Выбрать главу

La Cour suprême fut atterrée. Le prince eut une colère terrible et ordonna de prendre des mesures.

On se remit à délibérer.

Alors, il fut décidé qu'on offrirait au coupable une pension de six cents francs pour aller vivre à l'étranger. Il accepta.

Il a loué un petit enclos à cinq minutes de l'Etat de son ancien souverain, et il vit heureux sur sa terre, cultivant quelques légumes et méprisant les potentats.

Mais la Cour de Monaco, instruite un peu tard par cet exemple, s'est décidée à traiter avec le Gouvernement français ; maintenant elle nous livre ses condamnés que nous mettons à l'ombre, moyennant une pension modique.

On peut voir, aux archives judiciaires de la principauté, l'arrêt qui règle la pension du drôle en l'obligeant à sortir du territoire monégasque.

En face du palais du prince se dresse l'établissement rival, la Roulette. Aucune haine d'ailleurs, aucune hostilité de l'un à l'autre, car celui-ci soutient celui-là qui le protège. Exemple admirable, exemple unique de deux familles voisines et puissantes vivant en paix dans un petit Etat, exemple bien fait pour effacer le souvenir des Capulets et des Montaigus. Ici la maison souveraine et là la maison de jeux, l'ancienne et la nouvelle société fraternisant au bruit de l'or.

Autant les salons du prince sont d'un accès difficile, autant ceux du Casino sont ouverts aux étrangers.

Je me rends à ces derniers.

Un bruit d'argent, continu comme celui des flots, un bruit profond, léger, redoutable, emplit l'oreille dès l'entrée, puis emplit l'âme, remue le coeur, trouble l'esprit, affole la pensée. Partout on l'entend, ce bruit qui chante, qui crie, qui appelle, qui tente, qui déchire.

Autour des tables, un peuple affreux de joueurs, l'écume des continents et des sociétés, mêlée avec des princes, ou rois futurs, des femmes du monde, des bourgeois, des usuriers, des filles fourbues, un mélange, unique sur la terre, d'hommes de toutes les races, de toutes les castes, de toutes les sortes, de toutes les provenances, un musée de rastaquouères russes, brésiliens, chiliens, italiens, espagnols, allemands, de vieilles femmes à cabas, de jeunes drôlesses portant au poignet un petit sac où sont enfermées des clefs, un mouchoir et trois dernières pièces de cent sous destinées au tapis vert quand on croira sentir la veine.

Je m'approche de la dernière table et je vois... pâlie, le front plissé, la lèvre dure, la figure entière crispée et méchante... la jeune femme de la baie d'Agay, la belle amoureuse du bois ensoleillé et du doux clair de lune. Assis devant elle, il est là, lui, nerveux, la main posée sur quelques louis.

— Joue sur le premier carré, dit-elle.

Il demande avec angoisse :

— Tout ?

— Oui, tout.

Il pose les louis en petit tas.

Le croupier fait tourner la roue. La bille court, danse, s'arrête.

— Rien ne va plus, jette la voix, qui reprend au bout d'un instant :

— Vingt-huit.

La jeune femme tressaille, et, d'un ton dur et bref :

— Viens-t'en.

Il se lève, et, sans la regarder, la suit, et on sent qu'entre eux quelque chose d'affreux a surgi.

Quelqu'un dit :

— Bonsoir l'amour. Ils n'ont pas l'air d'accord aujourd'hui.

Une main me frappe sur l'épaule. Je me retourne.

C'est mon ami.

Il me reste à demander pardon pour avoir ainsi parlé de moi. J'avais écrit pour moi seul ce journal de rêvasseries, ou plutôt j'avais profité de ma solitude flottante pour arrêter les idées errantes qui traversent notre esprit comme des oiseaux.

On me demande de publier ces pages sans suite, sans composition, sans art, qui vont l'une derrière l'autre sans raison et finissent brusquement, sans motif, parce qu'un coup de vent a terminé mon voyage.

Je cède à ce désir. J'ai peut-être tort.

FIN