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Il n’avait pas lâché ses mains. Il lui souriait avec une tendresse apitoyée.

— Je me doutais de vos sentiments, dit-il enfin. Ils sont absurdes.

— Non ! s’écria-t-elle.

Il haussa les épaules :

— Mais si. Vous êtes une petite fille qui n’a jamais aimé personne, qui n’a rien vu, qui ne s’intéressait à rien. Et tout à coup, vous tombez dans cette grande ville de luxe et d’intrigues. Il était naturel que vous subissiez le charme du premier venu…

— Vous, le premier venu ? dit-elle. Vous n’avez pas le droit de parler ainsi ! Vous n’avez pas le droit de vous détruire à mes yeux ! Vous êtes le plus beau, le plus fort et le meilleur des hommes ! Quand les chevaux se sont emballés…

Un flot de sang monta au visage de Michel.

— Je vois ce que c’est, dit-il. Votre imagination romanesque s’est emballée avec les chevaux. Si je n’avais pas su arrêter l’attelage, je serais demeuré un homme comme les autres. Mais j’ai pu le retenir, par chance, et me voici un héros.

— Vous deviez réussir ! dit-elle dans un élan. J’étais sûre que vous étiez plus fort que tout !

— Nina ! Nina ! petite sotte ! Vous parlez comme une enfant qui a lu trop de poèmes. Laissez vos songes. Revenez sur terre. Je suis Michel, votre beau-frère, le mari de votre sœur, votre ami, votre grand ami…

Nina secoua violemment le front :

— Non… non… je ne veux rien savoir !…

— Vous aimez Tania ?

— Oui, mais je vous aime plus qu’elle !

— Et vous admettriez que je la quitte pour vivre avec vous ?

Elle leva les yeux au plafond et murmura du bout des lèvres :

— Oh ! oui.

Michel se dressa et lâcha les mains de la jeune fille :

— Je ne veux pas croire que votre bonheur dépende de moi. D’autres viendront, qui vous consoleront de mon indifférence. Je suis plein d’affection pour vous. Mais j’aime Tania. Et vous ne me pardonneriez pas d’obéir à vos instances. Imaginiez-vous, vraiment, lorsque vous m’avez avoué votre amour, que j’allais tout laisser pour vous suivre ?

— Non, dit-elle d’une voix sourde.

— Alors ?

— Je ne sais qu’une chose, c’est que, loin de vous, je deviendrai folle, je mourrai… Vous n’avez pas le droit de m’abandonner… Vous devez avoir pitié de moi…

Elle sauta vivement à terre, s’agenouilla et tendit ses bras :

— Gardez-moi !

Mais Michel se pencha vers elle et la releva doucement. Nina se mit à trembler. Ses dents claquaient. Elle répétait comme une litanie :

— Gardez-moi… gardez-moi…

À présent, Michel lui tapotait les mains, lui essuyait le visage avec son mouchoir. Il paraissait fâché, impatient, inquiet. Il marmonnait :

— Là, là, c’est fini.

Elle se rassit, à bout de forces. De grosses gouttes de sueur roulaient sur ses tempes. Sa gorge lui faisait mal.

— Excusez-moi, dit-elle. J’ai été grotesque. Mais j’avais besoin de parler. Maintenant, tout est net. Vous pouvez vous moquer de moi, me chasser, me chasser comme je le mérite !

Elle se mit à pleurer.

— Je ne me moquerai pas de vous, dit Michel. Et je ne vous chasserai pas. Et Tania ne saura rien de notre secret. Vous allez vous calmer, vous raisonner un peu. Puis, vous retournerez à Ekaterinodar chez vos parents. Et là, vous m’oublierez bien vite.

Nina essayait de reprendre son souffle. Une toux brusque lui secoua les épaules. Elle eut l’impression que son cœur cessait de battre et qu’elle tombait dans un abîme.

— Je ne vous oublierai jamais, soupira-t-elle.

— Oui… Oui… Ne parlez plus… Reposez-vous…

Michel alluma une lampe. Il marchait de long en large dans la pièce. Le parquet grinçait sous son pas.

— C’est une épreuve, disait-il, et vous la subissez douloureusement… Mais vous en triompherez comme les autres… Votre premier chagrin… Toutes les jeunes filles ont connu des chagrins semblables… Tania, elle-même, m’a raconté qu’à l’âge de seize ou dix-sept ans, elle s’était amourachée d’un homme marié : le père de Volodia Bourine… Elle s’imaginait qu’il était le seul être estimable sur terre et qu’elle n’aimerait personne après lui… Et, vous voyez…

Nina l’entendait à peine. Elle regardait le mur, droit devant elle, comme si Michel eût déjà quitté la pièce. Elle était seule, dépouillée, honteuse, malade. Ses lèvres bourdonnaient de paroles incohérentes.

Lorsqu’elle revint à elle, Michel n’était plus là. Elle ne descendit pas pour le dîner. Le lendemain, elle fit télégraphier à ses parents qu’elle désirait rentrer d’urgence.

Ce fut avec un calme exemplaire qu’elle fit ses adieux à Michel, à Tania et à tous leurs amis. Elle avait maigri, pâli, en quelques jours. Michel accompagna Nina à la gare, jusqu’à l’heure du départ, la jeune fille demeura penchée à la fenêtre du wagon. Puis une clochette tinta. Le visage de Nina se contracta dans une grimace effrayée. Elle cria :

— Michel !

Des larmes coulèrent sur ses joues. Le train s’ébranla. Et longtemps, Michel put suivre, dans la fumée, le geste triste et régulier d’un petit mouchoir blanc.

En rentrant de la gare, il trouva sur sa table une lettre de Nicolas.

La première réaction de Michel en recevant la lettre de Nicolas fut une colère sourde, dont personne, à la maison, ne soupçonna la cause. Il se jugeait offensé par le refus de son beau-frère et méditait une réponse cinglante. Puis, il réfléchit au débat intérieur qui avait dû motiver la décision du jeune homme, il se rappela le chagrin de Constantin Kirillovitch, de Zénaïde Vassilievna, et résolut de tenter une suprême démarche de conciliation. Dans l’espoir que Braniloff était demeuré en rapport avec son secrétaire, il se rendit chez lui pour déposer un message. À sa grande surprise, ce fut Nicolas lui-même qui vint ouvrir la porte. Michel eut un haut-le-corps en l’apercevant. Mais Nicolas paraissait très calme.

— Je vous attendais, dit-il. Je savais que vous viendriez.

— Pourquoi ? demanda Michel.

— Parce que vous êtes bon. Braniloff n’est pas là. Entrez dans mon bureau.

Ils pénétrèrent dans une petite pièce basse et sombre, aux murs tapissés de papier vert. Des liasses de dossiers formaient deux bastions poussiéreux, de part et d’autre de la table.

— Vous voulez savoir pourquoi j’ai refusé votre offre ? demanda Nicolas, après que Michel se fut assis devant lui, sur une petite chaise branlante.

— Je me doute de vos raisons, dit Michel.

— Elles sont valables, dit Nicolas. À vous, je parlerai franchement. Une réussite matérielle m’éloignerait insensiblement de mes idées, de mes camarades. Or, je préfère ces idées, ces camarades, à tous les avantages que vous pourriez me proposer. Je vous prie de ne pas discuter ce point. Vous ne sauriez pas me convaincre. Et nous risquerions de nous disputer. Je veux demeurer en bons termes avec vous.

Il parlait d’une voix égale, posée. Son regard était raisonnable. Michel sentit que toute tentative de séduire Nicolas serait, pour l’instant, vouée à l’échec. Il dit :

— Soit, je n’essaierai pas d’ouvrir une controverse sur l’opportunité de votre décision. Il m’est impossible de vous forcer à me croire. Mais je voudrais pouvoir, du moins, tranquilliser un peu vos parents qui attendent le résultat de ma démarche.

— Eh bien, tranquillisez-les, murmura Nicolas avec un sourire.

— En leur disant quoi ?

— La vérité. Depuis trois jours, j’ai passé un nouvel accord avec Braniloff. Il me rend mon traitement du début, et je m’engage à venir tous les matins à son bureau, de façon régulière, ponctuelle. N’est-ce pas la sagesse même ?