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Un qui comporte impec, c’est Mister Sauveur. Les vrais hommes, c’est dans ce genre de circonstances que tu les juges. Il a les deux mains aux poches, le regard froid, détaché, les lèvres arrondies pour un léger sifflotement dubitatif.

Lorsque j’ai fini d’extraire les corps étrangers obstruant la gorge de la pauvre môme, il dit :

— En tout cas, c’est pas pour la faire parler qu’on lui a bricolé cette fiesta !

Humour du Mitan.

Il ajoute :

— Gâteries d’un client sadique, je suppose ?

— Tu crois qu’une pute reçoit ses clilles en bouffant du chilli con frijoles, toi ?

Je désigne le plat que la môme était en train de claper.

— Le mec en question a pu s’annoncer à l’improviste, rectifie Kajapoul.

— D’ac, il a pu, mais je ne sens pas les choses de cette manière.

— C’est quoi, ta version ?

— J’ai pas de version.

On reste là, de part et d’autre de la table, à se repaître de l’affligeant spectacle. Elle était jolie, cette gosse. Roulée main ! Sa fin n’a pas dû être une partie de campagne ! Quelle mort atroce ! Ce qui ajoute à l’horreur, c’est cette pince à linge dressée sur son pif.

— On est dans un beau merdier, soupire Sauveur. La radasse des Délices va se faire un devoir d’expliquer aux draupers que deux frenchmen cherchaient l’adresse de cette fille ; en outre, on a rencontré un couple dans l’escalier. C’est quoi, dans le Mississippi, la chaise, la chambre à gaz ou peut-être la piquouse ? Un Etat où dominent les Blacks, ça m’étonnerait que la peine de mort soit abolie.

A mesure qu’il jacte, je sens mes poils de cul se dresser sur ma tronche. Car il n’exagère pas, Sauveur. La manière dont nous sommes barrés peut très bien nous coûter la vie. Ma qualité de poulet ne pèsera pas lourd en regard du pedigree de mon pote. On pensera que je suis un ripou allié à la pègre française. La belle historiette du malfrat dont son frère est sans nouvelles, y aurait pas un moufflet ricain de plus de cinq ans pour y croire dix secondes consécutives.

Je ne parviens pas à détacher mes yeux de la morte.

Son jour de congé ! Elle se sustentait dans son pauvre studio. Quelqu’un s’est pointé, qui a frappé. Elle a ouvert. Ils devaient être au moins deux pour pouvoir la ligoter sans qu’elle fasse du rébecca. Quand Sauveur murmure en ricanant qu’on ne voulait pas la faire parler, dans le fond c’est pas si glandu que ça comme réflexion. Ceux qui lui ont rendu visite sont venus pour la tuer, uniquement pour la tuer. Et c’est vrai qu’ils sont sadiques, la méthode choisie le prouve ! Ils ont voulu somme toute joindre l’utile à l’agréable.

— C’est lié, marmonné-je.

— Qu’est-ce qui est lié ? demande Kajapoul. Lui répondre quoi ? Mon flair de flic me chuchote que si l’on a buté cette petite entraîneuse de couleur, c’est parce qu’elle avait des relations « privilégies » (comme ils disent) avec le Gitano. Sa mort est liée à la disparition de Miguel de La Roca. Comment ? Pourquoi ?

Le truand respecte mon mutisme. Dans sa partie, on fait pas chier le monde avec des questions déplacées. Alors, il n’insiste pas.

— Si on l’emballait et qu’on aille la filer dans la mer ? suggère-t-il.

— Monsieur voit grand ! fais-je. Monsieur ne se refuse rien pour son confort.

Néanmoins, sa réflexion m’ouvre des perspectives. Je retourne dans le coin entrée car j’ai cru y apercevoir une autre porte. Exact. Et cette seconde lourde donne sur une salle de bains minuscule. J’entreprends d’emplir la baignoire.

— Aide-moi à détacher la gosse et à la déloquer, Sauveur !

— Noyade ? il nargue. Je croyais qu’à l’autopsie on doit découvrir de la flotte dans les poumons, dans ce cas-là ?

— Reste à savoir si les autorités d’ici réclameront une autopsie pour une pute morte dans son bain. Et même dans l’affirmative, ça retardera l’enquête.

Le voilà convaincu, et on se met au charbon. Pas Joyce ! Heureusement qu’elle n’est pas encore raide, la mère. Lorsqu’elle est à loilpé, on la coltine dans le bain qui vient de couler. Cela fait, on examine le tableau.

— C’est pas le genre de baignoire dans laquelle tu perds pied, émet l’ancien taulard.

— Faut constituer des circonstances, fais-je !

Courageusement, je saisis avec mon mouchoir un gros flacon d’eau de toilette posé sur l’étagère de marbre qui surplombe la baignoire et, les dents crochetées par l’effroi, je l’abats sur la tête de Maureen et le lâche. Ensuite, je tire la morte par les pieds jusqu’à ce que sa tête se trouve immergée : Version : en prenant son bain, elle a voulu se saisir de la bouteille, celle-ci lui a glissé des mains et elle est tombée sur son crâne. Estourbie, la fille a glissé dans la baignoire.

Sauveur acquiesce.

— Toi qui es poulet, dit-il, tu te pointes dans cet appartement, t’examines les lieux, la morte, tout bien, c’est cette conclusion qui te vient ?

— Non, réponds-je en toute loyauté.

— Ah bon, soupire-t-il, j’ai eu peur d’avoir mal placé mon estime.

C’est avant de vider les lieux que le fichtre me chope. Un de ces élans irréfléchis dont je suis costumier (comme dit Bérurier). Je vais au cosy de la morte pour examiner la niche qui le longe. Elle abrite toute une bimbeloterie idiote : des animaux de porcelaine, des fleurs séchées en inclusion, des petites cuillers à café dont le manche célèbre une ville ou un haut lieu touristique, des peluches, des cendriers-souvenirs et même deux ou trois bouquins d’amour pour serveuses de drugstore enamourantes. Je saisis ces derniers et les feuillette rapidement. Tout est question de psychologie, dans mon job. En agissant ainsi, je me tiens le raisonnement ci-après : « Je suis Maureen, l’entraîneuse. Un cœur et un cul gros comme ça, mais un cerveau qui pourrait tenir dans une boîte à pilules. Je suis tombée amoureuse d’un gars marrant qui bouffe une chatte avec plus de talent que Picasso n’en mettait dans sa peinture. Et puis ce vaillant de la minette sur gazon m’annonce son prochain départ. Moi, midinette chagrinée, je lui demande son adresse. Il me la donne. Je suis le contraire d’une intellectuelle. Chez moi, tu ne trouverais pas le moindre bloc de correspondance. Où noter la chose ? Je chope le seul support à ma disposition : la page de garde d’un de mes romans à l’eau de rose. »

Ça se trouve dans le troisième book, délicieusement intitulé « Ton cœur deviendra mon cœur ». Et ça ne figure pas sur une page de garde, mais sur la face interne de la couverture. Et c’est sûrement pas Miss Maureen qui a écrit ça, car l’écriture n’est pas américaine, le texte non plus.

Je lis : Mimi, le roi de la tarte aux poils. Suit un numéro qui doit être téléphonique. Je montre ma trouvaille à Sauveur.

— Ce ne serait pas l’écriture du Gitano, ça ?

— Probable, en tout cas c’est son style. Il signait toujours « Mimi, le roi de la tarte aux poils » quand il écrivait à une frangine.

La lueur d’admiration qui brille en sa prunelle me met du baume au cœur.

— Qu’est-ce qui t’a donné l’idée de feuilleter ces bouquins ? ne peut-il se retenir de questionner.

— Les quelques milligrammes de matière grise qui font la différence entre mon cerveau et celui d’un poinçonneur de billets, réponds-je avec un rien d’immodestie dans le phrasé.

BALLE AUX PIEDS