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— Non. » Elle s’interrompit une seconde, manifestement pour se donner du courage. « J’aimerais vous présenter des excuses, capitaine Geary. »

C’était une surprise. « Des excuses ?

— Oui. » Elle désigna l’hologramme des étoiles qui flottait au-dessus de la table. « Depuis notre dispute de Sutrah, j’ai fait ce que je vous avais promis. J’ai effectué des simulations. J’ai fait prendre à cette flotte tous les itinéraires possibles depuis Sutrah, à partir des points de saut que nous avions envisagé d’emprunter. » Elle hésita encore, les mâchoires crispées. « Tous connaissaient le même dénouement : des pertes, certes mineures, mais s’additionnant de système en système, tandis que nos choix se réduisaient de plus en plus suite aux manœuvres défensives des Syndics, jusqu’à ce que la flotte se retrouve prise en étau entre deux forces supérieures en nombre.

— J’avais donc raison, ne put-il s’empêcher de pavoiser.

— Vous aviez raison, reconnut-elle, la voix coupante. Je l’admets.

— Les conclusions auxquelles j’étais parvenu mentalement, comme je vous l’avais spécifié, étaient donc assez exactes pour correspondre aux prévisions des simulations. »

Elle hocha brièvement la tête, le visage dur. « Vous aviez dit vrai. Ça aussi, je le reconnais. Pardonnez-moi d’avoir mis en doute vos mobiles. »

Il secoua la tête, laissant transparaître son dépit. « Mes mobiles ? Enfer, madame la coprésidente, vous m’avez carrément qualifié de traître à cette flotte et à l’Alliance. Vous vous êtes bel et bien servie du verbe “trahir”, n’est-ce pas ?

— En effet. Et je reconnais m’être fourvoyée. » Les yeux de Rione flamboyaient à présent de ressentiment. « Acceptez-vous mes excuses ?

— Oui. Et je vous en remercie. » Conscient d’en vouloir avant tout à Falco et à ses pareils, il se retenait difficilement de la fustiger de nouveau. « Les dernières semaines ont été épineuses.

— Je sais. » Elle secoua la tête. « La trahison du capitaine Falco a dû être dure à avaler.

— Elle l’aurait sans doute été moins si j’avais pu vous en parler. » Stupéfait d’avoir laissé échapper cet aveu, il regarda Rione et constata qu’elle avait recouvré son impavidité et dissimulait soigneusement ses sentiments. « Vos conseils m’ont manqué.

— Mes conseils. Ravie d’apprendre que vous les appréciez. » Sa voix était plate. « Mais vous n’en avez pas besoin, manifestement. S’agissant de décider de la destination de cette flotte, vous aviez vu plus juste que moi. »

Qu’est-ce qui la mettait en colère, maintenant ? « Madame la coprésidente… » Geary s’escrimait péniblement pour trouver les mots justes. « J’en ai besoin, au contraire. Je ne peux pas me confier à grand monde. Rares sont ceux à qui je peux me fier autant qu’à vous. »

L’expression de Rione était difficilement déchiffrable, mais son regard scrutait le visage de Geary. « Je ne suis sûrement pas la seule personne de cette flotte à qui vous pouvez faire confiance.

— Non. Ce n’est pas seulement ça. C’est… » Il détourna les yeux et se frotta la nuque de la main. « J’apprécie votre présence. »

Le silence s’éternisa puis il la regarda de nouveau et constata qu’elle l’observait encore. « Voyez-vous en moi une amie, capitaine Geary ? »

Il n’y avait pas réfléchi. N’en avait pas eu le courage. « Mon dernier ami est mort voilà bien longtemps.

— Alors acceptez de vous en faire de nouveaux, capitaine Geary ! » Sa colère renouvelée le stupéfia.

« Vous ne… Madame la coprésidente, si je… »

Il se rendit compte avec étonnement que les mots se coinçaient dans sa gorge, qu’il était difficile, ô combien, de parler de ses craintes, de ce qu’il avait éprouvé à son réveil de cette longue hibernation en apprenant que ses amis, ses relations, tous ceux qu’il avait connus étaient morts depuis longtemps.

« Est-ce bien là l’homme qui s’est montré assez intrépide pour conduire la flotte de l’Alliance à Sancerre ? s’enquit-elle d’une voix moqueuse. Le héros de la flotte ? L’homme qui a affronté sans ciller la bouche de l’enfer, mais qui n’ose pas prendre le risque d’accepter une amitié, de peur de la perdre ?

— Vous n’avez aucune idée de l’effet que ça m’a fait, rétorqua-t-il âprement. Quand on m’a ranimé, tous ceux que j’avais connus étaient morts. Tous sans exception.

— Seriez-vous le seul à avoir perdu tous ceux que vous aimiez ? Ou tous ceux qui vous aimaient ? Laissez-vous revivre, capitaine Geary !

— Vous ne pouvez pas… »

Le visage de Rione trahit brièvement sa fureur. « Un homme que j’aimais plus que la vie est mort, capitaine Geary, une victime de plus de cette horrible et interminable guerre ! C’est arrivé voilà plus d’une décennie, mais, en fermant les yeux, je le revois encore très nettement. Il m’a fallu choisir entre me laisser mourir et m’efforcer de revivre. Je savais ce qu’il aurait souhaité. Je ne nierai pas que ç’a été dur, mais j’ai recommencé à vivre. »

Il la fixa quelques secondes. « J’en suis navré. Sincèrement. »

Sa fureur s’évanouit, cédant la place à la lassitude. « Bon sang, John Geary, personne n’avait encore réussi à me faire perdre mon sang-froid. Pas depuis sa mort.

— Que vous importe ? demanda-t-il, un peu éberlué. Pourquoi vous souciez-vous de ce que je pense ? De ce qui m’arrive. »

Elle mit un moment à répondre. « Je m’en soucie. Vous êtes un homme remarquable, capitaine Geary. Même quand vous vous montrez formidablement exaspérant.

— Vous me détestez !

— Je ne vous ai jamais détesté ! riposta-t-elle du tac au tac avant de faire la grimace. Ce n’est pas entièrement vrai. Quand j’ai cru que vous trahissiez cette flotte, que vous m’aviez trompée et manipulée, j’ai effectivement détesté les intentions que je vous prêtais.

— Vous m’avez accusé de vous avoir trahie personnellement, en même temps que la flotte. »

Elle acquiesça. « Je vous l’ai dit, je croyais que vous m’aviez manipulée. Ce n’était pas seulement mon orgueil qui était froissé. Je me suis laissée aller à vous croire. À… À me prendre d’affection pour vous. »

Il secoua la tête, à nouveau mystifié. « De l’affection pour moi, madame la coprésidente ? »

Rione leva les yeux au ciel comme pour quêter son soutien. « Vous êtes tellement doué pour manœuvrer la flotte, mais aussi tellement nul quand il s’agit de comprendre ce que ressent autrui. Je vous aime bien depuis un certain temps, capitaine Geary. Si je ne m’étais pas entichée de vous, en dépit de mon instinct qui me soufflait de m’écarter de vous, qui me disait de me méfier de vous, que vous n’étiez pas sincère, cette trahison que je vous ai attribuée ne m’aurait pas mise dans une telle fureur. »

Geary se demanda brièvement si son ébahissement était perceptible. « Vous vous méfiez de moi, mais vous m’aimez bien ?

— Oui. Jamais je ne me fierai à Black Jack Geary, précisa-t-elle avec un sourire désabusé. Mais j’en suis venue à apprécier John Geary. Quand il ne me rend pas chèvre. Qui donc êtes-vous ?

— John Geary, madame la coprésidente. Du moins je l’espère.

— Madame la coprésidente ? C’est sa présence à elle que vous souhaitez ? Si vous voyez en moi une amie, si vous vous souciez quelque peu de moi, appelez-moi Victoria, John Geary ! »

Il la scruta encore. « Me soucier de vous ? C’est le cas. Je ne me suis rendu compte du plaisir que je prenais à votre compagnie que lorsque vous m’en avez privé.

— J’attends.

— Victoria.

— Ce n’était pas si dur, n’est-ce pas ? »