Выбрать главу

Desjani sourit. « Quand on lâche en roue libre une arme comme le capitaine Cresida en lui demandant de trouver elle-même ses propres cibles, on peut s’attendre à des décisions imprévisibles. »

Geary ne put s’empêcher d’éclater de rire. « Si je n’arrive pas moi-même à prévoir ce qu’elle va faire, les Syndics en seront bien incapables, j’imagine. »

Sa vitesse acquise avait emporté le détachement Furieux très loin dans la même direction, mais sa trajectoire se distinguait de plus en plus de la projection originelle. Quand il atteignit la zone où la flottille du Syndic l’avait croisée, il se trouvait déjà à plusieurs secondes-lumière de la position fixée par cette projection. « Si les Syndics ont lâché des mines, c’est un pur gaspillage, fit observer Desjani. Elles auraient dû couvrir une région de l’espace beaucoup trop vaste. »

Le détachement Furieux virait toujours, mais il plongeait également, à présent, sous le plan du système en dessinant une longue spirale, à mesure que ses vaisseaux décrivaient un cercle complet, pour ne reprendre enfin la formation qu’à l’approche des deux bâtiments pratiquement achevés soustraits au bombardement cinétique. Au-delà, très loin, la force syndic Alpha continuait de traverser en trombe le système stellaire de Sancerre, creusant plus formidablement encore l’écart qui la séparait du détachement de l’Alliance.

Une demi-heure plus tard, Geary voyait ce dernier survoler les chantiers déjà singulièrement délabrés et balayer de frappes chirurgicales de ses lances de l’enfer les dernières cibles intactes. Dix minutes après, les remorqueurs du Syndic se désarrimant avant de s’enfuir à toutes jambes, le détachement Furieux éventrait le cuirassé et le croiseur en construction que l’ennemi avait tenté de sauver, tandis que les unités les plus légères de l’Alliance poursuivaient leur chemin pour faire exploser ces remorqueurs, aussi facilement que si elles chassaient des mouches.

Conscient que rien de ce qu’il pourrait faire désormais n’aurait d’incidence sur l’issue de la bataille pour le système de Sancerre, Geary s’arracha à ce spectacle. Cette issue reposait à présent sous ses yeux, près du portail de l’hypernet où la force syndic Bravo patientait toujours, immobile.

Encore une heure et demie avant le contact, du moins si les Syndics ne réduisaient pas plus rapidement la distance en décidant de charger à la dernière minute.

Moins de deux heures avant que, fatalement ou presque, tous les habitants de ce système ne découvrissent les conséquences de la destruction d’un portail de l’hypernet.

« Comment se fait-il que personne n’ait encore tenté de détruire un portail de l’hypernet, capitaine Desjani ? demanda-t-il. Si j’en crois les archives de la guerre que j’ai consultées, certains systèmes stellaires proches du territoire ennemi et dotés d’un portail ont été attaqués et investis. Pourquoi ces portails n’ont-ils pas été détruits ? »

La question parut la surprendre. « L’ennemi ne pouvait pas se servir d’un de nos portails. C’est la toute première fois qu’une armée détient une clef de l’hypernet de l’ennemi.

— Certes, mais il pourrait toujours se servir de son propre portail pour dépêcher rapidement des renforts ou organiser une contre-attaque pour reprendre ce système.

— Oui, capitaine. » Elle avait l’air de croire que ça se passait d’explication.

La raison lui en apparut subitement. Il n’avait pas raisonné en combattant moderne. « Vous tenez à ce que les forces ennemies se montrent !

— Bien sûr, capitaine Geary. C’est le but de toute action offensive : engager le combat avec l’ennemi et le détruire. » Elle l’affirmait comme si c’était de notoriété publique. « Tout ce qui facilite l’entrée en guerre des forces ennemies contribue à la réalisation de cet objectif : le pousser à combattre. Un portail opérationnel, c’est un champ de bataille garanti.

— Évidemment. » Réduisez la guerre à sa composante la plus basique – tuer l’ennemi – et le tour est joué. Vu sous cet angle, il était parfaitement logique de laisser les portails de son hypernet intacts, puisque leur bon fonctionnement garantissait la constante irruption de nouveaux adversaires qu’on pouvait tenter d’anéantir, ainsi que la certitude qu’ils obtiendraient des renforts plus vite que vous ; mais peu importait, puisqu’il s’agissait d’autant de cibles à abattre. Pas étonnant qu’ils aient subi autant de pertes. Pas seulement parce qu’ils ont tout oublié de la stratégie militaire, mais à cause de cette posture qui place le carnage au-dessus de la victoire. Ils ont oublié qu’on peut tuer davantage d’ennemis en remportant intelligemment la victoire qu’en le massacrant pied à pied.

Il étudia, pour la centième fois peut-être en quelques heures, la formation de sa flotte. Comment la distribuer au mieux contre un ennemi massivement inférieur en nombre, mais qui espère vous voir vous rapprocher ? Il débouchait toujours sur la même solution, bien qu’elle ne fût nullement infaillible : « Il va falloir scinder la flotte. »

Desjani opina sans trahir aucune inquiétude.

Conscient qu’il allait passer un temps infini à en débattre en son for intérieur puisqu’il n’existait aucune manière évidente de procéder, il prit sa décision. Il pianota sur les touches et organisa des formations qui séparaient le corps principal de la flotte en six sections, chacune composée d’un panachage de gros vaisseaux et d’escorteurs.

« Six ? s’étonna enfin Desjani.

— Oui. Je veux éviter de fournir aux Syndics la concentration de cibles qu’ils espèrent. Et pouvoir aussi leur opposer notre puissance de feu, ce que m’interdiraient des formations si nombreuses que beaucoup de nos unités ne pourraient opérer le contact. » Il hésita puis écrasa la touche permettant d’envoyer des ordres à toute la flotte. « À toutes les unités de la flotte de l’Alliance, ici le capitaine Geary. De nouvelles affectations de position vous ont été adressées. Exécution à T vingt. Je veux que chaque formation effectue des passes contre la force syndic Bravo jusqu’à ce qu’elle ait fui la zone du portail ou qu’elle soit anéantie. »

Desjani étudiait les données sur son écran, les yeux plissés, plongée dans ses pensées. « Six formations. Chacune frôlant tour à tour les Syndics avant de virer sur l’aile puis de revenir à la charge. Comme une énorme roue. S’ils ne bougent pas, on va les tailler en pièces.

— C’est l’idée générale, admit-il.

— Vous avez remis l’Indomptable dans la formation Delta, fit-elle remarquer.

— Oui. » En quatrième position, ce qui la chiffonnait légèrement. « Les Syndics, selon moi, tiendront le coup pour les trois premières passes. Quand la quatrième formation – Delta, en l’occurrence – approchera, je crois qu’ils réagiront. Je tiens à ce que l’Indomptable soit sur place à ce moment-là. » Desjani sourit, tout comme le personnel de quart sur la passerelle. Conscient de garder aussi l’Indomptable en réserve parce que les Syndics ne survivraient vraisemblablement pas aux trois premiers assauts – il avait le devoir de ramener le vaisseau dans l’espace de l’Alliance avec la clef de l’hypernet du Syndic –, Geary éprouva une pincée de remords. Il y avait de fortes chances pour que l’Indomptable ne survolât que leurs débris.

À moins que ça ne tourne mal et qu’ils n’entreprennent d’abattre ce portail. Auquel cas, clef à bord ou pas, il devrait impérativement se trouver sur place.

« Projectiles cinétiques en approche », annonça la vigie de l’armement d’une voix un tantinet blasée. Ils avaient déjà esquivé une bonne demi-douzaine de salves ; ils voyaient arriver de si loin les projectiles que la plus infime accélération ou correction de cap y suffisait. « Origine : défenses du portail de l’hypernet.