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Le pistolet comportait un silencieux.

Néanmoins, la percussion engendra des ondes qui murmurèrent longuement, comme un reste de prière, sous les voûtes faussement gothiques de l'église.

— Sous-chapitre 4 —

Le M/S Roussillon appareilla à 10 h 30.

C'est un excellent bateau qui, en alternance, assure les lignes Marseille-Tunis et Marseille-Alger.

M. Deloigne déclara qu'il trouvait ce navire exemplaire. Le confort y était soigné, la table très honorable et le service courtois. L'on y projetait des films récents et la classe de luxe se trouve nettement séparée de la classe dite touriste dont la promiscuité l'aurait indisposée, car M. Deloigne voyageait peu et il entendait que la chose s'opérât dans les meilleures conditions.

M. Deloigne appartenait à cette confrérie que l'auteur du présent ouvrage a surnommé les concodaks, parce qu'ils ne sauraient se déplacer dans les lieux les plus anonymes, les moins dignes d'intérêt, sans balader sur leur abdomen deux appareils photographiques (l'un pour la couleur, l'autre pour le noiréblanc) ainsi qu'un matériel aussi lourd que mystérieux et plus impressionnant que réellement utile. Cette horde de pelliculophages se répand partout avec une furia qui n'a d'égale que son ingénuité, flashant tout azimut ce qui bouge comme ce qui est fixe, les panoramas aussi bien que les murs blancs, poussés par l'on ne sait quelle insasatiable boulimie d'images, un peu comme s'ils avaient à charge d'établir un planisphère à l'échelle réelle.

M. Deloigne ployait donc, non sous le harnois, mais sous la charge d'un Nikon (son propriétaire l'étant pour deux) et d'un Leïca (les Allemands restant les Allemands malgré les Japonais, aux dires de M. Deloigne), d'un trépied télescopique, de trois objectifs enfermés dans des bocaux de laboratoire et d'une série de filtres et de cellules à comparer desquelles celles du Parti ne sont que broutilles.

Roussillon fendait les flots bleus de la Méditerranée en direction de la Sardaigne lorsque M. Deloigne interpréta la crête d'une vague comme étant la grosse virgule dorsale d'un dauphin. Soucieux de taire l'événement aux autres concodaks du bord, il courut se placer à bâbord, au niveau du pont Embarcations, et là, bien campé sur un tas de cordages, entre deux canots, il se mit à scruter les abîmes marins, prêt à photographier d'importance là moindre réapparition dauphine. La prunelle rivée à l'objectif, il se sentait un œil d'aigle auquel rien n'échappe et que le soleil ne fait pas ciller.

La mer était stable, donc le bateau l'était également. Et cependant, dans un instantané au cent millième, M. Deloigne perdit l'équilibre, à la suite d'une formidable bourrade, laquelle s'exerça de bas en haut de son postérieur. U chuta en criant dans un bouillonnement blanc causé par la propulsion du bateau.

Son épouse s'aperçut de son absence à l'heure du dîner, c'est-à-dire trois heures après que se fut opérée l'irrémédiable perte d'un Nikon et d'un Leïka. Elle commença tout de même à manger le colin mayonnaise en se disant que son mari ne savait pas nager.

— Retour (enfin !)
au solide chapitre pommier —

Je suis occupé à décliner l'ordre de mission d'un cocu qui s'est fourvoyé à notre agence lorsque le ronfleur de la ligne directe me reliant au Vieux retentit.

C'est le Tondu en personne.

— Je vois que vous êtes avec un abruti, San-Antonio, me dit-il (car il me voit effectivement grâce à un système de vidéo), débarrassez-vous de ce cornard et rappelez-moi d'urgence.

— O.K.

Je raccroche.

Redresse la tête.

Mon interlocuteur est un sanguin incrédule. Toute sa famille lui affirme qu'il est honteusement trompé, mais il ne la croit pas et voudrait que je me charge de l'enquête afin de démontrer à ses parents qu'ils se sont laissé abuser par des ragots infâmes. Son épouse est aimante, d'une fidélité irréprochable, et si elle aime partir seule en vacances à la Guadeloupe, rentrer à trois heures du matin de chez son esthéticienne et recevoir des amis mâles lorsque son vieux bijou est en voyage, c'est seulement parce qu'elle est comme ça. « Vous comprenez, monsieur : c'est son caractère. »

Je comprends surtout que Césarin va me peler la bite jusqu'à perpète, avec ses matrimaniaqueries, aussi usé-je d'un subterfuge pour m'en débarrasser.

Saisissant une feuille de papier à en-tête de la Paris Détective Agency, je trace délibérément les lignes ci-dessous :

Cher Monsieur Lancornet,

Comme suite a votre visite, j'ai le plaisir de vous informer que vous n'êtes pas cocu et ne le serez jamais. Avec mes compliments, je vous prie d'agréer, etc…

— Voilà, lui dis-je, à quoi bon faire les frais d'une enquête ? Votre certitude n'est-elle pas la meilleure des garanties ?

Il rit. Rougit. Renifle.

— Merci, balbutie-t-il, cette preuve de confiance que vous nous témoignez, à Mathilde et à moi, me va droit au cœur. Combien vous dois-je ?

— Rien, c'est cadeau.

Il se dresse, les larmes z'aux z'yeux.

Allons, bon, il va falloir rebuffer sa reconnaissance à présent.

— Monsieur…

— Non, laissez, c'est tout naturel, je ne vais pas exploiter l'amour d'un homme. Maintenant, je vais vous demander de bien vouloir m'excuser, mais j'ai un avion à prendre.

Je ne croyais pas si bien dire !

Mais tu vas voir, bouge pas. Laisse-le partir, toi tu restes pour la suite, elle est trop juteuse !

Bon, alors ce cher Lanconet se débine avec le certificat de bonne conduite de Madame, après m'avoir annoncé l'envoi imminent d'une caisse de champagne que je n'ai jamais reçue, car rien ne s'oublie plus vite que ce genre de promesse effusive.

Et le gars Santonio prend contact avec Mister Dabuche.

— Je vous écoute, monsieur le directeur.

— Avant de m'écouter, lisez ceci !

Une simple manœuvre, et le petit écran placé devant moi sur bureau, et habilement camouflé en tampon buvard incliné s'allume.

Une lettre dactylographiée s'y inscrit. Je règle le point afin de pouvoir en prendre connaissance.

Monsieur le Directeur,

Deux syndicalistes tués par l'explosion de leur voiture. Une concierge et un curé abattus d'une balle dans la tête. Un ex-marchand de chaussures jeté à l'eau depuis le pont du M/S Roussillon. La série peut continuer indéfiniment, à moins que vous n'alliez déjeuner le 16 avril prochain (vous ou l'un de vos éminents collaborateurs) au restaurant le Pompon Rouge, avenue du Prado à Marseiile.

A bon entendeur, salut !

— C'est lu ? s'impatiente le dirluche.

— C'est lu !

— Alors ?

— Les faits évoqués se sont bel et bien produits, monsieur le directeur ?

— Ils se sont produits ; et dans des points très différents du territoire, ce qui donne du crédit à la lettre, car, l'histoire des deux syndicalistes exceptée, la grande presse parisienne n'a pas fait état des autres affaires, dont l'une a eu lieu à Paris, la seconde dans le Nord et la troisième en Méditerranée.

— Je crois savoir que nous sommes le 16 avril, monsieur le directeur ?

— En effet, la lettre a été postée de Londres, avec la mention « personnelle », or je me trouvais au Congrès de la Police à Copenhague et je ne l'ai trouvée que ce matin.

— Vous vous mettez en rapport avec Marseille ?

— Je préférerais que vous alliez déjeuner, au Pompon Rouge.

— Il est neuf heures et demie, monsieur le directeur, et je me trouve aux Champs-Élysées.