Выбрать главу

— Merci.

Nos relations s’interrompent (provisoirement ?) là.

— C’est un mystère ! fais-je.

Maryse, qui se tenait dans l’encadrement de la cabine, murmure :

— Et si cette station service servait seulement de relais aux Clay ? Imaginons qu’il n’y ait pas le téléphone là où ils se cachent ?

— Tu rigoles, chérie ! Le côté « en cas d’urgence, appelez-moi chez l’épicier » ? Un mec condamné, qui tente de s’en sortir en se faisant passer pour mort et en surinant un pauvre gars venu d’ailleurs, se livrer à des pompistes, c’est impensable !

— Tu es certain d’avoir bien relevé le bon numéro ? Tu n’aurais pas mal interprété un chiffre, des fois ?

— Non. Le Gitano avait parfaitement tracé ses chiffres et j’opère toujours ce genre de transcription avec minutie : c’est l’abc du métier.

— Il y a un os quelque part, conclut-elle.

— Là, je suis pleinement de son avis : y a en effet un os, et c’est pas un os de lapin, mais un os de mammouth !

En pleine perplexité, nous rejoignons notre tire, mais en empruntant le trottoir d’en face, cette fois.

La nuit est complètement tombée. Les rues sont de plus en plus calmes. Quelques jeunes cons à tignasse longue et tatouages bicolores friment sur des motos à haut guidon, avec à l’arrière de leur selle, des gonzesses dont la jupe ras-de-moule dévoile leurs cuisses jusqu’aux épaules. Des Noirs chahutent en riant blanc, comme partout. Un vieux frimant, travesti en cow-boy mité de western d’avant-guerre, propose aux passants des choses indécises qu’il coltine dans une giberne sur son ventre. On doit se faire gentiment chier dans ce patelin. Que ce soit à Fresno ou à Châteauroux, à Manchester ou Salonique, les soirs d’été te filent la gratte. Population et boulot en veilleuse, ça ne pardonne pas : le spleen te biche. C’est l’instant cruel où la vie t’écœure dans les moiteurs. T’as même plus envie de te faire sucer, de boire du champagne glacé, ou d’apprendre que le fils de ton sale con de voisin a raté son bac, ni que c’est peut-être grave, l’occlusion intestinale de ta belle-doche. T’es tout mourant de la pensarde. Tu souilles ton slip par inadvertance : même tes sphincters font relâche !

Elle soupire :

— Un flic fait quoi, dans ces cas-là, chéri ?

Je murmure :

— Il conduit sa gentille greluche à l’hôtel, puis il revient en planque près de la station. Il attend que le crevard de la caisse mette les adjas. Ensuite il le filoche pour voir où il crèche et qui il rejoint.

— C’est tout ?

— La suite est fonction des événements. Ou bien le mec rentre dans un modeste logement plein de mômes loupés, puisque ce sont les siens, et le flic continue d’attendre ; ou bien le crevard a un comportement pas catholique et, alors, le perdreau, suivant sa nature, « l’entreprend ».

— C’est ainsi que tu comptes opérer ?

— Si tu n’y vois pas d’objections majeures.

— J’en vois une petite, concernant le début du programme. Pas question d’aller me boucler dans une chambre, mon ami. Je suis avec toi, j’y reste.

— Hier soir tu as voulu rester au motel en prétendant que t’en avais rien à cirer de nos excursions nocturnes.

— Hier était un autre jour, Antonio !

Bon, alors on attend.

On se paie quatre heures quarante de poireaute, à écouter la radio à bord de notre caisse sans perdre de vue l’aquarium illuminé où le petit caissouillard affure ses pétrodollars. De temps à autre, je roule une galoche princière à ma compagne. La promiscuité aidant, il m’arrive même de lui placer une main baladeuse dans le triangle des Bermudes, ce qu’elle apprécie au plus haut point et me revaut par une légère séance de trombone à coulisse à travers mon futal. Ces petites pratiques te contraignent vite à davantage. Rien de plus impétueux que les sens.

Comme nos élans du cul deviennent (Autriche) de plus en plus intenses, on échafaude une ravissante combinaison nécessitant de l’audace (je n’en manque pas), de la souplesse (elle en a à revendre) et une passion immodérée pour la baise en demi-levrette (ce qui est notre caractéristique commune à Maryse et à moi). J’admire la détermination de cette jeune fille qui, au lieu de chougner sur le décès de sa pauvre mère et la disparition de son vaillant papa, consent, avec ardeur, à se prêter au jeu délicat du coup tiré en pleine ville dans une automobile de marque Ford dont les vitres ne sont même pas teintées !

Je glisse l’objet de mes préoccupations dans son centre d’hébergement, avec délicatesse et célérité pour, aussitôt, me livrer à un mouvement pendulaire dont la lenteur est génératrice d’extases, quand, au plus fort, au plus dilaté de nos ébats discrets, le petit glandeur de la station se lève de son siège pour céder sa place chaude à un gros rouquin à qui il n’a manqué que quelques points à l’oral pour être réellement albinos. J’ai dit que le maigrichard était valétudinaire ; le voyant sortir de son bathyscaphe, je le confirme. Dehors, il paraît plus malingre et malade encore qu’à l’intérieur. Ce gonzier doit être rongé par la tuberculose ou une vérolerie plus pernicieuse encore.

Bon, il est temps, hélas ! d’interrompre notre charmant manège, Maryse et moi. La pratique que nous sommes contraints, par devoir, de suspendre ne laisse pas d’être exquise et réservée, me semble-t-il, à une élite. Car, force m’est de l’avouer, une certaine ségrégation est en vigueur dans l’amour : le manar ne copule pas comme l’intellectuel et le paysan (un bon tireur qui trompe son monde) comme l’attaché d’ambassade. Il est, en amour, des combinaisons ingénieuses et charmantes qui donnent du piquant à celui-ci et apportent de la grâce à un acte apparemment bestial, qui, de ce fait, n’en comporte pas toujours.

Ayant remis Popaul dans ma musette et rajusté l’aimable fermeture Eclair qui nous fait gagner tant de temps, et donc, nous économise souvent bien des arguments hypocrites, plus ou moins tirés par les cheveux, je tourne ma clé de contact. La Ford a un léger vrombissement. Je place la manette en position « D » et c’est la souple décarrade dans Main Road, de plus en plus déserte.

Le délabré porte un blouson de faux cuir, dans les tons verts, ce qui confirme son aspect maladif. Il marche vite, remontant la large avenue comme s’il était pressé de regagner son logis. Une fois dans le centre, il s’arrête à une boutique montée sur roues, et y achète un club-sandwich qu’on lui emballe dans une barquette d’aluminium.

— Il vit seul, dis-je à Maryse.

— Tu crois ?

— Le gazier qui regagne son gîte à bientôt minuit et qui s’achète un en-cas, n’a pas de bonne femme à la maison pour lui préparer un frichti.

— Peut-être que sa femme est en vacances ?

— Possible.

Le crevard passe deux blocks et ensuite une rue en pente, pas très bien éclairée, où se bousculent des maisonnettes aux toits de tôle. Chacune d’elles comporte un jardinet grand comme un billard, dont les locataires ont à cœur d’entretenir le gazon au rasoir. Il s’arrête devant la sixième construction à droite, cherche ses clés et ouvre la porte. Je stoppe devant le trottoir d’en face et coupe mes loupiotes. Dans le pavillon, Césarin allume les siennes.

Un peu partout, on perçoit la rumeur nasillarde de la téloche dont la clarté laiteuse se reflète dans les vitres.

— Tu vois qu’il vit seul, murmuré-je.

La môme, franchement, elle reprendrait bien notre tendre activité prélavable (Béru dixit). Sa main gauche caresse mon bénouze, à la recherche d’une glorieuse bosse. Mais moi, quand je suis sur le chantier de naguère (toujours Béru dixit), je ne protubère pas.

— Attends-moi là ! enjoins-je.