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« Oui, je crois. »

Duellos haussa encore les épaules. « Qu’elle vous aime ou pas ne fait aucune différence. Je le répète, elle n’est pas votre subalterne, n’appartient même pas à l’armée, et toute relation que vous pourriez entretenir avec elle serait parfaitement convenable. »

Geary ne put retenir un troisième éclat de rire en prenant congé du capitaine Duellos, mais, alors qu’il s’apprêtait à quitter la salle, il pila net, pensif. Les espions de Rione lui avaient très certainement rapporté les rumeurs portant sur cette liaison imaginaire qui couraient dans la flotte. Pourquoi n’avait-elle pas fait allusion à ces bruits, alors qu’elle lui avait parlé des autres ?

Se pouvait-il qu’elles embarrassent la femme politique à la poigne de fer à qui il avait eu affaire ? Mais, en ce cas, pourquoi continuait-elle de lui rendre visite ?

Il s’appuya brièvement d’un bras à la cloison, tout en fixant le pont et se rappelant les premiers jours qui avaient suivi sa résurrection, au terme de cette hibernation qui l’avait gardé en vie pendant un siècle, laps de temps durant lequel tous ceux qu’il avait connus étaient morts au combat ou de vieillesse. Le choc que lui avait causé cette prise de conscience, cette révélation que tous les gens, hommes et femmes, qu’il avait côtoyés et aimés étaient décédés depuis longtemps, l’avait incité à éliminer toute perspective de nouvelles relations. La glace qui naguère l’habitait semblait désormais pratiquement fondue, mais, de peur de reculer encore et de laisser la chaleur l’investir à nouveau, elle continuait d’occuper cette seule région de lui-même.

Il avait déjà perdu tous les siens. Ça pouvait se reproduire. Il ne tenait pas à ce que ce fût aussi douloureux la prochaine fois.

Deux

La cinquième planète était bien un monde où pouvait s’établir un camp de travail du Syndic. Trop éloignée de son soleil pour connaître un véritable été, elle n’offrait la plupart du temps qu’une toundra désolée, interrompue à de rares occasions par une chaîne de montagnes stériles en dents de scie, évoquant une île surgie d’un océan de végétation basse et touffue. Les glaciers qui s’étendaient aux pôles semblaient contenir une bonne partie de l’eau de la planète, à l’exception des quelques petites mers sans profondeur qui parsemaient les régions épargnées par les glaces. Geary n’avait aucun mal, en observant ce monde lugubre, à comprendre pourquoi Sutrah n’avait pas été jugée digne d’un portail de l’hypernet. À moins, bien sûr, que la quatrième planète ne fût un véritable éden, ce qui n’était certainement pas le cas puisqu’elle était un poil trop proche de son soleil et sans doute épouvantablement torride. Quand l’hypernet du Syndic avait vu le jour, Sutrah, comme bon nombre d’autres étoiles de son acabit, avait tout bonnement cessé de compter.

À une certaine époque, lorsque les vaisseaux se déplaçaient encore par bonds successifs d’étoile en étoile, il fallait toujours, où qu’on aille, traverser tous les systèmes stellaires intermédiaires. Chacun d’eux avait donc la garantie de recevoir un certain trafic de transit. Mais l’hypernet permettait à présent d’aller directement d’une étoile à une autre, quelle que soit la distance qui les séparait. Privés du passage de ces bâtiments et de tout intérêt particulier, hormis celui d’héberger des populations qui s’étaient brusquement retrouvées au beau milieu de nulle part, ces systèmes négligés par l’hypernet agonisaient lentement, tandis que tous ceux de leurs habitants qui en étaient capables émigraient vers les étoiles reliées par le réseau. Les communautés humaines de la cinquième planète de Sutrah s’étiolaient encore plus vite que d’habitude. À en juger par ce qu’en captaient les senseurs de l’Alliance, deux bons tiers de ses habitations étaient désormais désertées, et il n’en émanait plus aucun signe de chauffage ni d’activité.

Geary se concentra de nouveau sur l’image du camp de travail. On trouvait des mines à proximité, qui avaient peut-être une certaine valeur économique, ou bien n’existaient que pour les travaux forcés à vie des prisonniers du camp. On ne voyait pas de murs d’enceinte, mais ils n’étaient nullement nécessaires. Hors du camp, il n’y avait que les étendues désertes de la toundra. Toute évasion serait un pur et simple suicide, sauf si l’on tentait de se sauver par le terrain d’atterrissage, mais celui-ci était bel et bien entouré de murailles de fil de fer barbelé.

Geary se rendit compte que le capitaine Desjani attendait patiemment qu’il lui accordât son attention. « Pardon, capitaine. Que pensez-vous de mon projet ? » L’idée de placer sa flotte en orbite autour de la planète l’inquiétait quelque peu, et il avait échafaudé un plan exigeant qu’elle décélérât pour larguer les navettes au plus près de la surface, avant d’exécuter un brutal demi-tour, au-delà des orbites de ses petites lunes, pour revenir ensuite récupérer les navettes avec les prisonniers libérés.

« Le ramassage des navettes se ferait plus vite si nous placions les vaisseaux en orbite, fit remarquer Desjani.

— Ouais. » Il fixa l’écran en fronçant les sourcils. « Il n’y a aucune trace de champs de mines ni même d’un armement défensif lourd, et la base militaire du Syndic donne elle-même l’impression d’être à moitié désaffectée. Mais quelque chose me gêne. »

Desjani opina pensivement. « Après cette tentative du Syndic d’envoyer des cargos en mission suicide contre nous, il me paraît naturel de s’inquiéter de dangers indétectés.

— Les Syndics ont eu le temps de poser ce champ de mines à notre intention. Ils ont donc aussi eu celui de camoufler leur camp de travail ou même de déporter ses détenus. Mais rien ne l’indique. Pourquoi ? Parce qu’ils représentent un appât encore plus séduisant que ces unités légères postées au point de saut ? Un appât que nous ne saurions négliger ?

— Pourtant, on ne distingue aucun signe d’embuscade. D’un moyen de nous nuire.

— Non, convint-il en se demandant s’il ne se montrait pas trop méfiant. La coprésidente Rione affirme que les dirigeants civils de la planète avec qui elle s’est entretenue avaient l’air terrifiés. Mais aucun militaire n’était disponible. »

Desjani se rembrunit. « Intéressant. Mais que pourraient-ils bien mijoter ? S’ils avaient caché quelque chose, nous l’aurions déjà repéré. »

Geary pianota nerveusement sur ses commandes. « Mettons que nous nous placions en orbite. La flotte est si importante qu’il nous faudrait orbiter assez loin de cette planète.

— Ces lunes nous gêneraient sans doute, mais elles ne sont guère plus grosses que des astéroïdes. Toute formation qui les frôlerait pourrait aisément les éviter puisqu’elles forment un amas sur orbite fixe.

— Certes, et nous devrons de toute façon les frôler, même en suivant mon plan. » Il fixa l’hologramme, le front plissé. Rien de ce qu’il avait appris sur cette guerre depuis son sauvetage ne semblait l’avancer, de sorte qu’il se reporta en arrière et tenta de se souvenir des leçons que lui avaient inculquées des officiers chevronnés depuis longtemps décédés, des pros qui avaient sûrement trouvé la mort au cours des premières décennies du conflit, en même temps que tous ceux à qui ils avaient enseigné les ficelles du métier. Pour une raison inconnue, la vue de ces petites lunes éveilla en lui le souvenir d’un de ces stratagèmes : un unique vaisseau qui, planqué derrière une planète beaucoup plus vaste, fondait sur sa proie à son passage. Mais ça ne tenait pas debout en l’occurrence. Les lunes de la cinquième planète étaient beaucoup trop petites pour masquer autre chose que quelques unités légères, et même une attaque suicide de ces petits vaisseaux échouerait face à la puissance de la flotte de l’Alliance, amassée et concentrée en une formation resserrée afin de réduire leur trajet aux navettes.