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— Nous sommes les elfes de la prairie ! s’écria Vladislav d’une voix aiguë de fillette.

Et il se dressa sur la pointe des pieds, en arrondissant les bras au-dessus de son crâne, comme une ballerine.

— Et nous voulons danser autour de vous, gronda Ruben, en esquissant un entrechat vigoureux.

— Et nous vous charmerons jusqu’au vertige, dit Volodia en sautant sur place.

— Et nous vous boufferons le nez pour le dessert ! rugit Stopper.

L’agent reculait pas à pas devant ces énergumènes. Tout à coup, il pivota sur les talons et se mit à fuir dans la rue.

— Il a peur ! glapit Ruben. Sus ! Sus à l’agent ! Lâchez les chiens !

Volodia lâcha le caniche qui se rua sur les trousses de l’homme, en aboyant à pleine gueule. Les camarades le suivaient en courant. Ils riaient à en perdre l’haleine. Le bruit de leur galopade, les jappements de Viki, les braillements enroués de Ruben, se répercutaient très loin dans les mes désertes. L’agent disparut au coin d’une maison, et les amis s’arrêtèrent, essoufflés. Viki tournait autour d’eux, frétillait de la queue, sautait, léchait des mains au hasard, repartait sur la piste, revenait en poussant de petits cris plaintifs.

— L’autorité est en fuite, dit Volodia entre deux sanglots de joie. Le champ est libre. Une chanson triomphale, je vous en prie.

Les quatre amis se postèrent en ligne, au milieu de la chaussée, et entonnèrent à pleine voix le Gaudeamus igitur.

Une fenêtre s’ouvrit, au premier étage d’un immeuble bourgeois.

— Vous ne pouvez pas rentrer chez vous, bande d’ivrognes ? hurla quelqu’un. J’appellerai la police si vous empêchez encore les honnêtes gens de dormir !

— Nous sommes nous-mêmes des honnêtes gens, et nous ne craignons pas la police, dit Volodia.

— Voyous ! cria l’inconnu, et la fenêtre se referma en claquant.

— Mes amis, dit Volodia. Je crois qu’il est prudent de décamper. L’agent est allé chercher du renfort, sans doute. Le poste n’est pas loin. Et je veux dormir dans mon lit. Au trot.

Les camarades applaudirent à ce conseil, et le groupe détala dans la direction opposée à celle qu’avait prise l’agent. Ils rentrèrent à six heures du matin, après avoir déposé leurs chapeaux aux pieds des monuments de Pouchkine et de Gogol.

Tous prirent pension chez Volodia. Ruben et Volodia s’étendirent sans se déshabiller, sur le même lit. Stopper s’endormit sur un canapé, et Vladislav s’arrangea une couchette dans la baignoire. Le caniche profita de leur sommeil pour manger des côtelettes de mouton qui étaient restées sur la table de la cuisine et déchiqueter les pantoufles brodées de Volodia. Puis il pissa contre les rideaux de velours, s’assoupit, tranquillisé, au creux d’un fauteuil en tapisserie ancienne.

Ce fut le caniche qui, à midi sonnant, réveilla Volodia en lui léchant la figure. Volodia se sentait la tête lourde et la langue mauvaise. Il délogea Vladislav, qui ronflait encore dans la baignoire, et prit un bain d’eau tiède, parfumée à l’alcool de lavande.

À quatre heures, les amis sortirent en grande pompe pour promener le chien, Volodia avait décidé de s’en débarrasser à la première occasion.

— Il est trop gentil, disait-il. Il nous gênera. Et puis, je tenais à mes pantoufles…

Passant sous les fenêtres d’Olga Varlamoff, il voulut rentre visite à la jeune femme. Tandis que ses compagnons déambulaient dans la rue avec le chien, il pénétra dans l’hôtel particulier, remit ses gants au laquais, vérifia son nœud de cravate dans la glace et se fit annoncer à la maîtresse de maison. Il tentait sa chance, mais n’avait pas grand espoir d’être reçu. Aussi, fut-il très étonné d’apprendre que madame l’attendait dans le boudoir beige.

Olga Varlamoff était très pâle, décoiffée, et ses yeux étaient fatigués par les larmes. L’expression égarée de son visage surprit considérablement le jeune homme. Il l’avait toujours vue calme, fière et souriante. Il n’imaginait pas qu’elle pût souffrir comme les autres.

— Les médecins cherchent à me rassurer, dit Olga Varlamoff. Mais Georges tousse si fort… les veines de son front sont gonflées… Il pleure… il est tout rouge… je ne peux pas supporter cela…

Pendant qu’elle parlait, Volodia réfléchissait à son propre isolement et à sa disgrâce. Il comptait si peu pour Olga Varlamoff, auprès de cet enfant dont la maladie la bouleversait jusqu’aux larmes ! Elle avait oublié, sans doute, l’amour de Volodia et ce roman qu’il écrivait pour elle. Il avait travaillé en pure perte. C’était grotesque ! Que faisait-il devant cette mère éplorée ? Il ne se sentait aucun goût pour bercer le chagrin d’autrui, discuter température, selles, potions, et cataplasmes. Mais que dire d’autre ? Il murmura :

— C’est bien ennuyeux… Mais ces refroidissements sont fréquents chez des enfants de l’âge de votre Georges… Il ne faut pas s’en alarmer…

— Vous croyez ? dit-elle.

Et une lueur d’espoir élargit ses yeux. Volodia fut flatté de la deviner attentive à son jugement. Il se rappelait avoir souffert, à l’âge de quinze ans, d’une violente bronchite. Fort de cette expérience lointaine, il poursuivit avec sûreté :

— Vous lui faites boire des tisanes, sans doute ?

— Oui, dit-elle, de la tisane de mauve, de violette, de bourrache…

Était-ce bien la hautaine et voluptueuse Olga Varlamoff qui lui tenait ce langage ? Toutes les femmes étaient donc semblables – faibles, animales et maternelles – derrière leurs attitudes diverses ?

— Il faudrait aussi lui appliquer des compresses froides sur la poitrine pour le soulager, reprit Volodia.

— C’est ce que m’a dit le docteur, s’écria Olga Varlamoff. Voulez-vous voir Georges ! Un instant, rien qu’un instant !

Volodia pénétra dans la chambre sombre et surchauffée où reposait le malade. Une gouvernante était assise au chevet du lit. L’enfant gisait vaincu et moite, parmi les coussins dérangés. Volodia renifla, avec dégoût, l’odeur des médicaments et des draps, s’avança vers la couche à petits pas silencieux. Puis, il contempla longuement la figure du gamin, rouge, aux narines dilatées, aux grands yeux verts, suppliants et peureux. Olga Varlamoff posa la main sur le front de son fils.

— Tu ne dors pas, Georges ? Tu devrais dormir, dit-elle avec douceur.

Volodia fut frappé par l’expression attendrie, simplifiée, de son visage. Georges se mit à geindre en roulant sa tête sur les oreillers. Puis, une quinte de toux secoua sa poitrine, creusa son ventre sous la chemise trempée de sueur. Ses prunelles exorbitées, sa bouche tordue, faisaient peine à voir. Olga Varlamoff détourna les yeux. La gouvernante versa une potion entre les lèvres bleues de l’enfant. Il fit la grimace et griffa les couvertures à pleins doigts.

— Que veut-il ? demanda Volodia.

— Je lui ai fait acheter les plus beaux jouets, soupira Olga Varlamoff. Il s’en amuse un instant, et puis il les repousse.

— Il demande un petit chien à présent, dit la gouvernante.

— Un petit chien ? Mais pour quoi faire, mon chéri ? Il va sauter partout, il va t’énerver, dit Olga Varlamoff. Il faut que tu restes calme. D’ailleurs, où irais-je te chercher un petit chien ?…

Il jeta les bras au cou de sa mère. Des larmes coulaient sur ses joues gonflées de sang. Une toux atroce le renversa.

Olga Varlamoff se pencha au-dessus de lui. Retenant ses sanglots, elle balbutiait :

— Georges, mon enfant chéri, mon ange, mon trésor… Tu auras un petit chien… Tu auras tout ce que tu désires… Et tu seras très vite rétabli, alors… Regarde ton livre d’images, pour l’instant… Ou prends ton petit ours contre ton oreiller…