Danglard frotta son front, puis se redressa et avala une gorgée de vin blanc.
— De Château-Renard, dans le Loiret, compléta-t-il d'une voix brève avec soulagement. Mieux que cela, le président de la Cour signale que son protégé est également recommandé par des personnalités telles que le juge de paix, le maire, des châtelains. Qu'avait donc cet aubergiste pour s'attirer tant de hauts défenseurs ?
— Une réputation, dit Veyrenc.
— Exactement. Car dans sa réponse, négative, le préfet… Passez-moi votre ordinateur, commissaire.
— Voici, reprit Danglard après quelques instants : … Or, le sieur Château que vous voulez bien me recommander est le fils naturel de Robespierre. Notez avec quelle assurance le préfet l'affirme, sans le moindre doute. Je reprends. Il n'est pas responsable de sa naissance, je le sais, mais malheureusement son origine a influé d'une manière fâcheuse sur ses opinions et sa conduite et il est tout ce qu'il y a de plus radical.
Danglard posa l'ordinateur au sol et croisa les bras, souriant et satisfait.
— Quoi d'autre, Danglard ? demanda Adamsberg, stupéfait, et penché vers son adjoint comme vers une lampe magique d'Aladin.
— Peu de chose, mais tout de même. Après la mort de Robespierre, la mère de François Didier s'est réfugiée à Château-Renard avec son fils de quatre ans. Des bruits circulaient-ils ? A-t-elle eu peur pour son fils ? Risquait-il sa vie ? C'est très possible. On craignait bien, quelques années plus tôt, que l'enfant du Temple ne représente une menace. Celle de la voix du sang qui s'éveille et vient clamer vengeance. Comme celles des suppliciés de la tour du Creux.
— C'est quoi, l'enfant du Temple ? demanda Adamsberg.
— Le fils de Louis XVI.
— Quoi d'autre sur le fils caché ?
— On possède une description physique de lui, quand il était dans l'armée de Napoléon. Rien de probant mais rien non plus de contradictoire avec son supposé père. J'entends par là que ce n'était pas un géant au nez aquilin et aux yeux noirs. Non, il mesurait moins d'un mètre soixante, il avait des yeux bleus et des cheveux clairs, un petit nez et une petite bouche.
— C'est vague en effet.
— Mais, seconde énigme : cinq ans après avoir échoué à devenir maître du relais de poste, notre aubergiste devient directeur des voitures publiques. Des diligences d'État ! Comme cela, dit Danglard en claquant des doigts. Hautes relations, toujours. C'est tout, je n'ai plus rien dans ma besace.
— C'est beaucoup, Danglard. L'affirmation du préfet n'est pas mince.
— Je n'y crois pas, dit Danglard. Que Robespierre ait couché avec une femme. Qui nous dit que cette Denise Patillaut — c'est le nom de la mère, cela me revient à présent —, enceinte hors mariage, ne s'est pas vantée de cette paternité illustre pour atténuer l'opprobre de sa condition de fille-mère ? Ensuite, la famille Château aura pérennisé la légende. Jusqu'à notre actuel François. S'il est bien un descendant de ce François Didier.
— Nous avons un autre élément, dit Veyrenc. Sa ressemblance inouïe avec Robespierre.
— On ne saura jamais, dit Danglard. Ni nous, ni la famille Château. Pas de comparaison ADN possible, les restes de Robespierre furent finalement dispersés dans les catacombes de Paris.
— Mais le plus important n'est pas la vérité, dit Adamsberg en calant de nouveau ses pieds sur le chenet. C'est que les Château y aient cru. Que le grand-père s'y soit accroché dur comme fer, comme ses ancêtres avant lui. Qu'ils aient maintenu la flamme, entretenu le culte. Dès lors, que croit notre François ? Qu'il est un descendant de robespierristes, comme il me l'a raconté, ou bien de Robespierre lui-même, en chair et en os ? Cela changerait bien des choses.
— Ce type ment comme un arracheur de dents, dit Veyrenc.
— S'il se pense descendant, dit Danglard, et s'il est notre tueur, pourquoi, je le répète, nous aurait-il écrit ?
— Tout comme son aïeul, dit Veyrenc. Parce que Robespierre ne tue pas en douce, comme un « hypocrite » brigand des bas-fonds. Parce qu'il exécute sur la place publique. Parce que ses morts doivent être exemplaires.
— Il y a donc bien un troisième bouchon, au fond de la bouteille, conclut Adamsberg à voix basse.
XXIII
Sur convocation d'Adamsberg, les deux associés de François Château acceptèrent sans réticence de se présenter à la brigade à 15 heures. Pendant que Froissy recherchait à présent, aux archives de Château-Renard, la descendance de François Didier Château, aubergiste en 1840, et que Retancourt et ses hommes poursuivaient leur garde auprès du président.
« RAS, avait signalé Retancourt par texto. Rentré à son domicile à 22 heures, dîné seul, dormi seul, vit seul. Actuellement à son travail à l'hôtel, horaires 11 heures-17 heures. Pour l'anecdote, ai été agressée cette nuit en planque rue Norevin par trois petits connards au crâne rasé qui m'avaient prise pour une femme désirable. Suis très flattée. Justin témoin, pas d'embrouille en vue, mais les gars sont au commissariat du 18e, un peu amochés. »
Pas mal amochés, rectifia Adamsberg, en décrochant son téléphone pour joindre son collègue du 18.
— Montreux ? Adamsberg. T'as récolté trois gars cette nuit ?
— Cela vient de chez toi, ce qui leur est tombé dessus ? Un arbre ou quoi ?
— Un arbre sacré, c'est exact. Comment sont les gars ?
— Humiliés jusqu'à l'os. Elle les a tout simplement plaqués par direct à l'estomac, pas de casse, ton « arbre » sait retenir ses coups. Pas de dommages aux testicules.
— Tout en douceur.
— Mais tout de même, avant l'assaut final, un nez écrasé pour l'un, une oreille déchiquetée pour l'autre, avec ses trois piercings — le gars hurle pour récupérer ses boucles d'oreille sur les lambeaux de sa peau — et une bonne entaille à la joue pour le troisième. Elle était dans son droit, ils ont essayé de se la faire, bourrés comme des outres. On a le témoignage de son collègue. C'est qui ce petit gars, par rapport à l'arbre ? Une pousse de jonquille ?
— Un doux roseau pensant.
— C'est bien, c'est diversifié au moins. Moi j'ai cinq cons. Et toi ?
— Un seul, je crois.
Adamsberg raccrochait quand Estalère introduisit les deux associés de François Château. Un fragile et un costaud, comme dans les meilleurs tandems, mais tous deux barbus à profusion, très chevelus pour leur âge — la cinquantaine environ — et porteurs de lunettes.
— Je vois, dit Adamsberg en souriant et les invitant à s'asseoir. Vous redoutez des photos clandestines. Estalère, du café s'il te plaît. Je me suis déjà engagé à ne pas vous demander vos noms.
— Nous travaillons dans la discrétion, dit le costaud, nous y sommes contraints. Les gens ont l'esprit si étroit qu'un malentendu est vite arrivé.
— Le président m'a expliqué vos règles de confidentialité en long et en large. Elles sont bien faites, ces barbes.
— Vous savez sans doute que nous disposons d'excellentes maquilleuses à l'association. Les barbes, ce n'est rien. Tout est transformé.