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Je me lève et ce léger bruit le soustrait à Morphée. Il a un geste vain pour saisir dans son veston la crosse d’un feu qui ne s’y trouve pas.

— Merde, j’étais parti à dame, fait-il.

— Tu as découvert la piaule du Gitano ?

— Pas dif, y avait des bouteilles de Marquese de Riscal plein son placard ! Son jaja d’élection ! Dans les moments de spleen, il se shootait au vin rouge espago. De plus, j’ai dégauchi l’adresse de son frelot dans un tiroir, plus des costars qui ne peuvent pas appartenir à quelqu’un d’autre car il se loque d’une manière un peu glauque, le frère ! Les rayures, c’est son vice. Plus elles sont larges et voyantes, plus il gode dur.

— Curieux qu’il n’ait pas emporté sa garde-robe en partant, non ?

— S’il ne l’a pas fait, c’est qu’il compte revenir.

— Oui, t’as raison. Autre chose ?

— Un jeu de patience ; il s’en était fait apporter un en prison et il y passait des heures. Mais j’ai déniché un truc intéressant, petit.

— Quoi donc.

— Pas dans la carrée de Miguel, ailleurs, une planque sous l’escadrin. Vachement astucieuse, faut vraiment mon esprit tordu et mon œil de lynx pour la repérer.

— Tu me montres ?

Il saute du lit avec une souplesse qu’on ne lui soupçonne pas.

L’escalier (à double révolution pour les fêtes du bicentenaire) est en faux marbre bien imité. Les trois premières marches à partir du palier, reposent dans une épaisseur de plafond en toc, destinée à camoufler les tuyauteries et autres conduits d’aération. La rampe de plexiglas ne tient à la volée de marches qu’en trois points : en haut, en bas, au centre. Sauveur me fait descendre une demi-douzaine de degrés, puis se tourne face au palier. Il passe sa main sous la troisième marche, laquelle comporte une large et invisible encoche, et tire. Les trois marches pivotent du côté du vide, révélant la large cavité où, effectivement, passent des tuyaux, mais qui sert aussi de réceptacle à un véritable arsenal. Je dénombre une mitraillette légère, un pistolet-mitrailleur, deux revolvers de gros calibre, un talkie-walkie à longue portée, un chalumeau oxhydrique, des trousses à outils visiblement destinés au craquage des coffres-forts, des boîtes de munitions, des grenades soporifiques, des couteaux à manche équilibré (pour le lancement), plus une chose large que je prends de prime abord pour un gilet pare-balles.

C’est ce dernier élément qui mobilise l’attention de Sauveur. Il l’étale sur les marches et se recule pour mieux me le laisser contempler.

— Ça, me dit-il, c’est pas ordinaire.

Effectivement, la chose reproduit un thorax masculin si parfaitement imité qu’on le croirait découpé sur un corps authentique. On y trouve les mamelons des seins, la saillie des côtes, des grains de beauté, des poils frisés, des veines, des taches rousses et même des traces de menues cicatrices. Je trouve ce truc parfaitement écœurant.

— A quoi crois-tu que ça puisse servir ? questionne Sauveur.

— Si tu pouvais me le dire…

Je palpe cette fausse poitrine. Le matériau qui la compose est souple. En aucun cas il ne saurait protéger de l’impact d’une balle. C’est un postiche qui emboîte la poitrine depuis le cou jusqu’au bas-ventre et qui se fixe avec des sangles de toile.

— Peut-être que le type qui porte ça veut masquer des traces de brûlure ? Peut-être a-t-il un chancre ou un tatouage à dissimuler ?

L’ancien truand hausse les épaules.

— Possible, admet-il. Mais pourquoi planquer ce machin ? Je sens qu’il servait pour une combine tordue.

Il remet le fourbi en place et referme l’escalier-boîte-à-malice.

— Et toi, tu as trouvé quelque chose d’intéressant ?

— Ça se pourrait.

Je sors mon pense-bête.

— Après avoir écouté de fond en comble le répondeur téléphonique, j’ai déniché une fin de message qui n’avait pas été effacée ; ensuite, j’ai potassé l’ordinateur, bien que je ne sois pas particulièrement brillant dans ce domaine. De l’ensemble des recherches, mon colonel, il appert (de couilles) que le patron de ton pote était sérieusement menacé par des gens qui ne l’avaient pas à la chouette, d’une part, et que, d’autre part, il a, avant de mourir, pris une foultitude de dispositions concernant ses placements bancaires, les legs à sa compagne, les procurations qu’il lui a accordées.

« Je trouve bizarre qu’un homme menacé meure de sa bonne mort », réfléchis-je.

— Coïncidence ?

— Va-t’en savoir.

— Qu’est-ce qui indique qu’il était menacé ?

— Ceci ! J’ai noté la phrase restant sur l’enregistreur : « T’as rien à espérer car se serait trop grave pour eux. Et vous êtes cinq dans ce cas, Irving. Taille-toi ! Mais je me demande si le monde sera assez grand pour… » Voilà ! Ça en dit long ! Ça dit tout !

— Alors, murmure Sauveur, cancer bidon ? Incinération bidon ?

— Le miracle américain, dis-je. Faut voir !

5

Tu parles d’un circus, ces Délices de Long Beach ! Ça tient du casino, de la boîte de nuit, du beuglant de western.

Imagine une gigantesque enseigne lumineuse rouge, visible plusieurs miles à la ronde. La construction est tout en faux bois et adopte l’architecture d’Il était une fois dans l’Ouest. Un immense parking de supermarché entoure la boîte. Un monstrueux vacarme assaille les tympans de l’arrivant. Une arche en ampoules clignotantes, de toutes les couleurs, désigne l’entrée. De part et d’autre de celle-ci, deux cow-boys en stuc de douze mètres de haut montent la garde.

Quand nous pénétrons dans cette immense construction, Sauveur et moi, on se regarde misérablement pour se dire que, chercher ici la trace du Gitano est aussi vain que (non, je te ferai pas le coup de l’épingle dans la meule de foin) d’espérer découvrir un éclat de probité dans l’œil d’un marchand de voitures d’occasion.

Ce barnum est divisé en zones séparées les unes des autres par des différences de niveau ou des barrières en matière plastique.

Il y a le coin jeux, le coin music-hall où des gonzesses trémoussent du fion pour interpréter un french-cancan qui aurait fait gerber Toulouse-Lautrec (score final 0–0), le coin piste de danse, le coin bar ombreux.

Une fois qu’on s’est un peu repérés, c’est de ce côté-là qu’on se dirige, sur l’avis de Kajapoul. Il me dit, le papa de Maryse, que les pétasses, c’est surtout dans l’ombre qu’on les trouve. Alors on se pointe dans un coinceteau isolé du reste de la fête par des parois noires, tendues de velours bleu nuit. Il est éclairé par des projos tellement discrets qu’on s’aperçoit à peine de leur présence. C’est le « Salon Oriental ». Les sièges sont des coussins énormes, les tables font du rase-moquette, y a des voiles vaporeux qui tombent de çà et là, des plantes exotiques en matière plastique, tellement bien imitées qu’elles bourgeonnent et donnent des fleurs.

Par je ne sais quel système d’acoustique, le vacarme de la taule est réduit à l’état de fond sonore lointain ; seule est présente une musiquette américano-orientale à base de flûte acide et de violon à une ou deux cordes.

Dans cette pénombre sirupeuse, des gens se pelotent sans vergogne, s’embrassent large comme des bouches d’égout, ne s’interrompant que pour écluser du bourbon ou du champagne californien.

On finit par débusquer une table libre et on se dépose sur les coussins servant de chaises. Pas commode pour un Occidental de s’installer dans un tel décor. Tu ne sais pas quoi foutre de tes cannes et au bout de dix minutes tu biches mal aux reins.

A peine sommes-nous en position de pachas arthritiques qu’une serveuse se radine que tu croirais la couvrante de Playboy. Elle a un pantalon persan (percé là où il le faut pour faire goder le clille), les seins à peine voilés par une écharpe arachnéenne, des anneaux aux oreilles, prélevés sur un portique de gymnase, la bouche agrandie au Ripolin, des faux cils en pattes de mygale et des bracelets tintinnabuleurs aux bras et aux jambes.