Выбрать главу

— Je ne le recevrai pas, dit Tania.

Et elle renifla un paquet de larmes.

Michel marchait de long en large, les mains derrière le dos :

— Tu es impossible… Tu… tu es puérile… Je cherchais le mot : tu es puérile… Tu te laisserais mourir par entêtement !... Et moi qui t’avais préparé une surprise !…

— Quelle surprise ? demanda Tania.

— Je ne te le dirai que si tu acceptes de voir Dorojkine.

— Je sais déjà ce que c’est. Tu m’as apporté une robe.

 —  Non.

— Un manteau ?

 —  Non.

— Un bijou ?

 —  Non.

Négligeant son chagrin, Tania s’essuyait les yeux avec son mouchoir et plissant le front sous l’effort de la pensée,

— Je ne vois pas ce que tu pourrais me rapporter d’autre, dit-elle enfin. C’est plus cher que tout ça ?

— Oui.

— Et plus grand ?

— Oh ! oui.

— Ça se mange, ça se porte, ou ça se lit ?

— Tu fais fausse route, dit Michel. Accepte de recevoir Dorojkine, et tu sauras tout.

Tania poussa un soupir, fronça les sourcils et dit gravement :

— C’est promis. Mais je veux que tu assistes à la consultation.

Michel se frottait les mains.

— Parfait ! Parfait ! dit-il. À présent, réfléchis bien. D’où crois-tu que je revienne ?

— De Lodz.

— Non, dit Michel. De Moscou.

Et il décrocha un regard triomphal à la jeune femme.

— J’ai été à Moscou, reprit-il solennellement.

— Eh bien ? Tu y vas chaque année pour tes affaires, dit Tania.

— Peut-être… Peut-être… Mais, d’une année à l’autre, on change…

— Que veux-tu dire ?

Michel jubilait. Il cligna de l’œil, posa un doigt sur sa bouche et murmura :

— Ha ! Ha ! Voilà… Mystère… Ténèbres… Dérobades…

— Explique-toi, tu m’agaces.

— Tu ne devines pas ? On se promène à Moscou, on rêvasse, on regarde les maisons. C’est joli Moscou. C’est plein de monde, de traîneaux élégants, de théâtres, de...

— Est-ce que tu deviens fou ?

— Non, mais toi tu seras folle dans un instant,

Il la toisa de toute sa hauteur, croisa les bras sur sa poitrine et déclara d’une voix sensationnelle :

— Il y a deux mois, sur mes instances, le conseil d’administration des Comptoirs Danoff a décidé de moderniser l’affaire et d’en transférer le siège social à Moscou.

— À Moscou ? s’écria Tania.

— Oui. Je ne t’en ai pas parlé plus tôt, parce que je ne voulais pas te causer une fausse joie. À présent, tout est réglé. J’ai retenu les locaux des bureaux et des magasins. Et j’ai fait mieux, Tania. Regarde-moi. J’ai acheté une maison à Moscou. Une maison pour nous. Une grande, une belle maison, sur la rue Skatertny. Nous déménageons en janvier. Volodia nous suivra. Je lui ai déjà écrit pour lui annoncer la nouvelle. Et j’ai choisi un nouveau directeur pour Ekaterinodar.

Il ne put achever. Tania s’était dressée d’un bond et clamait à pleine gorge :

— Moscou-ou ! Moscou-ou !

Elle avait oublié sa maladie et la visite prochaine du médecin. Le sang aux joues, les yeux brillants de larmes, elle s’abattit d’une masse sur la poitrine de Michel.

— Ce n’est pas possible, balbutiait-elle. Jure-moi que c’est vrai ! Ce serait trop méchant, si tu m’avais menti ! Moscou ! La maison est belle ?… Combien d’étages ?…

— Trois…

— Combien de chambres ?

— Vingt-deux.

— Et il y a… des… des monte-plats…

Michel souriait et berçait Tania dans ses grands bras refermés.

— Tu t’ennuyais donc tant que ça ici ? dit-il d’une voix triste.

— Cela n’a plus d’importance ! As-tu un plan de Moscou ? Je voudrais voir où se trouve la rue Skatertny…

Elle parlait si vite, qu’elle dut s’arrêter pour reprendre son souffle. Puis, elle ravala une gorgée de salive, secoua le front et dit :

— Nous recevrons beaucoup, n’est-ce pas ?… On mettra des palmes partout… On prendra un abonnement au théâtre… On ira au restaurant Yar… à l’Ermitage…

— Oui, oui...

— On rattrapera le temps perdu !

— Si tu veux.

— Mais je n’aurai jamais assez de robes !

— Tu en commanderas.

— Et les domestiques ?

— Tu en engageras.

— Et tes parents ?

— Ils resteront ici. Ma mère ne supporterait pas de vivre ailleurs qu’à Armavir. Elle a des amies, des habitudes…

— Je suis sûre que ton père aurait été heureux de nous suivre, dit Tania.

— Il viendra nous rendre visite, de temps en temps.

Elle battit des mains :

— Michel, tu es un dieu ! Michel, je t’adore ! Michel, fais vite chercher le docteur Dorojkine ! Je ne suis plus malade, mais je veux te faire plaisir, plaisir… Il pourra me chatouiller tant qu’il voudra avec sa moustache qui sent la résine. Il pourra me gaver de cachets et de sirops. Ça m’est égal ! Moscou ! Moscou !

Elle pirouetta, trébucha, se laissa tomber sur une chaise et s’éventa légèrement avec son mouchoir.

— Je suis si heureuse !…

Des larmes coulaient sur ses joues.

— Tu pleures à présent ? demanda Michel.

— Oui, dit Tania. Tu es le meilleur des hommes ! Je voudrais te poser une seule question : pourquoi as-tu décidé de transférer le siège de l’affaire à Moscou ?

— Parce que, devant le développement considérable de notre entreprise, il était indispensable que nous fussions représentés à Moscou pour suivre le train des maisons concurrentes.

— C’est tout ?

— Mais…

— Tu n’as pas pensé un peu, un tout petit peu, à moi ?

Michel baissa la tête.

— Si, dit-il.

Tania saisit les mains du jeune homme et les porta vivement à ses lèvres :

— Alors, j’ai gagné ! Appelle Oulîta. Je veux me maquiller, m’habiller. Je descendrai dîner avec vous, ce soir. Ce sera notre premier repas moscovite... Hum… Michel Alexandrovitch, que ferons-nous après souper ? Les tziganes, le théâtre, le bal ?…

Tandis qu’elle babillait avec des mines de grande dame, Michel s’était assis dans un fauteuil et la regardait fixement.

— Comme tu es jeune ! Comme tu es gaie ! dit-il enfin. Comme il faut peu de chose pour te rendre heureuse !

— Tu appelles ça peu de chose ? Après quatre ans d’Armavir ! s’écria Tania.

Et, de nouveau, inexplicablement, elle se mit à pleurer. Michel sortit en coup de vent pour chercher le docteur Dorojkine. Le soir même, le docteur Dorojkine débarquait chez les Danoff, auscultait la malade et déclarait poliment qu’on l’avait dérangé pour rien.

L’hôtel particulier, acheté par Michel au cours de son dernier voyage à Moscou, était situé à l’angle des rues Skatertny et Médvéjy, dans un quartier de calme et d’élégance aérée. La maison de trois étages était vaste, blanche, flanquée d’une cour pavée et d’un jardinet d’agrément. Dans la cour, étaient les écuries et la maisonnette du garde. Dans le jardinet, on avait dressé une pente artificielle pour les glissades en traîneau. Le bâtiment comportait quatorze chambres de maîtres et huit chambres de domestiques. Dans toutes ces pièces, dès le matin, s’affairait une armée de menuisiers, de vitriers, d’électriciens, de frotteurs et de peintres. Le lendemain de leur arrivée à Moscou, Tania et Michel avaient visité la chapelle de la Vierge d’Ibérie, pour y brûler un cierge et en rapporter une copie de l’icône miraculeuse. La sainte image avait été accrochée dans le salon. Le pain et le sel de l’hospitalité reposaient sur une tablette, près de la porte.