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Il répond :

— T’avais qu’à te servir ; pas question que je me découvre !

— Surtout pas de fausse manœuvre, soupiré-je. Tu sais que ce mec, c’est de la nitroglycérine. Aux abois et armé comme il doit l’être, la plus légère erreur peut nous être fatale. D’autant qu’il emploie des gadgets vice-loques, comme le pistolet à gaz avec lequel il nous a neutralisés à Fresno.

— Je sais tout ça, flic. N’aie aucune inquiétude, je ne lui laisserai pas sa chance.

— Tu ne vas pas le repasser en pleine station ?

— T’inquiète pas.

Il interpelle un pompiste basané qui s’affaire. Lui tend un bifton de cinq dollars et, sans lui dire un mot, s’empare de sa casquette dont il se coiffe. Bol ! Elle lui va.

Le bec verseur est engagé dans le réservoir de la Porsche. Irving attend, assis à son volant, le bras droit allongé sur le dossier du siège passager. Sauveur s’avance par-derrière, en sifflotant. Faut un foutu sang-froid pour trouver un air à interpréter dans un pareil instant de tension. Je crois bien qu’il siffle La Vie en rose. De circonstance, non ?

Voilà, il a atteint le coffre de la voiture, fait encore un pas. Seulement, les reptiles, mon vieux, tu ne peux pas les surprendre. Ils possèdent un sixième sens qui les avertit d’un danger. Et quand le sixième sens ne suffit pas, ils font appel à un septième.

Clay se retourne brusquement. Peut-être a-t-il aperçu la silhouette de Kajapoul dans son rétro ?

Ce qui sauve tout pour le Turc, c’est la gapette dont il a eu l’idée (apparemment saugrenue) de s’attifer. Pendant une fraction de seconde, elle rassure le fugitif. La fraction de seconde indispensable à Sauveur. Il lève son flingue par le canon et abat la crosse à toute volée dans la gueule d’Irving. Ça produit un craquement si fort que, malgré le brouhaha du trafic, je l’entends, bien que je me tienne à quatre mètres d’eux. Irving, fauché, tombe à la renverse.

— Tu viens ? me lance calmement le Turc.

Ça a été si rapidement accompli, avec une telle détermination, que seul l’automobiliste qui attendait son tour a vu la scène. Je brandis ma carte devant son pare-brise, rapidos, juste qu’il puisse apercevoir l’essentiel, c’est-à-dire le mot « Police », manière de lui calmer les tourments.

Bien que le réservoir ne soit pas encore rempli, j’ôte le bec, le raccroche à la pompe et tends un talbin au Noir qui a « vendu » sa gapette à Sauveur. Il me rend la mornifle. Ce petit manège achevé, je trouve Sauveur installé à la place passager, tenant Irving serré contre lui.

— Conduis ! me lance-t-il. Nous deux, regarde comme on s’aime.

Bon, c’est lui qui commande à présent. Soit ! Je prends place derrière le volant et c’est la belle, l’exaltante envolée.

— Tu sortiras par la première bretelle de dégagement, flic ! Ensuite, direction montagne. Faudra trouver un coinceteau idyllique.

— La môme nous attend avec son coucou.

— Elle a qu’à se branler !

Dis, il est rogneux mon coéquipier ; la victoire ne l’a pas calmé.

Tout en drivant, je glisse un regard à Irving, coincé entre nous.

— Tu l’as buté ! dis-je.

— Penses-tu, il a du pouls.

Malgré que notre posture ne s’y prête guère, Kajapoul explore les vêtements de sa victime. Il en retire un Colt Cobra, un stylet dans une gaine lacée à son avant-bras gauche, un pistolet extra-plat, fixé à sa cheville avec du sparadrap, une boîte chromée contenant des ampoules et une quantité folle de liasses de mille dollars. Sauveur les enfouille sans vergogne.

— Je t’en propose pas, dit-il ; un flic honnête comme toi, tu me traînerais aux assiettes pour corruption de fonctionnaire. Voilà qui va me rembourser la croisière. Quand on aura trouvé un endroit pépère, je me livrerai à la toute grande inspection : je prévois du caillou dans une doublure de ses hardes ou le talon de ses pompes, c’est le genre de gonzier capable de transporter l’équivalent du budget des Etats-Unis sous un volume qui tient dans la main !

Voici la sortie pour Santa Puta. Je l’adopte.

Avant le péage, Sauveur enfonce sa casquette Shen sur la tronche un tantisoit défoncée d’Irving Clay.

11

Les villas « Sam’Suffit » n’en finissent pas de s’étager sur la chaîne côtière. Vacances, vacances ! Urbanisación ! Les plus importantes comportent une espèce de trou bleu appelé piscine. Les fleurs abondent. C’est la richesse des pays pauvres. Nous, ce qu’on souhaiterait, c’est juste un peu de solitude, un endroit escarpé, ou du moins, discret, pour pouvoir s’occuper « sérieusement » d’Irving Clay. Et tout en le cherchant, ce coin de rêve, je philosophe dans ma tronche, pour moi tout seul. Je me dis qu’on s’est remué le dargif comme des fous pour mettre la main sur ce vilain. On a risqué la mort, dépensé un blé fou, et maintenant qu’on le tient, maintenant qu’il est là, coincé entre nous dans la Porsche, un sombre désenchantement m’envahit. La vengeance, je vais te dire, elle n’est bonne à exercer que pour les êtres primaires, les obtus, les mecs bas de plaftard et moelleux du bulbe. Quand t’as du chou et du cœur, il t’apparaît rapidos que c’est une illuse, un piège à cons. Quelque chose d’âcre et de honteux.

Je m’entends murmurer :

— Sauveur…

— Présent !

— T’as vraiment l’intention d’occire ce mec ?

Un temps. Il questionne, incrédule :

— T’es sérieux ou il s’agit d’une devinette ?

— Ça a beau être de la crème de pourriture, si tu le sulfates, ce sera un assassinat. Tu connais la définition du mot assassinat ? Meurtre avec préméditation ou par guet-apens.

— En vertu de quoi quand je l’aurai rectifié, tu m’arrêteras ? ricane Kajapoul.

— Déconne pas, Sauveur. Je te fais une propose alléchante, monsieur l’homme : on le porte aux draupers d’ici. On leur balance toute l’histoire. La mort savante de Miguel, la mort atroce de Maureen, celle, sauvage, de son frangin, la jambe délibérément brisée de Maryse. Rien qu’avec ça, il est assuré de la chambre à gaz ; sans tenir compte du formidable rouge qu’il doit traîner. Ce sera pour lui une fin autrement jouissive que celle que tu vas lui voter en lui cloquant une bastos dans le chignon, mon fils. Ça traînera, y aura des sursis, des atermoiements : ira, ira pas ? Et pour finir, il connaîtra sa dernière noye dans un pénitencier, à bouffer de la langouste devant ses gardiens gênés. Tu vas pas te priver de ça, grand ? L’impulsion, c’est trop bref, ça ne rassasie pas. Tu resteras sur ta faim. Devant son cadavre, tu te sentiras tout frustré, cocu comme dirait. Sa mort ne t’apportera aucune réelle satisfaction, tu seras obligé de te chatouiller pour qu’elle te fasse rire. En outre, n’oublie pas qu’il a le Cartel Noir sur les endosses. Quand ces messieurs vont apprendre qu’il les a niqués, eux, oui, fomenteront des représailles extra-vicieuses pour le faire payer. Des trucs que nos imaginations européennes ne nous permettent pas de concevoir, d’autant qu’il aura balancé ses ex-potes pour amadouer les juges.

Je me tais.

Le silence qui succède est toujours de moi (et pas du tout de Mozart).

— C’est tout ? demande Sauveur au bout d’un temps confortable.

Je réponds par un soupir lamentable. Tête de pioche ! Tous les malfrats, quelque part, ont des tronches en bronze. Tu parles à des murs quand tu leur tiens le langage de la raison.

Maintenant, les constructions cessent. Une route de crête sinueuse grimpe à l’assaut de la montagnette. La végétation cesse d’être fleurie. On va vers les épineux, les cactacées (ou cactées) dont le Mexique est le pays d’origine. Chaque buisson semble avoir fourni la couronne du Christ.