Выбрать главу

Fred Vargas

Sur la dalle

Flammarion

© Fred Vargas et Flammarion, 2023.

ISBN Numérique : 9782080420510

ISBN Web : 9782080420534

Le livre a été imprimé sous les références :

ISBN : 9782080420503

Ouvrage composé et converti par Pixellence (59100 Roubaix)

Du même auteur

Les Jeux de l’amour et de la mort, Éditions du Masque, 1986.

Ceux qui vont mourir te saluent, Viviane Hamy, 1994 (écrit en 1987) ; J’ai lu, 2008.

Debout les morts, Viviane Hamy, 1995, prix Mystère de la critique 1996, Prix du polar de la ville du Mans 1995, International Golden Dagger 2006 (Angleterre) ; J’ai lu, 2005.

L’Homme aux cercles bleus, Viviane Hamy, 1996 (écrit en 1990), Prix du Festival de Saint-Nazaire 1992, International Golden Dagger 2009 (Angleterre) ; J’ai lu, 2008.

Un peu plus loin sur la droite, Viviane Hamy, 1996 ; J’ai lu, 2006.

Sans feu ni lieu, Viviane Hamy, 1997 ; J’ai lu, 2008.

L’Homme à l’envers, Viviane Hamy, 1999, Grand Prix du roman noir de Cognac 2000, prix Mystère de la critique 2000 ; J’ai lu, 2008.

Les Quatre Fleuves (illustrations Edmond Baudoin), Viviane Hamy, 2000, prix Alph’Art du meilleur scénario, Angoulême 2001.

Pars vite et reviens tard, Viviane Hamy, 2001, Prix des libraires 2002, Prix des lectrices ELLE 2002, Prix du meilleur polar francophone 2002, Deutscher Krimipreis 2004 (Allemagne) ; J’ai lu, 2005.

Coule la Seine (illustrations Edmond Baudoin), Viviane Hamy, 2002 ; J’ai lu, 2008.

Sous les vents de Neptune, Viviane Hamy, 2004, International Golden Dagger 2007 (Angleterre) ; J’ai lu, 2008.

Petit Traité de toutes vérités sur l’existence, Viviane Hamy, 2001 ; Librio, 2013.

Critique de l’anxiété pure, Viviane Hamy, 2003 ; Librio, 2013.

Dans les bois éternels, Viviane Hamy, 2006 ; J’ai lu, 2009.

Un lieu incertain, Viviane Hamy, 2008 ; Flammarion, 2018 ; J’ai lu, 2010.

L’Armée furieuse, Viviane Hamy, 2011 ; Flammarion, 2018 ; J’ai lu, 2013, International Golden Dagger 2013 (Angleterre).

Le Marchand d’éponges (illustrations Edmond Baudoin), Librio, 2013.

Salut et liberté, Librio, 2013.

Temps glaciaires, Flammarion, 2015 ; J’ai lu, 2016.

Quand sort la recluse, Flammarion, 2017 ; J’ai lu, 2018.

L’Humanité en péril. Virons de bord, toute !, Flammarion, 2019 ; J’ai lu, 2020.

Quelle chaleur allons-nous connaître ? Quelles solutions pour nous nourrir ?, Flammarion, 2022.

Europäischer Krimipreis de la ville d’Unna pour l’ensemble de son œuvre, 2012 (Allemagne).

I

Le gardien du commissariat du 13e arrondissement de Paris, Gardon, pointilleux jusqu’à la maniaquerie, était à son poste à sept heures trente pile, la tête penchée vers le ventilateur de son bureau pour sécher ses cheveux, selon son habitude, ce qui lui permit d’apercevoir de loin le commissaire Adamsberg approcher à pas très lents, portant sur ses avant-bras un objet non identifié, les paumes tournées vers le ciel, avec autant de précautions que s’il tenait un vase de cristal. Gardon – nom tant approprié à sa fonction qu’il lui avait valu force blagues avant qu’on ne s’en lasse –, n’était pas réputé pour sa vivacité d’esprit mais accomplissait sa mission avec un zèle presque excessif. Mission qui consistait à repérer toute étrangeté en approche, si minime fût-elle, et à en protéger le commissariat. Et pour cette tâche, il excellait, tant par son coup d’œil exercé par des années de service que par la vitesse inattendue de ses réflexes. N’entrait pas qui voulait dans ce saint des saints qu’était la Brigade criminelle, et il fallait que la patte fût plus blanche que neige pour que ce cerbère des lieux – qui était tout sauf impressionnant – acceptât de lever la grille de protection qui fermait l’entrée. Mais nul n’aurait critiqué l’obsession soupçonneuse de Gardon qui avait plus d’une fois décelé les renflements à peine visibles d’armes enfouies sous des vêtements ou douté d’allures trop onctueuses pour lui paraître naturelles et stoppé net les velléités des agresseurs. Le plus souvent, il s’était agi de libérer un prisonnier en détention provisoire, mais parfois de crever la peau d’Adamsberg, ni plus ni moins, et ces alertes devenaient plus nombreuses. Deux tentatives en vingt-cinq mois. Au fil des années et des réussites du commissaire dans les enquêtes les plus tortueuses, sa réputation s’était affermie en même temps que les menaces contre sa vie.

Danger dont Adamsberg ne se souciait en rien, persistant de sorte à venir à pied depuis chez lui jusqu’à la Brigade, tant il était habité par sa nonchalance innée, semblant souvent toucher à de la négligence, voire de l’indifférence, particularité de sa nature qui, si blindés que fussent ses équipiers, les désorientait ou parfois les exaspérait, tout en laissant nombre de ses succès inexpliqués. Succès fréquemment obtenus via des méthodes opaques, si tant est qu’on puisse parler de « méthode » dans le cas d’Adamsberg, et par des chemins détournés où peu parvenaient à le suivre. Au long de ces ramifications inintelligibles de ses enquêtes, qui semblaient parfois tourner le dos à l’objectif, force était pourtant de l’accompagner sans toujours comprendre. Quand ses adjoints – et particulièrement le premier d’entre eux, le commandant Danglard – lui reprochaient cette brume dans laquelle il les laissait se débattre, il écartait les bras en un geste d’impuissance, car il n’était pas rare qu’il ne puisse s’expliquer sa propre démarche à lui-même. Adamsberg suivait son propre vent.

Gardon ouvrit sa fenêtre quand son chef ne fut plus qu’à quelques mètres du perron du vieux bâtiment et le vit se retourner pour adresser un bref salut à deux femmes qui marchaient à vingt pas de là, en apparence deux femmes d’affaires pressées, en réalité deux tireuses d’élite chargées de protéger le parcours du commissaire. Adamsberg sourit. Il savait qu’il devait cette récente mesure aux soins attentifs du commandant, de même que cette voiture qui veillait la nuit devant le jardinet qui encadrait sa maison.

— Gardon, dit-il sans entrer, tenant toujours ses bras tendus, j’aurai un peu de retard, j’ai à faire. Prévenez ceux qui me demanderont. Encore que cela m’épaterait, l’humeur n’est pas criminelle par ces temps, on tourne en rond autour de cambriolages d’amateurs.

— C’est le climat qui fait cela, commissaire, cette chaleur anormale en plein mois d’avril. Ça ne bousille pas que la planète, ça assèche le cerveau des assassins.

— Si vous voulez, Gardon.

— Qu’est-ce que vous transportez là ? demanda le garde en fixant une sorte de boule rouge sur les bras d’Adamsberg.

— Une victime, Gardon, et c’est mon boulot de m’en occuper.

— Mais vous allez loin comme cela ? Je vous signale que vous êtes torse nu, commissaire.

— J’en suis conscient, brigadier. J’ai dix minutes de marche à faire, tout au plus. Ne vous en faites pas.

Comme toujours, pensa Gardon en fermant sa fenêtre. Les gens vont se foutre de sa gueule, et lui, il s’en fout, conclut-il avec toute l’indulgence qu’il avait pour son chef. Jamais il n’aurait osé faire une telle chose, mais il faut dire que Gardon était blanc et gras au lieu que le commissaire, qui était pourtant bien mince, avait le torse solide, doté de muscles nerveux dont mieux valait se méfier.