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Il lâcha un petit rire puis se rassit. « Pourtant si.

— Réessayez. Ce sera peut-être plus facile. »

Il la dévisagea en se demandant où elle voulait en venir. « Très bien. Victoria. »

Elle s’assit à côté de lui, le visage soudain assombri. « Vous n’êtes pas la seule personne esseulée de cette flotte, John Geary. Ni la seule qui ne sache vers qui se tourner pour trouver du réconfort.

— Je le sais. Mais je savais seulement ce que j’éprouvais. Vous voir et vous parler me manquait.

— Pourquoi ne m’en avoir rien dit ? »

Il secoua piteusement la tête. « Vous le savez aussi bien que moi. Outre votre refus de m’adresser la parole, je suis le commandant de cette flotte. À moins d’être certain de son consentement, je ne peux rien entreprendre avec un civil qui n’entre pas dans le cadre de mes activités professionnelles. Je dispose d’un trop grand pouvoir pour en faire autrement, même si la fréquentation de tous ceux qui ne relèvent pas de mon autorité ne m’est pas déjà interdite pour d’autres motifs.

— Et tout le monde dans cette flotte est sous votre commandement, lâcha-t-elle. Sauf une seule personne. Ma fréquentation ne vous est pas interdite.

— Non, mais… vous non plus ne pouvez faire abstraction de cette autorité. Nul ne peut simplement voir en moi l’homme que je suis. Les gens voient quelqu’un qui pourrait abuser de son autorité, leur forcer la main ou les récompenser pour de mauvaises raisons. Je dois absolument m’abstenir d’en donner ne serait-ce que l’impression. C’est ainsi.

— Nombre d’entre eux, en vous regardant, ne voient que Black Jack Geary.

— Ouais. » Il haussa les épaules. « Étant la perfection incarnée, Black Jack n’envisagerait même pas d’agir de manière inique. J’en suis persuadé. Quelle que soit l’affection qu’il porte à une femme.

— Oh ! M’aimeriez-vous donc tant que ça, John Geary ? »

Il ne put réprimer un sourire. « Quand vous ne me faites pas tourner chèvre.

— Pourquoi, en ce cas, craignez-vous de me le montrer sur-le-champ ? Comptez-vous agir ou allez-vous vous contenter de parler ? »

Il croyait avoir eu son content de surprises pour la journée mais, visiblement, ce n’était pas fini. Il la fixa de nouveau. « Hein ? »

Elle sourit, le stupéfiant davantage. « Nous sommes déjà convenus que ma fréquentation ne vous est pas interdite. Que nous sommes deux solitaires en quête de réconfort, qui ont perdu tous ceux qu’ils aimaient. Et deux individus à qui sont échues de hautes responsabilités qu’ils ne peuvent pas partager. J’aimerais donc que vous me montriez jusqu’à quel point vous m’aimez. »

Geary s’était préparé à nombre d’éventualités durant le séjour de la flotte dans le système de Sancerre, mais celle-là n’en faisait pas partie. Il se borna à la dévisager, totalement pris de court.

Rione secoua la tête ; elle souriait toujours. « À croire que vous n’avez jamais embrassé une femme. »

Le doute n’était plus permis. Elle parlait sérieusement. Il s’était résigné à une chasteté au moins équivalente à son isolement affectif, mais il s’était manifestement trompé. « Si fait. Mais pas depuis un siècle.

— Je suis bien certaine que vous n’avez pas oublié comment on s’y prend.

— J’espère que non.

— Alors prouvez-le. Pour un héros intrépide, vous vous montrez parfois bien timoré. »

Curieusement, ce baiser lui donnait l’impression d’être réellement le premier depuis près d’un siècle. « Que se passe-t-il, madame la coprésidente ? »

Rione secoua la tête puis leva de nouveau les yeux au ciel, mimant cette fois le désespoir. « Madame la coprésidente ne répondra pas.

— Vous m’en voyez navré, répondit-il en feignant un ton officiel. Que se passe-t-il, Victoria ?

— J’essaie de vous séduire, John Geary. Vous ne vous en êtes pas encore aperçu ? Comment pouvez-vous vous montrer si évaporé avec moi, alors que vous êtes capable de prévoir ce que feront les Syndics dans les trois prochains systèmes stellaires ? »

Il la fixa longuement avant de répondre. « Les Syndics sont plus transparents. Pourquoi, Victoria ? »

Elle soupira. « Vous êtes probablement le seul spatial de l’univers à poser la question à sa partenaire avant l’amour plutôt qu’après. J’ignore pourquoi. Peut-être parce que, aujourd’hui, nous avons plongé tous les deux le regard dans l’infini et survécu à l’expérience. Quelle importance ? »

Geary laissa encore passer un moment. « Sans doute parce que vous avez beaucoup de valeur à mes yeux. » Elle eut un sourire sincère, qui la rendit encore plus jolie, et il embrassa ce sourire. Avant qu’il ait eu le temps de s’écarter, il sentit ses bras l’enlacer et décida de n’en rien faire.

Ainsi qu’il en donna la preuve, Geary ne se souvenait pas que de la manière d’embrasser une fille. Quand le corps de Victoria Rione s’arqua enfin sous le sien, plusieurs menues initiatives lui étaient revenues assez précisément pour satisfaire sa partenaire. Alors qu’ils s’effondraient tous les deux sur la couchette, épuisés, il se rendit compte que, pour la première fois depuis qu’on l’avait décongelé et sorti de son module de survie, il ne ressentait plus la présence d’aucune trace de glace dans son corps ni dans son âme. Cette révélation le réjouit autant qu’elle l’effraya.

Huit

L’alarme de sa com retentit et Geary se réveilla en sursaut et roula sur lui-même pour gifler la touche, non sans se rappeler au dernier moment de couper le circuit vidéo pour qu’on ne le vît pas en compagnie. « Ici Geary.

— Capitaine, le capitaine Desjani vous présente ses respects et aimerait vous faire part des inquiétudes du colonel Carabali quant aux mouvements de la formation Bravo de l’Alliance.

— Ses inquiétudes ? » Jusque-là, chaque fois que le colonel des fusiliers spatiaux s’était inquiétée de quelque chose, ç’avait été à raison. « Je lui parlerai dans une minute. Priez le colonel de rester en ligne.

— Oui, capitaine. »

Geary se redressa doucement en s’efforçant de ne pas faire de bruit.

« Croyais-tu réellement que ça ne m’avait pas réveillée ? demanda Victoria Rione.

— Pardon.

— Je vais devoir m’y faire, j’imagine. »

Geary se figea pour la regarder ; elle était allongée sur le dos et le fixait aussi calmement que s’ils se réveillaient ensemble pour la millième fois. « Tu souhaites que cette relation dure ? »

Rione arqua un sourcil. « Tu cherches à me dire que ce n’est pas ton cas ?

— Non. Je n’ai pas dit ça. J’aimerais beaucoup. Il me semble qu’une liaison à long terme pourrait me rendre…

— Heureux ? Il n’y a pas de mal à être heureux, John Geary. Il m’a fallu longtemps après la mort de mon mari, mais j’ai fini par le comprendre.

— Combien de temps ?

— Jusqu’à aujourd’hui. Maintenant, tu peux parler à ton colonel et, par les vivantes étoiles, n’oublie pas de te rhabiller avant.

— Je suis persuadé que Carabali a vu bien pire », fit-il remarquer. Mais il revêtit hâtivement son uniforme, gagna la console de sa cabine et alluma son terminal en s’efforçant, pour se concentrer sur son travail, de s’ôter de l’esprit ce qui s’était passé entre Rione et lui la veille au soir. « Qu’est-ce qui vous perturbe, colonel ? »

Carabali montrait des signes de fatigue, de sorte qu’il éprouva des remords de conscience à se sentir aussi frais et dispos. Le commandant des fusiliers désigna un écran holographique devant elle. « Capitaine, vos vaisseaux se rapprochent de la quatrième planète. Normalement, ça ne me regarderait pas, mais il est de mon devoir de prévenir les officiers de menaces planétaires.