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— J’ai parlé de mon père, oui, et j’ai ajouté que vous aviez prévenu la police française.

— O.K., je pige. Il a préféré gagner du temps plutôt que de nous mettre en l’air, ce qui n’aurait rien changé à son problème.

Un sacré fumier de coriace. Parvenir à se carapater, après ce que je lui ai mis dans la tronche et dans les claouis, c’est Trompe-la-Mort, ce gars ! Le Raspoutine du crime.

Je dépose ma malheureuse petite potesse sur des broussailles séchées. La mine s’ouvre dans les flancs de la Sierra Nevada. Derrière nous, un peu plus au sud, les cimes enneigées du mont Withney ; devant, des chaînes basses descendent jusqu’à la plaine côtière. On aperçoit les lumières de Fresno et, plus loin, beaucoup plus loin, sur la droite, un immense flamboiement qui doit être San Francisco.

L’endroit où nous sommes est escarpé, désolé. La mine a cessé d’être exploitée depuis très très longtemps et la vorace nature est en train de faire le ménage pour gommer la trace des hommes. On est beaux ! A des kilomètres de maquis de tout secours ! Avec une jambe salement cassée qui doit nécessiter une opération délicate.

— Comment te sens-tu, mon petit cœur ?

— Ça ne va pas fort !

— Tu sais ce qui nous reste à faire ?

— Tu vas me laisser et partir chercher du secours ?

— Il n’existe pas d’autre alternative.

Elle murmure :

— La seule chose que je te demande, c’est de m’emmener à l’écart de… de ces…

— Naturellement.

— Dans un coin caché, bien caché, pour le cas où il reviendrait.

— D’accord, mais n’aie crainte : il ne reviendra pas. C’est un homme traqué à présent, il n’a plus qu’une idée : se planquer. Mais où ? Le danger que nous représentons pour lui est secondaire ; il fuit un mal bien plus terrifiant : le Cartel Noir !

— Qu’est-ce que c’est ?

— L’organisation criminelle la plus puissante et la mieux structurée des Etats-Unis. La Mafia n’est rien en comparaison. C’est parce que les chefs ont décidé de le supprimer qu’Irving Clay a manigancé tout ce bigntz. Peut-être avait-il réussi à leur donner le change avec son décès naturel. Mais quand ils vont savoir qu’il les a dupés, ça va être une drôle de corrida.

— Que peut-il faire ?

— Dans l’immédiat, changer encore d’identité, profiter de ce qu’il n’est plus surveillé pour se chercher une planque ; mais ce ne sera que différer l’inéluctable.

Tout en lui parlant, je me suis mis en quête de la cachette dont elle rêve. Je déniche, tout près, un entablement rocheux recouvert de mousse et abrité par un foisonnement de plantes touffues. Elle sera mieux pour attendre. Je mets ma veste sur elle et lui laisse la lampe.

— Il va te falloir beaucoup de courage, ma chérie, car ça risque d’être long. Bouge le moins possible et conserve ta jambe allongée.

Un baiser savoureux sur sa bouche fiévreuse. Elle soupire :

— Les étoiles ne sont pas les mêmes que chez nous.

— Mais si, dis-je, c’est une idée que tu te fais : nous sommes dans le même hémisphère.

Et je m’éloigne.

9

Faut que je te fasse rire.

Un pote à moi, rencontré à mes débuts dans la Rousse, commençait la plupart de ses phrases par cette promesse : « Faut que je te fasse rire ». Et il débitait immanquablement des trucs sinistros, pas rigolos du tout. Des balourdises, des lieux communs, d’insipides pauvretés qui te flanquaient de l’uticaire dans les trompes d’Eustache.

Eh bien, moi, franchement, faut que je te fasse rire.

Imagine-toi que moins de deux kilomètres en contrebas de la mine, coule une rivière impétueuse. Au bord de cette rivière, il y a une clairière. Dans cette clairière, deux tentes de campinge montées côte à côte. Un foyer bâti avec des pierres trouvées sur place où rougeoient encore des cendres incandescentes. Nettement à l’écart, un véhicule ricain, énorme mastodonte de ferraille dans lequel tu peux transbahuter le fourbi d’une compagnie.

Je m’en approche et essaie d’ouvrir la porte. Elle ne résiste pas. Les clés sont au tableau de bord. Faut dire que quand tu viens bivouaquer dans un endroit aussi désert, tu n’as pas peur des voleurs. Comme le terrain est en déclivité, les campeurs ont calé les roues de leur véhicule avec de grosses pierres. Je retire celles-ci et, m’arc-boutant comme un taureau fougueux, je pousse la tire. Elle s’ébranle très lentement, peu à peu la voilà qui prend de la vitesse. Alors Sana saute au volant et laisse dégouliner son bolide.

J’ai mis le contact afin que la direction ne se bloque pas. Le tank peint dans les bleu aubergine franchit trois ou quatre cents mètres avant d’être stoppé par un relèvement du terrain. Là, j’enclenche le moteur, manœuvre pour faire demi-tour et passe en trombe à l’orée du campement. Les gonziers bivouaqueurs doivent croire qu’il s’agit d’une tire de passage, venue d’ailleurs et qui y va. Des gardes forestiers en train de faire une ronde nocturne.

— Déjà ! s’exclame Maryse, ravie.

Elle qui s’apprêtait à attendre pendant des heures, voire plus d’un jour !

Pour la soulever et l’installer dans la chignole, c’est drôlement coton. Elle a la fièvre et sa jambe la fait de plus en plus souffrir. Par chance, il y a une petite pharmacie de secours à bord du tombereau. Je lui administre deux aspirines et use de bandes Velpeau pour mieux maintenir mon attelle sur sa fracture.

En route !

A nouveau, la clairière. Tout reposait dans Boz et dans Jérimadet. Les campeurs continuent de camper, nous de décamper, la nuit de s’opacifier et la haine que m’inspire le sinistre Irving Clay, de croître sans embellir.

Le chemin raviné le cède à une voie mieux entretenue, la voie mieux entretenue à une route authentique, et nous gagnons ainsi les faubourgs de Fresno. Il y a encore des Noirs bourrés de H qui fument devant des seuils. Je parviens à leur faire dire où se trouve l’hôpital et je fonce y déposer la môme Maryse. Version aux urgences : nous avons eu un accident de voiture. Paperasseries inéluctables, dépôt d’un acompte. On prend la gosse en charge.

Elle défaille de souffrance.

— Courage, ma gentille, lui soufflé-je à l’oreille, je viendrai te voir dans la journée.

— Que vas-tu faire, Antoine ? a-t-elle encore l’énergie de s’inquiéter.

— Mettre la main sur ce tueur.

— C’est si important ?

Oh ! dis, elle démissionnerait, la fille du gars Sauveur ? Donnerait quitus au salaud qui l’a torturée, qui a buté son propre frère, Miguel et la petite entraîneuse de couleur ? Sans parler des méfaits qu’il a pu accumuler au cours de sa carrière ?

— Oui, Maryse, c’est important, c’est terriblement important, et je ne rentrerai pas chez moi tant qu’il restera sur ses deux pattes.

My opinion est qu’il me faut rapidement abandonner cette énorme benne à ordures et récupérer ma propre tire, laquelle, je le suppose, doit être restée devant chez Frederick. Je me rends donc à la bicoque du malheureux « Abel » et, fectivement, j’avise ma pompe plus ou moins bien garée devant le garage de Clay number two. Les clés sont en place. Irving a dû agir prompto après nous avoir sulfaté son gaz à la con et s’il a rangé ma bagnole c’est uniquement pour dégager sa charrette à lui qui se trouvait bloquée par elle.

Je repars au volant de la grosse caisse et vais abandonner celle-ci sur un parking, à bonne distance de la modeste demeure de Frederick. Retour à pied. La fatigue me cisaille. « La journée sera rude », avait déclaré Damiens, le régicide, en entendant ce à quoi il était condamné. Pour ma pomme, la nuit est rude !