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— Si vous l'acceptez, attendez-moi chaque soir à 18 heures devant l'entrée principale de l'hôpital de Garches, sous l'apparence à barbe noire que vous me connaissez.

— Une enquête interne nous apprendrait rapidement votre nom.

— Je n'y suis qu'en mission provisoire. Et si vous montrez ma photo, on vous indiquera, peut-être, un docteur Rousselet. Qui n'est pas mon nom.

Adamsberg se leva pour arpenter son bureau, contrôler par sa fenêtre la pousse des feuilles de l'arbre. Les tilleuls sont toujours tardifs. Ce Lebrun-Rousselet était un froussard, mais un froussard bien organisé.

— Danton, le véritable Danton, reprit-il, à ce que m'en a dit le commandant, avait également les mains tachées de sang, non ?

— Évidemment. Il officiait sous la Terreur avant que celle-ci ne le broie. C'est lui qui a donné l'impulsion au Tribunal révolutionnaire : « Soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être… », vous connaissez cette phrase ?

— Non.

— « … et organisons un tribunal, afin que le peuple sache que le glaive des lois pèse sur la tête de tous ses ennemis ». À ce nouveau Tribunal, les jugements étaient bâclés en vingt-quatre heures et suivis de la guillotine. Voilà ce à quoi contribua le bon Danton.

— Une semaine de protection, renouvelable, accorda Adamsberg. Je vous laisse aux soins des commandants Mordent et Danglard pour en régler les détails techniques.

— Vos équipiers auront besoin de connaître l'allure de ce Danton-fils. Voici, dit le médecin en posant avec réticence une photo sur le bureau.

— Je croyais que vous n'aviez pas de photo de vos membres.

— Pour celui-là, j'ai dérogé. Jugez vous-même.

Adamsberg examina le portrait du descendant. C'était un des visages les plus sombres et laids qu'il ait vus.

XXVII

Il roulait gyrophare sur le toit pour rattraper le temps passé avec le docteur Lebrun-Rousselet. L'homme avait fait bonne figure mais l'inquiétude l'oppressait. Sa diction n'était pas aussi fluide que lors de sa première visite, ses mains se refermaient souvent, le pouce placé à l'intérieur du poing. Adamsberg envisageait aussi quelque nouveau maquillage dans son allure d'aujourd'hui. L'homme avançait masqué, en biais, sur ses gardes. Prêt à se replier à la moindre alerte, tels les gars dans l'arène qui excitent le taureau et se réfugient d'un bond derrière les barrières de bois.

— Danglard ? appela-t-il en conduisant d'une main. Parlez un peu fort, je suis sur la route.

— Je vous croyais revenu, bon sang.

— Mais les bateaux dérivent toujours au-delà des phares.

— Toujours en route vers le nourrisson Amédée ? Alors que j'apprends que le secrétaire de l'association vient d'être menacé et demande protection ?

— Pas menacé, observé.

— Vous avez vu la gueule de ce fils de Danton ?

— Lugubre. Dites, Danglard, comment s'appellent ces barrières de bois derrière lesquelles s'abritent les types qui énervent le taureau ?

— Pardon ?

— Dans les corridas.

— Les burladeros. Et les « types » sont les peones du torero. C'est important ? ajouta Danglard, caustique.

— Du tout. C'est juste que notre médecin — Lebrun est bel et bien psychiatre — est un gars comme cela. Il redoute les assauts, il fuit. Alors que François Château, que l'on suppose directement visé, n'a demandé aucune protection.

— Après quatre assassinats et Danton dans sa rue, je me mets aisément à sa place.

— On pourrait lui suggérer de s'enduire de fiente de corneille mantelée.

— Cela plaira certainement.

— J'ai idée que notre Lebrun milite dans l'association Robespierre — on peut parler de militantisme, non ? — parce qu'il y assiste à des agressions, à des violences et à des offensives dont il est incapable dans la vie. Cela l'équilibre par procuration.

— Et après ?

— Danglard, je serai rentré dans quatre heures, il est inutile de s'énerver.

— Et après ? C'est maintenant qu'on va aller interroger ce rejeton de Danton. Et vous, vous partez bavarder avec la famille d'Amédée.

— Vous serez bien meilleur que moi pour questionner un type pétri d'histoire au point d'en perdre l'esprit. Il faut au rejeton de Danton un homme savant et délicat. N'y allez pas seul, cela va sans dire.

Adamsberg entra dans le modeste village de Santeuil et s'arrêta face à un bar-tabac où le patron accepta de lui préparer un sandwich, ce qui n'était pas l'habitude de la maison.

— J'ai que du gruyère, dit l'homme rudement.

— Ce sera parfait. Je cherche la ferme du Thost.

— Ça se voit que vous n'êtes pas d'ici. On dit « Tôt », sans prononcer le « s ». Et c'est pour y quoi faire ?

— Pour aider un enfant qui y a vécu, il y a très longtemps.

L'homme fit la moue, réfléchissant. Évidemment, s'il s'agissait d'un enfant, c'était différent.

— C'est à sept cents mètres de là, sur la route de Réclainville. Après, vous croisez la route du Vieux-Marché et vous y êtes. Mais vous ne trouverez plus rien. Si le gosse, il cherche ses parents, alors c'est triste. Parce qu'ils sont partis en cendres il y a de ça quinze ans. La baraque a brûlé, et le mari et la femme avec. C'est moche, hein ? Des jeunes qu'avaient trouvé malin de faire un feu de camp la nuit. Avec toute cette paille à côté, pensez. Tout est parti en une heure de temps. Comme les Grenier prenaient des cachets pour dormir, ils n'ont rien vu venir. Moche, moche.

— Très moche.

— Remarquez, on les aimait pas trop. Faut pas dire du mal des morts — phrase d'ouverture qui permettait d'en dire ensuite —, mais c'étaient des sacrées peaux de vache. Rien dans le cœur et tout dans le bas de laine. Et ils prenaient des gosses orphelins pour arrondir les fins de mois. Je sais pas comment on a pu confier des gamins à des gens comme ça. Parce qu'ils devaient trimer dur, les petits, ça oui.

— Un de ces gamins, il s'appelait Amédée ?

— J'y allais jamais, moi. Mais une qui pourrait vous renseigner, c'est la Mangematin. Oui, elle s'appelle comme ça, c'est pas de chance mais on choisit pas son nom. Une brave femme. Après que vous avez passé l'ancienne ferme — vous ne pouvez pas vous tromper, il reste encore des murs noircis —, vous faites trente mètres et vous voyez un portail vert, sur votre droite.

— Elle les connaissait bien ?

— Elle allait aider chaque mois pour les grandes lessives. Et elle apportait une friandise aux gosses. Une brave femme.

Adamsberg sonna au portail vert un peu avant seize heures, après avoir débarrassé sa veste des miettes de son sandwich. Un grand chien s'écrasa les dents contre la barrière, aboyant férocement, et Adamsberg posa sa main sur sa tête à travers les barreaux. Après quelques grognements, puis gémissements, le chien déclara forfait.

— C'est que vous savez vous y prendre avec les animaux, vous, dit une grosse femme qui s'approchait en boitant. C'est pour ?

— Une enquête sur un gamin qui vivait à la ferme du Thost. C'était il y a longtemps.

— Chez les Grenier ?

— Oui. Il s'appelait Amédée.

— Il ne lui est pas arrivé malheur au moins ? dit la femme en ouvrant son portillon.

— Pas du tout. Mais il ne se souvient pas de grand-chose de cette époque, il aurait besoin d'un peu d'aide.

— Ben moi, j'ai pas la mémoire courte, dit la femme en le faisant entrer dans sa petite salle à manger. Du café ? Du cidre ?

Adamsberg choisit le café et la femme — qui s'appelait Roberta Mangematin, il l'avait lu sur sa boîte aux lettres — passa l'éponge sur la toile cirée de la petite table, déjà propre.