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— Angelino Gonzalez. Il a été professeur de zoologie à l'université de Laval, au Québec, puis à celle de Jussieu, à Paris. Depuis sa retraite, il vivait chez sa sœur en attendant de trouver un appartement en Bretagne. Il est breton.

— Angelino Gonzalez, un Breton ? dit Noël en ricanant.

— Fermez-la, Noël, dit simplement Adamsberg, sur le point d'ajouter : « Et d'où êtes-vous ? », attendu que le lieutenant était un enfant de la DDASS récupéré un matin de Noël sous un porche enneigé, comme dans un conte, aurait dit Mordent. Sauf que ça n'avait pas été exactement féerique.

— Quel genre de zoologue ? demanda Voisenet.

— Un spécialiste des oiseaux.

— Victor a parlé d'un spécialiste des manchots empereurs, dans leur groupe, dit Kernorkian.

— Il n'est pas spécifié que Gonzalez était spécialiste des oiseaux nordiques, dit Mordent.

— On a laissé tomber l'Islande, rappela Mercadet avec fermeté.

— Totalement, approuva Adamsberg. Justin, faites tout de même vérifier son passeport.

— Cela a été fait, dit Mordent, mais il ne date que de huit ans. Deux allers-retours France-Canada, c'est tout.

— On a laissé tomber l'Islande, répéta Mercadet.

— On va le dire combien de fois ? dit Danglard avec un brin d'énervement.

— Il est normal, dit Adamsberg, que l'Islande coure encore dans nos têtes. Envoyez la photo d'Angelino Gonzalez au président de l'Association. À Victor aussi.

— Merde, dit Danglard. Pourquoi à Victor ?

— Pourquoi pas, commandant, dit Adamsberg en se levant. Ne vous en faites pas, nous avons quitté les rochers blancs. Je crains d'ailleurs que notre nouveau voyage dans le cercle arctique de Robespierre soit encore plus glaçant.

L'équipe se sépara sans discipline pour déjeuner entre Le Cornet à dés et La Brasserie des Philosophes, d'autres demeurant sur place avec un sandwich, ce qui fut le choix d'Adamsberg, qui avait « à faire », c'est-à-dire à dessiner.

Les réponses ne tardèrent pas. Celle de Victor, qui n'« avait jamais vu ce type, qui ne ressemblait pas du tout à l'amoureux des manchots », et celle de François Château qui, oui, lui semblait-il, le reconnaissait. Mais pouvait-il voir d'autres clichés pour s'en assurer ?

Ils avaient pris rendez-vous pour 15 heures à son bureau, au siège de l'association. Une marque de confiance, mais à la condition expresse que, si Veyrenc s'y joignait, il se couvre la tête. Ce qu'il fit, en cachant sa chevelure sous une casquette noire sur laquelle « Paris » était inscrit en lettres dorées.

— C'est tout ce que j'ai trouvé dans les réserves, dit Veyrenc. Et j'ai pris ce blouson kaki à Retancourt. C'est bien, non ? Je suivrai derrière vous.

— Pourquoi, quoi qu'on fasse, dit Adamsberg, nous prend-on toujours pour des flics ?

— À cause de notre regard perverti, dit Danglard, de notre vigilance hors de propos, de notre suspicion, du pouvoir qu'on croit détenir, d'une offensive que chacun sent possible. Affaire de phéromones, l'habit ne fait pas le moine.

— À propos d'habits, dit Adamsberg, est-ce vous, Danglard, qui nous avez hier soir photographiés en tenue de députés du XVIIIe siècle ? Et qui avez diffusé ces images sur les portables de tous les agents de la brigade ?

— Parfaitement. Je nous trouvais très honorables.

— Mais tous ont ri.

— Le rire est une défense contre ce qui impressionne. Vous avez, je vous le signale, beaucoup plu. Froissy est tombée amoureuse de vous dès 9 h 20 du matin. Cela perturbe la vision habituelle qu'ils ont de vous. Hommes ou femmes.

— Très bien, Danglard. Et qu'est-ce que j'en tire ?

— De l'ambiguïté.

Adamsberg avait l'habitude de rester sans réponse aux répliques de son adjoint.

XX

— Ma foi, je crois que, oui, je crois que je l'ai vu ici, dit François Château en passant en revue les quatre photographies que lui avait apportées Adamsberg. Vous pouvez ôter votre casquette à présent, lieutenant, ajouta-t-il en souriant.

— Il s'appelle Angelino Gonzalez, dit Veyrenc en s'exécutant et en secouant sa chevelure.

— Vous, lieutenant, ce n'est pas à l'Assemblée révolutionnaire que vous auriez dû jouer, continua Château en souriant toujours. Mais au Sénat romain. Un véritable buste antique, vous y auriez été parfait. Mais pardon, je m'égare, je vous cherche un rôle. Angelino Gonzalez ? Je ne connais pas leurs noms, je vous l'ai dit.

— Mais vous les observez, dit Adamsberg.

— Il nous faut bien savoir quel genre de gens fréquente ici, n'est-ce pas. Après les séances — vous êtes partis trop tôt hier — un buffet est servi dans une salle annexe. Payant, mais presque tous y viennent. C'est le moment, non seulement de se restaurer et de boire, mais de discuter à tout-va. J'y suis parfois, j'y participe, je saisis les conversations. Je peux presque assurer que soixante-quinze pour cent de nos membres sont des historiens professionnels, ce qui ne les empêche pas de s'enflammer, je vous l'ai conté. Quinze autres pour cent sont des historiens amateurs, de toutes professions, des curieux, des assoiffés de connaissance. Comme, pardon, on pourrait trouver parmi nous un policier tel que le commandant Danglard, n'est-ce pas. Les dix pour cent restants sont divers, des professions libérales, des fonctionnaires, des psychologues et psychiatres, des industriels, des éducateurs, des professeurs, des gens de théâtre aussi. Je compte quelques artistes, mais je note un faible lien entre le goût pour l'Histoire et la pratique de l'art. Depuis quelque douze ans, on peut dire que je les connais tous. Et tous, quels qu'ils soient, sont séduits par la représentation en costumes, la fidélité des textes, l'atmosphère d'époque et, je crois pouvoir le dire, le fait de porter habit. Cela rehausse.

— J'ai remarqué, dit Danglard.

— Vous voyez. Sans compter le fait de jouer un rôle, même muet. Ici, commandant, chacun existe, chaque voix compte. On vote aux assemblées. On participe à la création des idées et des lois. En bref, on prend de l'importance.

— Et les « occasionnels » ? demanda Adamsberg.

— Je ne les néglige surtout pas. C'est parmi eux qu'on pourrait trouver des « infiltrés », des « espions », des adversaires. Ceux-là, sans payer la cotisation annuelle — qui est chère, imaginez le seul prix des costumes et de leur blanchissage —, ont droit à trois séances par an en payant à la soirée, comme on le fait au théâtre. On ne peut pas s'en passer : tous nos membres fixes ont débuté comme « occasionnels ». Mais d'autres demeurent résolument visiteurs. C'était le cas — évidemment — d'Henri Masfauré, mais aussi d'Alice Gauthier et de votre troisième homme, celui au nom de peintre.

— Jean Breuguel.

— C'est cela.

— Si vous ne demandez pas de nom ni de papier d'identité, comment pouvez-vous savoir que vos « occasionnels » ne viennent que trois fois ? demanda Veyrenc. Ou pour vos membres fixes, comment être certain qu'un autre ne prend pas leur place ?

— Nous demandons un pseudonyme et nous photographions la paume de l'une des mains. À l'accueil, nous comparons le dessin des lignes de la main avec notre cliché. C'est sûr et très rapide, et cela n'a rien d'une empreinte.

— Bien conçu, dit Veyrenc.

— Pas si mal ma foi, dit Château avec satisfaction. Les autres pensaient au verso de la carte d'identité, mais c'est trop d'information. Vous remonteriez aisément à la personne.

— Quels « autres » ? demanda Adamsberg.

— Mes deux cofondateurs, je vous ai parlé d'eux, le secrétaire et le trésorier, qui sont également anonymes et veillent sur ma personne.