nous le supposions… peut-être même des milliards en comptant celles ouvrant sur l’espace intergalactique et d’autres galaxies. Avec la rotation continue des tachyons, il faudrait connaître l’angle de pénétration et la seconde exacte à laquelle le Génoir a disparu. Autrement, nous n’avons aucun repère.

— Pourtant, si nous avions la chance de le retrouver et de le ramener, ce serait, outre une bonne action, un moyen inespéré d’établir de bonnes relations avec les Génoirs. Qu’en pensez-vous ?

Après avoir regardé un à un ses collaborateurs, Keith reprit le micro pour déclarer :

— Votre enfant a-t-il un nom ? Un mot unique pour l’identifier ?

— Oui, fit la voix de PHANTOM avant de traduire le bruit suivant dans les haut-parleurs par « terme intraduisible ».

— Nommez-le Junior, ordonna Keith à l’intention de l’ordinateur.

S’adressant à Losange, il demanda :

— Qu’en pensez-vous ?

— Ce pourrait être une descente rapide débouchant sur une falaise, répondit l’Ebi suivant une image exprimant le danger dans son langage. Mais, comme vous l’avez dit, Starplex a pour but la communication avec les races inconnues. Je crois que nous devrions essayer.

— On devrait peut-être demander à l’un d’eux de nous accompagner, suggéra Lianne.

— On ne pourrait pas traverser le transchangeur avec lui, répondit Thor. N’oubliez pas que le plus petit a la taille de Jupiter. Comment voulez-vous contrôler son angle d’entrée dans le transchangeur ? S’il se retrouve expédié vers une autre sortie, nous en aurons perdu deux au lieu d’un.

Keith rétablit la communication.

— Nous allons chercher votre enfant, dit-il. Pouvez-vous l’appeler ? Nous allons enregistrer cet appel et l’envoyer un peu partout. Dites-lui bien que nous sommes là pour l’aider à rentrer et que nous ne lui voulons pas de mal.

— Enregistrer ?

— Comme une histoire orale. Pour répéter.

— D’accord, fit la voix dans le haut-parleur.

Keith attendit qu’Œil de chat ait terminé, puis il déclara :

— C’est bon. Nous l’avons.

— Trouvez notre enfant, dit Œil de chat. Je…

« Termes intraduisibles », acheva PHANTOM. Les exercices de traduction n’avaient pas abordé ce domaine. Mais Keith n’avait pas besoin de mots pour comprendre, au-delà des espèces, les sentiments de son interlocuteur.

Il hocha la tête.

XXII

Assis à son bureau, Keith examinait les différentes propositions concernant la mission de recherche du bébé génoir. On était le premier du mois, et l’hologramme de Rissa sur son bureau avait changé automatiquement, la représentant désormais en short et tee-shirt kaki pendant un trekking dans le Grand Canyon. Sur le mur, la peinture d’Emily Carr s’était transformée une vue du lac Supérieur.